Combattre les idées reçues est une noble cause.
Parfois elle se révèle un rien piégeuse car il arrive que sous cet étendard immaculé se cache la tentation coupable de mettre en avant ses propres idées reçues.
Le Monde n'échappe pas à cette pente savonneuse.
Il y a quelques années déjà ce vénérable journal en faisait la preuve avec : "dix idées reçues sur le vin".
En effet, l'auteur s'y prenait les pieds dans le tapis dès la (sa) première idée reçue :
"1 C'est le soufre contenu dans le vin qui donne mal à la tête
Vrai
Le soufre est compris naturellement dans le moût de raisin, mais pas en assez grande quantité pour le préserver de l'oxydation. L'élaborateur en ajoute donc lors de la vinification. Une autre dose est ajoutée après les fermentations pour stabiliser le vin. Aujourd'hui, les doses de soufre ont été largement réduites. Certains producteurs vont même jusqu'à ne plus en ajouter du tout pour produire ce qu'on appelle, en ville, des "vins naturels". C'est un risque pris parfois aux dépens d'une précision aromatique."
Ben non : faux.
Le mal de tête vient de l'alcool (probablement aussi de l'éthanal).
Il est d'ailleurs assez étonnant que le texte qui suit ce "vrai" sans ambiguïté et est donc sensé régler la question ne se penche en aucun cas sur le lien de cause à effet entre le problème posé : le mal de tête, et le coupable désigné : le soufre.
Bref rappel de ce que j'ai déjà maintes fois indiqué sur ce blog : on considère généralement que le mal de tête est dû à la destruction de l'hormone antidiurétique par l'alcool. Ce qui entraîne une déshydratation et la gueule de bois qui s'ensuit, en particulier si l'on n'a pas eu la prudence de boire de l'eau afin de compenser ces pertes.
En outre de relativement récents travaux de V. Gerbaux et G. Kanny incriminent également l'éthanal. Ce composé se formant par oxydation de l'éthanol ... en particulier quand il n'y a pas de soufre (qui est un anti-oxydant).
Exit le "vrai" journalistique ... qui sent le soufre.
Depuis, Le Monde remet irrégulièrement le couvert. Et ce bien qu'il ait entre temps changé de plume.
Le dernier épisode est tout chaud : il vient juste de paraître et pourra être consulté ici même.
Cette fois il n'y a que 5 idées reçues à passer au crible de l'analyse critique.
Je ne fais qu'effleurer la première d'entre elles :
"On fait du vin avec n’importe quel type de raisin"dont on nous dit que c'est une idée reçue (admettons) et qu'elle est fausse.
Mouais : à supposer que ce soit une idée reçue, peut-être est-elle fausse ? Au moins un peu ?
Car je me souviens avec plaisir de mon stage de première année de DNO ... dans un chai où, chaque année, se vinifiaient 2 cuves d'un rosé de Muscat de Hambourg. Raisin de table s'il en est !
D'ailleurs ce vin sympathique reste, à ce jour, le seul que j'ai jamais bu et qui ait le goût de raisin.
Je vais rester bien plus longuement sur la seconde "idée reçue" :
"Dans une bouteille de vin, il n’y a que du jus de raisin fermenté "Hmmmm, cette phrase me semble annonciatrice de délices. Délices prenant la forme de l'habituelle litanie d'idées reçues.
Alors voyons ce qui suit.
En détail.
"Bien que cela arrive – et alors cela s’appelle du vin nature, ou du vin naturel –, cela reste très rare"OK.
Là, forcément, mes antennes se sont dressées dans l'attente d'un plaidoyer pro domo ... et de l'inévitable charge qui suivra afin de crucifier tous les expédients des tenants du mal absolu : la chimie, tout çà.
Je n'ai pas été déçu.
Ceci dit au delà du fait que - je me répète - le vin n'a rien de Naturel : c'est une création humaine éminemment culturelle !
