Zugzwang





 Aux échecs, un joueur est dit en zugzwang lorsque la position dans laquelle il se trouve va se dégrader, et ce quel que soit le coup qu'il jouera.
C'est très désagréable d'être en zugzwang, et cela survient en particulier dans les finales de pions, quand les deux Rois sont en opposition.
Un truc sans espoir, le zugzwang puisque la meilleure solution serait de ne pas jouer, or il le faut.

Laurent Baraou
le sait aussi bien que moi, sans doute mieux. Car nous avons l'un et l'autre beaucoup joué aux échecs. Avec des fortunes variables ... et pour ce qui me concerne,  c'étaient plutôt des infortunes.
Des infortunes qu'une réjouissante et très récente victoire, au pied de la Chapelle du Condat, est venue compenser. Au moins en partie, car il n'est sans doute pas si glorieux de planter un joueur de club qui avait probablement passé la journée en désespérantes démonstrations. Mais si je l'ai sans doute un peu pris par surprise, en contre partie je lui avais laissé les blancs et l'ai battu à la loyale, dans la variante classique de la défense française que j'ai tant joué - et si mal - il y a si longtemps.

Quoiqu'il en soit, si avec Laurent Baraou nous ne nous sommes jamais affrontés de part et d'autre d'un échiquier, nous nous sommes trouvés en opposition il y a quelques années de cela, c'était à l'occasion de la sortie de son bouquin : "La face cachée du vin". Et je ne jugerai pas
ici de qui de nous deux s'est le premier, et dans cette opposition là, retrouvé en zugzwang.
Ce livre a en effet marqué mon début de commentateur énervé (et pour certains énervant) sur les réseaux sociaux.
Y avait de quoi commenter faut dire ... et sur ce terrain de l’œnologie (un terrain que je crois mieux connaître que la théorie des ouvertures, ou même des finales) il y a eu de quoi s'entre écharper.


Aussi, après tout ce temps et bien des échanges autrement plus cordiaux, répondre à son invitation à participer à une alter dégustation, en OFF de Vinexpo, avait quand même comme un petit air annonciateur de zugzwang.

J'y suis allé, et c'était à "La Robe".

L'idée, amusante, était de confronter des vins à l'aveugle.
Ces vins allaient par paires revendiquant une couleur et un "style", et étaient associés à un truc à grignoter pour jouer sur tel ou tel accord.
Ensuite, au premier étage du lieu, il était possible de découvrir les vins et - pour la plupart d'entre eux - de rencontrer leurs producteurs.



J'ai fait mon chieur en commençant par les bulles et non pas en finissant par elles, ainsi que le programme le prévoyait.

Duo de bulles servi sur une bouchée de manchego"


Servi en carafe (y a baleine sous caillou) c'est annoncé Champagne et c'est donc déroutant : y a zéro bulle, et on est plutôt sur un joli Chardonnay qui aurait quelques années de bouteille mais en gardant une agréable finale fraîche.
Blanc de blanc Brut Nature (2010). Champagne Charlot.


En contre coup on a l'impression (peut-être n'est ce pas qu'une impression ?) de se prendre des palanquées de bulles !
Notes toastées, sur du fruit. Bulle abondante (mais sans doute est ce en partie dû au contraste avec le précédent ?). En bouche, beaux arômes avec un côté mi miel / mi pomme. Pour amateurs de Champagnes vineux.
Cuvée Louis. Champagne Tarlant.


PS :
c'était l'occasion de croiser à nouveau Pierre Charlot, agréablement rencontré (en vrai) lors du dernier Vinitech.

PPS :
çà tombe bien que son Champagne ait un côté Chardonnay : du Chardonnay y en a.


J'ai, ensuite, repris l'itinéraire balisé
dans le sens prévu :

"Duo de blancs fruités servi sur une bouchée de radis noir"




Joli Sauvignon qui évite la caricature. L'aromatique est plaisante, mais le milieu de bouche un peu plat. Finale agréable par son aromatique.
Au final il s'avère que c'est un Entre 2 mers en 2016. C'est donc une belle réussite sur ce millésime.
Pey Vergès (2016)



Bon, là, çà sent le Riesling de chez Riesling, version hydrocarbure. Mais pas que. Aromatique exemplaire, belle fraîcheur, longue et belle finale. Du gras sans être sucraillon.
Superbe vin.
Ginglinger GC Ollwiller (2013)






"Duo de blancs puissants servi sur une bouchée de crevettes grises"



Belle quille par son aromatique fruitée (fruits à noyaux / exo), florale. Un petit côté confiserie légère. C'est ample, bien équilibré, et s'achève sur une agréable finale dont le léger amer redynamise le tout.
Le Blanc (2016). Turner Pageot.


Exo, floral, léger brioché / épicé. L'attaque est ronde, ample (mais manque peut être un rien de nervosité avec ce milieu de bouche un peu plat ?). La bouche offre elle aussi une belle palette aromatique. La finale est dynamique et permet d'agréablement prolonger le vin aussi bien d'un point de vue aromatique que structurel.
Hocus Pocus (2015). Microcosmos Chai urbain.

PS : c'était l'occasion de croiser Fabienne LV en vrai, et non pas seulement via les réseaux sociaux.


"Duo de rosés servi sur une bouchée de tapenade noire olives & pignons"




Nez de petits fruits, un chouia amylique peut-être, avec ce côté bonbon.
Bouche d'un bon volume, soutenue par une belle acidité. On aimerait que çà dure un peu plus longtemps, avant de s'achever sur le léger amer final qui ne dénote pas.
Gris de Toul. Lelièvre.





