Le renouveau du vignoble français : la guerre des clones.

 

Je ne voudrais pas avoir l'air d'insister, mais j'ai fait allemand première langue au Lycée. Ce qui m'a permis de constater qu'on ne parlait allemand qu'en Allemagne, en Autriche et dans les Lycées français. Aussi sur Arte.
Au bout de mon cursus, j'ai atteint le niveau subnul qui m'a permis de plafonner à 9 au bac. Une note totalement usurpée, du moins en 1979.
Totalement usurpée mais néanmoins suffisante pour m'étonner que : "Frankreichs Winzer - Tradition trifft passion" (à savoir : "Vignerons français - la tradition rencontre la passion") soit traduit par : "le renouveau du vignoble français".



Le pitch à grand renfort de "Savoirs séculaires", d’"arrachage de milliers hectares car la vigne meurt à petit feu" et surtout de cet odieux "Résistants" je m’en suis déjà exprimé dans un précédent billet.
Je n'y reviens pas.
Pourtant on pourrait causer des savoirs séculaires et de ce qu'étaient la vinification et le vin il y a quelques siècles. Mais j'ai déjà bien assez abordé le sujet sur ce blog.


Depuis j’ai vu « le renouveau du vignoble français ».
Ce nouvel avatar des documentaires télévisés ne renouvelle pas le genre. Ni l’inspiration.
Simplement sur ce coup-là le renouveau passe par deux vignerons en beaujolais et un pépiniériste.
Et le pépiniériste, ça c’est nouveau. 

Nouveau et bienvenu car son discours, qui amène un éclairage différent, se laisse écouter. Et en la matière c'est aussi relativement nouveau.
Il est vrai que pour ce qui concerne les pépinières je suis une grosse quiche et que, en outre, depuis la maman chèvre et les 7 biquets j’ai préservé mon âme d’enfant qui adore qu’on lui raconte de belles histoires.

Là, la belle histoire se fonde sur l'opposition entre sélection clonale et sélection massale.
Le parti pris du documentaire semble être que le grand public sait ce que sont l'une et l'autre méthode et qu'il est donc inutile de perdre du temps à nous dire clairement de quoi l'on parle.
En outre, de nombreux documentaires particulièrement bien construits et argumentés nous ont déjà très bien expliqué tout ce qu’il faut savoir des clones : les clones, c'est le mal absolu habillé d'un costume moule burnes.


Sinon, pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents car ils ne sont pas abonnés à Disney Channel il sera peut-être utile de revenir sur ce qui fonde la sélection clonale et, donc, ce qu'est sa démarche.


C’est somme toute assez simple :
- parcourir des parcelles de vignes, des parcelles anciennes, afin d’y repérer des souches d’intérêt.
- prélever là où ça semble prometteur.
- vérifier l’état sanitaire de ce qui a été prélevé, du point de vue des viroses.
- évaluer et valider l’intérêt viticole et œnologique des prélèvements.

 
A l’issue de ce process, les individus qui semblent intéressants sont multipliés en pépinière et proposés aux viticulteurs et vignerons.
En bref, pour l’OIV :

« Un clone est la descendance végétative conforme à une souche choisie pour son identité indiscutable, ses caractères phénotypiques et son état sanitaire ».

La sélection massale étant la seule qui soit présentée dans le documentaire il ne devrait pas être utile d’y revenir. Et pourtant …
Pourtant indiquer qu’elle est avant tout utilisée par des vignerons qui souhaitent conserver le patrimoine d’une vieille vigne.
C’est, par exemple, ce que fait Stéphane Dief, au Clos Manou sur sa parcelle de (très vieux) Merlot plantée en 1850, quand il a besoin de remplacer tel ou tel (franc de) pied.