"D’abord, depuis la fin du XVIIIe siècle, il est commun de chaptaliser, c’est-à-dire de rajouter du sucre dans le moût, avant la fermentation, pour augmenter le degré d’alcool final du vin. Avec le réchauffement climatique, la chaptalisation devient inutile dans de nombreux vignobles (les plus ensoleillés) et reste strictement réglementée en France."La chaptalisation est une technique nommée d'après celui qui l'a formalisée : JA Chaptal.
On en trouve trace dans son "L'art de faire les vins" dont l'édition originale remonte à 1801 :
Chaptal précise que cette méthode est destinée à apporter au moût ce qu'il aurait dû avoir naturellement, mais n'a pu accumuler pour les diverses raisons qu'il mentionne.
Avant de préciser les conditions pratiques de cette addition, il signale qu'elle est empiriquement pratiquée depuis l'Antiquité, en ajoutant du miel au moût.
Notons qu'il existe une méthode alternative et tout aussi antique.
Olivier de Serres s'y réfère (ici dans la 3ème édition de son livre : "Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs" qui est parue en 1605) :
"Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs". O. de Serres. 3ème édition (1605) |
Il ne s'agit plus d'ajouter du sucre, mais d'enlever de l'eau.
Du point de vue de la hausse du degré alcoolique le résultat est identique.
Alors on me rétorquera peut-être que c'est anecdotique.
Il est possible que ce le soit.
Il n'en reste pas moins que l'augmentation du degré alcoolique du vin est couramment pratiquée et décrite bien avant le XVIIIème siècle, et que ce qui est écrit est donc inexact.
De là à dire que l'on nous assène une idée reçue de plus, je vous laisse en juger ...
"Autre ajout fréquent, le soufre, en dose minime ou importante, sert à stabiliser et à protéger le vin. Enfin, de nombreux produits peuvent être ajoutés, bien qu’on ne les retrouve pas toujours dans la bouteille : depuis les fertilisants et les pesticides dans les vignes, jusqu’aux intrants au chai."Je ne reviens pas sur le soufre que j'évoquais dès l'entame de ce billet. Restent les fertilisants.
Les fertilisants ?
Sous un chapeau qui indique que : "Dans une bouteille de vin, il n'y a que du jus de raisin fermenté" ? et est suivi par : "de nombreux produits peuvent être ajoutés" ?!
Oui, mais "on ne les retrouve pas toujours dans la bouteille" ?
Genre y en a pas mais on les cite quand même, çà peut pas faire de mal ?
Parce que, bon : s'il y a des "fertilisants" dans une bouteille de vin, c'est un vrai sujet et il va falloir faire autre chose que 3 lignes anxiogènes et farcies d'idées reçues ...
Franchement ...
"Comme, par exemple, l’ajout de levures (pour faciliter la fermentation),"Comment dire (grosse fatigue) : s'il n'y a pas de levure il n'y a pas de fermentation alcoolique donc il n'y a pas de vin.
En outre des levures il n'en reste pas dans la bouteille ... sauf contamination indésirable ou à travailler en mode free style (aka "vin nature").
Quoi qu'il en soit : on utilise forcément des levures pour faire du vin, c'est acquis depuis Louis Pasteur. Et indigènes ou sélectionnées sont, intrinsèquement, la même chose.
"d’acide tartrique (pour acidifier), "OK.
On peut en effet acidifier à l'aide d'acide tartrique (cette pratique étant alors exclusive de la chaptalisation).
Notons toutefois que de l'acide tartrique il y en a toujours dans le vin. Pas seulement quand on en ajoute.
L'acide tartrique est même l'acide principal du raisin et de son jus, donc du vin. D'ailleurs l'acide tartrique vient de la vigne, et seulement de la vigne.
Bref : le vin étant le produit exclusif de la fermentation du jus de raisin il y a forcément de l'acide tartrique dans le vin.