Ah, ah, ah : ben vas y, prends moi pour un lapin de garenne de 6 semaines ! Si ce truc est un rosé, alors moi je suis le fils caché de Rudolf Steiner et Johann Wolfgang von Goethe !
Bon, je suis face à un vin orange avec tout ce que j'aime pas dans ce genre d'exercice, depuis les notes d'oxydation profonde jusqu'à cette forte amertume. Je zappe.
Vin orange de Carignan blanc. Le Conte des Floris.





"Duo de rouges fins et fruités servi sur une bouchée de pain aux lardons"


Ça démarrait bien la plaisanterie, malgré un nez un rien animal ... mais çà s'achève sur cette vilaine finale sèche, amère, métallique. Phénols volatils, je le crains.
Je zappe.

Clos de l'Amandaie (2014)




Joli fruité / floral au nez.
Bouche ronde, à la matière agréable. Tanins doux et ronds.
Finale agréable et qui prête à la picole.
Le Marmot (2016). La Brande.
PS : vu que je passe quand même assez souvent chez les Todeschini et qu'ils sont globalement beaucoup plus costauds que moi, je suis relativement soulagé de me rendre compte que cette jolie quille vient de chez eux ...




"Duo de rouges natures servi sur une bouchée de jambon cru ibérico"


Plutôt sympa le pinard. Avec un petit côté étrange et venu d'ailleurs au nez, mais rien de décourageant. Peut-être aussi un poil de menthol, sur un joli fruit.
Bouche bien construite, tanins de qualité. Joli retour aromatique. Dommage qu'il y ait cette finale qui s'achève sur un côté vieux bois.
Ca reste une quille tout ce qu'il y a d'honorable.
Castel Vieilh La Salle (2007)
PS : une fois le vin révélé, je vais ajouter que c'est une quille tout ce qu'il y a d'honorable ... et qui montre une fois de plus qu'en 2007 il y a des jus qu'on boit bien, en moment !

Le nez est un rien douteux mais en bouche çà attaque plutôt bien, sur une jolie matière. Puis rapidement la volatile me gène tant du point de vue aromatique qu'avec cette finale qu'elle contribue à assécher.
Autrement (2014) de Lamery.

Même motif (peut-être un peu moins prononcé) sur la quille du haut.


"Duo de rouges structurés servi sur une bouchée du boudin"


Très beau nez de fruits et d'épices, où le bois est d'ores et déjà intégré malgré la jeunesse affichée dans le verre.
C'est rond, c'est puissant et c'est fort bon. Finale encore austère. Il faut attendre, et çà en vaut la peine.
1901 (2010) du Château Beauséjour
PS : une fois au premier étage j'ai reconnu Pierre, dont j'ignorais la présence ... et donc compris que l'un de ses vins était là. Mais je n'avais pas reconnu ce vin.
PPS : la mauvaise nouvelle c'est que je n'ai pas reconnu ce vin, alors qu'il y en a dans ma cave.
PPPS : ben la bonne nouvelle c'est, justement, qu'il y en a dans ma cave et que je vais donc continuer à l'attendre (surtout les magnums).

Sur la première quille, celle du bas, çà attaque bien puis viennent des notes d'acescence qui me gênent considérablement.
Ensuite, sur la deuxième bouteille - celle du premier étage - il en va tout autrement et le vin se révèle au mieux.
Belle matière, qui donne une bouche dense, ronde, a l'agréable aromatique. C'est rond, déjà accessible, agréablement expressif et j'aime beaucoup (peut être en contre coup de la déception causée par la première bouteille ?).
Pavillon de Taillefer (2014)

PPPS : le mec qui me fera manger du boudin n'est pas encore né.
PPPPS : après vérification c'est bien un 2014 et non pas un 2015 comme je l'avais d'abord écrit (car cela avait été annoncé ainsi)... ne remarquant pas que l'étiquette que j'ai photographiée annonçait 2014 ! ce qui n'a pas échappé à l’œil acéré de Daniel Sériot (merci Daniel).





A la toute fin, au premier étage et étiquette découverte, Jacques Broustet (Lamery) fait goûter ce qu'il annonce être un liquoreux :


Bon, ce truc c'est pas un liquoreux, c'est un OVNI ! ou, à la rigueur, un genre d'exercice de style : 2 millésimes (2001 et 2012) dont le suivant est assemblé à celui qui précède, encore en cours d'élaboration.
2 millésimes, dont chacun - ensemble et séparément - a fermenté comme il a pu jusqu'où il l'a pu, en laissant forcément des sucres vu la richesse initiale. Ici le taux de volatile atteint très probablement des sommets rarement égalés, sans que je trouve çà gênant vu la richesse de l'ensemble.
Autrement dit : je serais bien en peine de définir ce "vin" de quelque façon que ce soit.
Alors juste dire qu'il a un amusant et intéressant côté "écorce d'orange confite" et un équilibre sucre / acide qui tient plutôt bien la route. Même si le nez est assez strange.
Oui : c'est étrange et un rien perturbant - et pas qu'au nez -, mais c'est rigolo à goûter.

En fait, j'aime bien cet Oxymore.
Photo : I Albucher

Et pas seulement parce que c'est le genre de quille qui fait causer avec les yeux qui brillent, quand s'achève une très agréable soirée.








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