Je ne reviens au documentaire et sa présentation de la sélection massale que pour dire ma perplexité. En effet quand la démarche de L Bérillon – la gentille sélection massale - nous est présentée, j’avoue avoir beaucoup de mal à voir en quoi elle diffère d’une méchante sélection clonale.
Car que fait-il ?
Il repère des pieds semblant intéressants, les suit pendant quelques années afin de sélectionner ceux qui du point de vue agronomique confirment l'intérêt suscité, s’assure qu’ils sont absents de viroses puis les multiplie avant de les proposer à ses clients.
OK, c’est une sélection massale et c’est cool puisque le mot « clone » lui a servi de repoussoir. Même si sélectionner des individus d’intérêt avant de les multiplier revient à faire des clones. On augmente le nombre de clones en s'assurant tant de leur intérêt que de leur inocuité.
Et c’est indispensable.


La suite au Mas de Libian.
Là c’est l’inventaire des maladies de la vigne. Inventaire à la Prévert, avec les figures imposées : Esca, Phylloxera, Flavescence dorée, 1970 avec l'"arrivée massive de la chimie et de la mécanisation" : tout serait de la faute des pépiniéristes qui ont, je cite : « fourni des pieds de merde ».
(la chimie et le vin on peut en causer en mode bon vieux temps, c'est assez rigolo)
Faute de raton laveur, à la toute fin la voix off nous apprend que cela fait écho au phylloxéra. Et à la greffe.
Bon, bien entendu, pas l’ombre d’une preuve. Tout ça vient en douceur, tout en suggestion.
Tout comme un scud - que je trouve regrettable - envoyé aux variétés résistantes.


Vient le Beaujolais, ses vins nouveaux et sa crise économique afin de glisser en douceur vers les "vins dits naturels ou vivants" et Jules Chauvet.
Donc le vin nu, « sans produits exogènes pouvant altérer sa pureté ».
Pas de développement. Les explications c'est vite chiant.
On oublie peut-être de préciser le parcours et la démarche de Jules Chauvet, donc sa précision. Nécessaire au process.


Hop : voici Julien Merle - en Beaujolais - et la figure imposée des chevaux.
Ça fait de belles images les chevaux.
Autour des chevaux il y a aussi des manquants à la vigne. La sélection clonale, sans doute.
Discours convenu dans ce genre d’exercice. Ainsi, amener alimentation (de synthèse) à la vigne reviendrait à :
"inciter la vigne à ne pas descendre" !?!
On peut aussi travailler la vigne et raisonner les interventions hein ?
Simple suggestion.
La suite est à l’unisson.
Florilège :
« Pour permettre une vinification naturelle la vendange manuelle est primordiale car les grappes entières favorisent les macérations carboniques propres au beaujolais »
Mais ... c’est obligatoire d’être en vendange entière pour faire une carbo.
En outre vinification naturelle et carbo spas la même chose hein ? Dans la nature t’arriveras pas à avoir une atmosphère saturée en gaz carbonique pour y faire ta carbo. Car c’est un choix d’itinéraire technique très humain, la carbo. Pas naturel, donc.
Et on a peut-être connu mieux que la carbo pour exprimer le terroir. Simple remarque, au passage.

« On s’est aperçus qu’en fait les vignes qui avaient le mieux résistés [à la sécheresse] c’est les vieilles vignes, c’est les sélections massales, celles qui ont des grandes racines qui voyagent sous la terre ».
« On a eu plus de problèmes avec les sélections clonales, donc avec des systèmes racinaires beaucoup moins développés ».
Ben oui. Dès lors qu’elles ont été bien menées, les vieilles vignes résistent mieux à la sécheresse. Et les vieilles vignes sont forcément issues de massale. Y a une corrélation, mais pas forcément une causalité.
Mais je veux bien que l’on m’explique et me démontre en quoi
et pourquoi, toutes choses égales par ailleurs, les vignes issues de massales ont un système racinaire qui sonde plus et mieux que les clonales.
Prenez votre temps, je ne suis pas pressé.