Voir par exemple : "Le vin. Composition et transformations chimiques" de P. Taillandier et J. Bonnet (qui furent mes profs) :
"citrique ou ascorbique,"
Ici, même combat que l'acide tartrique : il y en a forcément dans le vin (enfin ... du citrique pas toujours ! certaines bactéries malolactiques le consomment donnant ainsi naissance, par exemple, au diacétyle, responsable du "goût beurré" de certains vins qui ont fait la FML).
Je n'y reviens donc pas plus que le temps nécessaire à préciser que l'acide ascorbique n'est autre que la Vitamine C.
"de charbon (pour corriger le goût et la couleur), "Oui, en effet.
Et on peut en débattre.
Mais pas ainsi, pas en prétendant qu'on en trouve dans la bouteille alors qu'il n'y en a pas puisque lorsque les charbons sont utilisés c'est pour être éliminés en compagnie de composés indésirables qu'ils ont fixés.
"de caséine ou d’albumine d’œuf (pour augmenter la limpidité du vin). Ce qui explique, au sujet de ces dernières, l’apparition d’un logo « vin vegan » "Nimportenawak.
En effet :
- Caséine de lait et albumine d’œuf sont bien des produits de collage destinés à fixer à leur surface des composés qu'elles vont entraîner au fond de la cuve, avant que l'ensemble ne soit éliminé par soutirage.
- Depuis la récolte 2012 les bouteilles de vin doivent porter la mention "contient du lait" ou "contient de l’œuf" si le vigneron a utilisé de la caséine ou de l'albumine et s'il n'est pas en mesure de présenter une analyse (test ELISA) attestant de l'absence de ces composés.
Mais il suffit de coller à la bonne dose et de savoir faire un soutirage pour connaître à l'avance le résultat de l'analyse : "inférieur à la limite de détection".
Auquel cas il n'est nul besoin de faire mention de la présence d'un composé qui est absent.
En revanche :
Ceci n'a strictement rien à voir avec le logo vegan !
En effet ce logo est là pour attester du respect de l'animal lors de l'élaboration du produit. Il ne s'agit donc en aucun cas d'informer sur la composition du vin !
Certes, apposer un logo Vegan implique que l'on n'a utilisé aucun produit animal, mais aussi que l'on n'a pas eu recours à la force animale à la vigne ou à toute autre utilisation d'animaux, et ce de quelque façon que ce soit.
Pour rebondir sur l'entame du papier que je commente ici : t'es en "vin nature" et tu laboures au cheval ?
Alors t'es pas vegan !
"et plus généralement de fréquentes demandes des écologistes auprès du Parlement Européen pour faire figurer la liste des composants sur les étiquettes."Soupir ...
Oui, la fameuse et désopilante proposition qui voudrait que l'on indique "contient de l'acide tartrique" quand on en a ajouté mais pas quand on n'en a pas ajouté (alors que le vin en contient tout autant).
Franchement ...
Que dire pour en finir avec cette histoire ?
(car je passe sous silence les "idées reçues" suivantes, quand bien même - doux euphémisme - ce que j'y ai lu ne m'a pas convaincu).
Dire, pour commencer, qu'une idée reçue est une opinion en forme de stéréotype.
Qu'elle est généralement assez largement répandue et a une évidente relation avec l'argumentum ad populum cher aux latinistes. Ainsi qu'aux populistes.
Car l'argumentum ad populum est, quant à lui, un vieux machin que l'on croyait disparu et qui re-surgit en force avec le développement des réseaux sociaux et des gourous bénéficiant d'un porte-voix efficace.
Ce procédé voudrait que sous prétexte qu'une idée est largement répandue, abondement répétée, voire publiée dans Le Monde alors elle devienne ipso facto l'expression de la pure vérité.
Ben non.
C'est faux.
Quand bien même ce procédé serait utilisé dans "Le Monde" et ses colonnes sous prétexte de combattre des idées reçues qui n'existent pas afin d'imposer celles que l'on trouve avantageuses.
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