L'acidité volatile est à 20



Mon précédent billet essayait de poser de façon simple et compréhensible ce qu'est l'acidité volatile, d'où elle vient, ce que sont ses effets sur la qualité du vin, et dans quelles limites on l'y quantifie. J'y remerciais le petit groupe de personnes qui ont accepté de me relire avant de me faire part de leurs remarques. Je leur renouvelle mes remerciements pour leur accompagnement constructif tout au long de la rédaction du billet que vous êtes en train de lire, et y ajoute les deux qui m'ont aidé à améliorer ce billet peu de temps après qu'il ait été mis en ligne.

Ceci étant fait j'en viens à ce qui motive cette série sur l'acidité volatile : les récents ennuis que Sébastien David, vigneron à Saint Nicolas de Bourgueil et Président de l'association des vignerons bio de Loire a eu avec sa cuvée "Coef 16".

De quoi s'agit-il ?
Le constat initial est sans équivoque : la cuvée "Coeff 16" de Sébastien David a été interdite à la vente pour cause d’acidité volatile au-delà de la norme légale (qui est de 20 me/l).

Il y a également consensus sur la valeur de référence retenue par la DIRECCTE : 21.8 me/l, une valeur qui semble avoir été indiquée sans mention de l’incertitude analytique.
Toutefois, si l’on se réfère au texte OIV que je mentionnais dans mon précédent billet, l'incertitude de la méthode officielle est connue. Si nous nous y référons nous obtenons un intervalle de confiance allant de 21,1 à 22,5.
La limite maximum légale étant à 20.00 me/l : ite missa est.

C'est donc à ce stade que les choses se compliquent.

En effet, S David et son avocat (Me Morain) font état de deux contre-analyses qui donneraient des résultats inférieurs à la limite légale.
Et, début avril, Me Morain d'indiquer ces valeurs sur Twitter :







Il ne précise ni le labo, ni la méthode analytique, et ne montre pas les bulletins d’analyse d'origine.
Mais il indique l'incertitude analytique.

Alors : qu'en est-il de ces analyses ... que j'ai du mal à qualifier de "contre-analyses" dans la mesure ou il s'agit d'analyses pré et post embouteillage qui ont donc, selon toutes probabilités, été réalisées lors de la mise en bouteilles donc avant le contrôle de la DIRECCTE (août 2018).
L'AV a donc très bien pu évoluer entre temps.

- analyse pré embouteillage :
AV à 20,8 me/l, avec une incertitude de 1,17.
Soit un intervalle de confiance de 19,63 à 21.97 meq/l. J'avoue que le "donc 19.63 me/l" de Me Morain me file des boutons.

Etre incertain, c'est le principe de base de l'incertitude. On peut donc tout aussi bien craindre être encore plus au-dessus, que se réjouir d'éventuellement être un peu en dessous.

Le résultat analytique reste bien 20.8, et non pas 19.63 me/l.

Et ce même si l'on peut envisager que c'est 19.63 … tout comme n'importe quelle autre valeur entre 19.63 et 21.97 ! Mais le doute bénéficiant au demandeur on retiendra "donc" 19.63 au bénéfice de l'incertitude (et encore faut-il que ces analyses aient été faites sous COFRAC, entre autres réserves ... sur lesquelles il est compliqué de se prononcer vu le flou qui règne sur ces analyses et les conditions de leur réalisation).

- analyse post embouteillage :
AV à 20,2 avec un taux d’incertitude à 0,9.
Ce qui nous donne un intervalle de confiance de 19,3 à 21.2 me/l, n'en déplaise à Me Morain et son "soit 19.3 me/l".


Si l'on fait une comparaison graphique des trois valeurs disponibles et de la limite légale on obtient l'image suivante :



Quelques remarques à ce sujet :

- dans tous les cas
(même avant la mise en bouteille) on est au-dessus de la limite légale qui est matérialisée par le trait noir horizontal, quand bien même l’incertitude peut permettre d’espérer lui être inférieur.

- je ne comprends pas pourquoi on a, dans un cas, une incertitude à 1.17 et dans l'autre une incertitude à 0.9 me/l.
Les marges d'erreur de ces analyses
montrent qu'elles n'ont pas été réalisées par la méthode officielle, alors viennent-elles d'un laboratoire COFRAC ou de deux laboratoires différents ?
Bref toutes ces questions font se demander si elles peuvent être opposables
à la DIRECCTE.


- les trois résultats ne sont pas identiques mais leurs différences sont cohérentes avec ce que j'évoque dans mon précédent billet : reproductibilité et répétabilité.


- la différence plus marquée entre les valeurs d'autocontrôle et la valeur obtenue par la DIRECCTE pourra s’expliquer par les mêmes raisons et/ou par une évolution de la volatile en bouteille après mise en bouteille et avant analyse par la DIRECCTE (voir mon précédent billet sur les questions de stabilité du niveau d'AV d'un vin).