« Quand je faisais de l’agriculture avec de la chimie de synthèse les rendements tournaient autour de 60-70 hl/ha mais les raisins étaient malades puisqu’en fait le premier médicament qu’on mettait à la cave pour pallier la médiocrité de l’agriculture que je pratiquais, c’était du sucre. Parce que les raisins n’étaient pas assez murs. Depuis çà c’est quelque chose qui nous arrive plus parce qu’en fait les raisins arrivent à maturité et on est sur des potentiels de fermentation d’environ 12°5-13° ce qui est plus que convenable pour faire des vins de qualité ».
Ah ben c’est clair que si tu fais pisser la vigne entre 60 et 70 hectos par hectare et qu’en plus tu ramasses pas mur …
Au fait c’est quoi déjà le plafond de production en Beaujolais ? juste en Beaujolais hein ? ni en villages, ni même en cru ?
Rendement à 60 hl/ha, 65 pour le rendement butoir ?
ok.

Bref si tu tiens pas ta vigne et que tes raisins sont verts c’est la faute de la chimie de synthèse.
Mais ouais, en effet : spas la peine de bombarder en engrais. Merci de nous le rappeler.

Vient une jeune œnologue bordelaise :

« je suis œnologue depuis 3 ans maintenant, j’ai fait mes études à Bordeaux, donc un petit peu aux antipodes des vins nature, mais j’ai choisi justement de déconstruire un petit peu toute ma vision qu’on avait pu m’enseigner à l’école. Enfin moi je trouve que les vignerons qui travaillent en nature, moi je trouve que c’est des gens qui sont beaucoup plus précis puisqu’au final c’est eux qui vont aller chercher le processus pur de fabrication du vin. On fait du vin c’est sans filtre, on essaie absolument rien de cacher, c’est véritablement, moi c’est la vision du terroir pour moi c’est celle qui fonctionne le mieux, c’est celle qu’on essaie d’exprimer au travers des vins nature. »
De façon très étonnante, nous ne sommes pas d'accord. Et ce sans préjuger des enseignements dispensés à Bordeaux, en DNO (pour ma part j'interviens à Toulouse).
Car il me semble que c'est l'acquisition d'un solide bagage scientifique et technique qui permettra de comprendre ce qui se passe et d'accompagner la transformation du raisin de façon à permettre la révélation du vin qui s'y cache.
Sous une forme pure.
Et sans intervention qui ne soit pas "naturelle" si on le souhaite ainsi.
Ceci dit quoique l'on puisse bien entendre par « naturelle », le vin étant une création humaine, éminemment culturelle, et en aucun cas un produit de la Nature.
Mais si le postulat de départ est "le laisser faire absolu", en effet : pas la peine d'aller en Fac y passer un Mastère.
Quelle perte de temps !


A la cave, un remontage. Explication :

« je prends garde d’arroser surtout les bords de cuve, les angles »

OK ...
C'est quoi déjà le but d'un remontage ?
A priori s'assurer que toutes les parties solides soient bien humectées par le moût, et qu'il n'y ait pas de passage préférentiel de la phase liquide.
Forcément si on arrose les murs ça va beaucoup plus vite mais autant laisser le moût au fond de la cuve, ça ira encore plus vite.

Mathieu entre dans la cuve.
Nathalie :

"On crée une cheminée, là, maintenant, pour en fait pouvoir évacuer les raisins et faire un appel d’air pour le gaz carbonique. En fait c’est saturé de gaz carbonique dans la cuve"

Le gars est déjà dedans …
Good luck, mec.

« Personnellement lors de mes vinifications y a aucune intervention œnologique moderne »
« l’œnologue parce qu’on lui demande son avis, il a un devoir de résultat. Il va fermer toutes les portes pour cadrer la production et qu’il y ait jamais de problème, et on est arrivé à des dérives incroyables »
C’est quoi une « intervention œnologique moderne » ? parce que là dit comme ça ça fait super peur !
et les "dérives incroyables" ?
Et, non : l’œnologue conseil n’a pas un devoir de résultat, enfin sauf si on le lui demande expressément. Si tu lui demandes un avis ben en principe il te donne un avis, le sien. Après t'en fais ce que tu veux : c'est ton vin, pas le sien.
L’œnologue conseil a un devoir de conseil. C’est marqué dessus, d’ailleurs.
C’est en tous cas ainsi que j’ai essayé d’exercer ce métier : en donnant des avis, voire des conseils, et en m'adaptant aux circonstances. Pas en donnant des ordres.
Je ne crois pas être le seul.