- les incertitudes, matérialisées par les moustaches au sommet de chaque histogramme, nous indiquent que dans la mesure ou les valeurs qu'elles encadrent en viennent à se chevaucher, au moins un peu, on ne peut pas considérer qu'elles sont significativement différentes.







L'ensemble de ces analyses semble indiquer que du point de vue normatif l'AV est pour le moins problématique, et ce dès la mise en bouteilles.
Ces éléments tendent donc à donner raison à la Préfète d'Indre et Loire  lorsqu'elle écrit :



« De plus un premier autocontrôle réalisé par le viticulteur donnait déjà les mêmes résultats que ceux de l'enquête DGCCRF ».

(je reviendrai dans mon 3ème billet sur les objections du genre : "les "experts" de la DGCCRF ne savent pas se servir correctement de leurs outils")




Au delà de ces arguties j'avoue qu'en tant qu'œnologue, je suis perplexe lorsque je suis confronté à de telles valeurs, et ce que l'AV soit à 19, à 20 ou à 21 et plus.
En effet, dans le cadre de mon activité professionnelle je m'étonne et m'inquiète lorsque je constate qu’un vin a pu arriver à ce genre de sommets, et ceci sans préjuger de l’évolution future du dit vin en termes d’AV et d’acétate d’éthyle, donc de qualité sensorielle (voir mon précédent billet).

Mais, à propos de qualité sensorielle, j'admets bien volontiers qu'il m'est arrivé de goûter des vins très jeunes dont les volatiles étaient déjà remarquablement élevées (analyses à l'appui) ... et de trouver que ces vins pouvaient parfois être bien mieux qu’"acceptables".
Cependant, au-delà de 15 me/l
d'AV force m'est de constater que ce fut (vraiment) extrêmement rare.
En outre ces vins auraient-ils été moins grands / moins plaisants avec une AV inférieure ? On me permettra d’en douter et, dans le même temps, de m’interroger sur leur évolution après quelque temps sous verre.

Quoiqu'il en soit : la règle c’est la règle ! donc en dessous de la limite tout baigne.
Dès lors qu'un vin rouge est à 19.5 ou même à 19.9 me/l d'AV c'est qu'il n’est pas à 20 : il est donc marchand.
Au moins au sens légal.


En conséquence de quoi on comprend que la défense choisie consiste à produire des contre-analyses afin de démontrer que l'AV n'est pas en dehors des clous, quand bien même elle serait à la limite du hors-jeu.
La défense a-t'elle produit d'autres analyses que celles figurant ci dessus ?
Peut-être.
Mais ces contre-analyses, si tout le monde en parle : personne ne semble les avoir vues, au delà bien sur des résultats indiqués plus haut.
Pour ma part, ce n'est pas faute d'avoir cherché mais je n'ai rien trouvé d'autre que ce qui a été communiqué par l'avocat de S David et que je commente ci-dessus.

En l'état il semble que les seules analyses fournies par le producteur et sa défense sont les deux que j'indique plus haut. Si un de mes lecteurs a d'autres informations, je me ferai un plaisir de modifier ce billet en conséquence.
Il en résulte que cette histoire de contre-analyses provoque une nouvelle fois ma surprise.
Et là ce n'est pas pour des raisons scientifiques et techniques.

Pourquoi donc ne pas avoir fait appel à un œnologue expert judiciaire ?!
Gérer ce genre de dossier est précisément de leur responsabilité !

Dans le cadre de leur mission, ils peuvent s'appuyer sur un panel de dégustateurs formés, avoir recours à deux laboratoires COFRAC utilisant la méthode officielle et ce après avoir collecté des échantillons représentatifs, et toutes sortes d'interventions rendant leur expertise inattaquable.

Or rien de tout ceci n'apparait dans les compte rendus que j'ai pu lire, et qui feront d'ailleurs l'objet de mon 3ème billet.
La défense me semble donc un rien légère, quand bien même les analyses seraient - ce qui semble être le cas - accompagnées d'un commentaire de dégustation par la laborantine, commentaire disant que le vin est : "acceptable", ce qui n'est pas, non plus, opposable à la DIRECCTE.


Alors f
aut-il faire un exemple de cette histoire ?
Chacun en jugera.
 
Sur la question de l'AV, il est évident j’ai un peu de mal. 






Et j’imagine que Sébastien David lui-même pourrait avoir du mal : n’est ce pas lui qui, en Mai 2007, demandait une modification de Décret AOC de St Nicolas de Bourgueil, avec limitation de l’AV à 0.9 mg/l (soit 18.37 me/l donc en deçà des résultats qui figurent ci dessus, même avec l'incertitude) ?


Sur ce cas précis, s'il y a une exemplarité, j'imagine qu'elle réside dans le constat suivant : chacun semble juger à l’aune de ses convictions et elles seules. Les faits sont secondaires … et c’est bien là qu’est, me semble-t’il, le vrai problème : la primauté de la conviction, voire la croyance, sur toute autre chose.





J’en viens donc à mon troisième et dernier billet, celui qui s'intéresse à ce qui s’est dit ici ou là :

"l'acidité volatile en vain"


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