Vient un questionnement au demeurant respectable sur le terroir, sa révélation et les choix techniques pour y arriver au mieux de ses convictions :

« faire des vins nature ça a jamais voulu dire qu’on faisait les meilleurs vins du monde, juste qu’on y mettait de la vertu, de l’éthique et de la morale »
Vertu, éthique et morale ?
Rien que çà !?
S’il faut se cogner l’intégrale d’Aristote avant de vider une quille de Beaujolais « nature » ça va vite devenir pesant, la plaisanterie !
En outre on ne demande à personne de faire "le meilleur vin du monde", d'ailleurs que serait donc "le meilleur vin du monde" !? Juste de faire du vin, juste et droit, c'est bien déjà. "Pur" diraient certains. Car qu'y aurait'il de vertueux, éthique et moral à commercialiser des vins tordus et plombés ?

Par contre de toute évidence : sur les étiquettes, et les noms de cuvée y a projet et concept.
Question de priorités ?

La voix off m’achève :

« Car boire du vin nature c’est avant tout bousculer ses habitudes gustatives et découvrir le goût d’un vin pur. C’est aussi adhérer à un mode de consommation durable et éthique. »
Un vin pur ?
Pourquoi "pur" ? parce qu’on fait le minimum en cave ?
Donc c’est pur ?
Et du coup c’est également durable et éthique ?
Sans déconner …

Et le renouveau des documentaires consacrés à la vigne et au vin, c’est pour quand ?
Histoire d'avoir des documentaires avec de la v
ertu, de l'éthique et de la morale.
Pas des trucs qui, une fois encore, nous prennent pour des jambons.

Commentaires

  1. D'accord sur le fond, et je n'aime pas non plus cette utilisation du mot "nature" à toutes les sauces. Avez-vous une meilleure suggestion lexicale pour dénommer ce que l'on entend généralement et grossièrement par les "vins dits nature" ? Soit dit en passant, il me semble que l'Homme fait partie de la nature, et qu'à ce titre tout ce qui vient de l'homme est naturel... Donc le débat Homme vs Nature n'a aucun sens :)

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    1. Je n'ai malheureusement pas de meilleure option : je suis un littéraire contrarié qui a fini par devenir un œnologue contrariant. Il faut avoir conscience de ses limites : donc rien à proposer. Ou peut-être est-ce tout simplement qu'il n'y a rien à proposer car nous sommes face à un concept marketing qui n'a pas de réalité scientifique et technique ? allez savoir ...
      ("vin sans aucun intrant, et sans aucun mécanisme plus compliqué qu'un sécateur" ? mais c'est peut-être un peu long)

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  2. Bonjour, votre syntaxes est assez imbuvable ( désolé du jeu de mot) mais les arguments sont intéressants.
    J’ai hâte de goûter votre vin et de découvrir votre film ( l’ultime ? ) sur la thématique du vin.

    Cordialement

    Julien

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    1. Je prends bonne note de votre argument sur ma syntaxe. Et sur mes arguments.
      Mais il se trouve que tant l'une que les autres me convenant parfaitement je n'envisage pas d'en changer.

      Par ailleurs : ne me positionnant à aucun moment sur la qualité réelle ou supposée de vins que je n'ai pas goûtés, ni sur la qualité cinématographique du "documentaire" je ne vois pas en quoi répondre à votre demande aurait quelque intérêt.
      Mais, puisque vous semblez vous intéresser à ma carrière audiovisuelle, je vous suggère de regarder (attentivement) "Gauguin le sauvage" et "Le Bounty" : j'y fais de la figuration.
      Il est vrai que l'on y parle assez peu de vin, mais ça permet d'éviter d'en dire trop de conneries.

      Bisous,

      André.

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