Le bio, le bon, la note


Ainsi que je l'écrivais dans "Le cosmique de répétition", mon article paru dans "En Magnum" #4 :

"Pourtant, si l'on prend son parti de l'axiome, pour ne pas dire du dogme, de départ : "que du naturel, pas de synthèse", le bio me semble reposer sur une démarche compréhensible, argumentée et, pour tout dire, techniquement et scientifiquement fondée.".
Car si je trouve que la démarche bio est, le plus souvent, argumentée et techniquement fondée il n'en reste pas moins que nombre d'affirmations de promoteurs du bio me semblent faire feu de tout bois. Parfois en dépit des démarches scientifiques et raisonnées qu'ils revendiquent.
En effet certains sont, me semble-t'il, en plein dans le processus de cristallisation décrit par Stendhal, dès le début de son "De l'Amour" : ne pouvant imaginer que le bio, ou quelque autre cause qu'ils ont décidé de défendre et promouvoir, ne puisse être nécessairement porteur de toutes les vertus imaginables ils les en parent par principe.

Il en va exactement ainsi de ceux qui non contents de nous chanter sur tous les tons que le bio sauvera la planète et l'humanité nous affirment que si faire du bio c'est faire bien, c'est aussi faire bon et, surtout, meilleur.
C'est ce que nous assène l'un des auteurs du travail auquel je m'intéresse aujourd'hui :
"« Les vins biologiques et biodynamiques sont en général de meilleure qualité », déclare Magali Delmas. Elle ajoute : « C’est un autre exemple de produits durables offrant des avantages supplémentaires aux consommateurs. »"

Car il s'agira, dans ce billet, d'une récente série d'études (2016, puis 2021) prétendant prouver que les vins bio sont meilleurs puisque mieux notés, donc dégustés, par tel ou tel critique.
On trouvera mention de ces études sur le site de l'UCLA qui en est partie prenante, avec Kedge Bordeaux.

Rappel à ceux qui me connaissent, et base préalable à toute discussion pour les autres, ainsi que je le répète depuis plus de 20 ans aux étudiants du Diplôme National d’œnologue qui me font, parfois, le plaisir de m'écouter :
- si on vous montre un résultat c'est qu'il est bon - quoique "bon" puisse vouloir dire -, sinon on ne vous le montrerait pas,
- en conséquence de quoi : les résultats on s'en bat les couettes avec une patte d'alligator transgénique, car ce qui importe avant tout ce ne sont pas les résultats mais bien la façon dont ils ont été obtenus.

Ici, comment les résultats ont-ils été obtenus ?
La première publication, qui est consultable en cliquant ici, permet de prendre connaissance du mode opératoire.
Pour ce qui concerne la nouvelle étude, française et qui se consulte ici (mais en anglais), selon les auteurs :

"Cette étude a été réalisée sur 128 000 vins français produits de 1995 à 2015, et évalués auprès de trois guides des vins réputés: Gault & Millau, Gilbert & Gaillard et Bettane Desseauve"

En dépit d'une sympathie affirmée pour Bettane & Desseauve en général et tout particulièrement "En Magnum" (leur revue, dans laquelle j'ai le plaisir de chroniquer) force est de constater que je suis un rien surpris. Voire dubitatif.
D'une part parce que le choix de ces 3 guides me semble relever du grand écart quant à leur approche du vin et à la façon dont ils la restituent. Voire le dégustent.
Pourquoi sont ils retenus ?
Parce qu'ils sont là.
Sont ils représentatifs, reproductibles, fiables ?
On s'en fout spas le sujet. Pas la peine de vérifier.

Car entre autres regrets il y a que les auteurs de l'étude n'ont pas pris la peine de comparer les notes et commentaires d'une même cuvée dans chacun des trois guides. De façon à caler les notes et leurs éventuelles divergences.
Aussi parce que nous n'avons aucun moyen de savoir ce qui a été noté par les experts retenus : le plaisir du moment ? le potentiel ? un mélange des deux ?
autre chose ?
Mystère.
On a une note, c'est ce qui compte.

Ceci dit, allons aux résultats.
Quels sont-t'il ?
Toujours selon les auteurs :

"- En moyenne, les vins certifiés bio sont mieux notés (6,2% de plus) que les vins conventionnels ou ceux ayant adopté un label sans contrôle par une partie tierce (lutte raisonnée).
- Les vins certifiés biodynamiques par l'association Demeter ou Biodyvin ont obtenu des résultats encore meilleurs; leurs scores étant en moyenne 11,8% plus élevés que ceux des vins conventionnels ou raisonnés. Les producteurs de vins biodynamiques utilisent des méthodes différentes de celles de l'agriculture biologique. Ils adaptent, par exemple, leurs méthodes de production (taille, récolte, etc.) en fonction des cycles saisonniers et lunaires. Ils intègrent également la vie animale dans le processus de production afin de créer et maintenir un écosystème équilibré.
"

De quels éléments les auteurs disposent-ils pour relier qualité des vins et positionnement de la taille et la récolte (etc) aux cycles saisonniers et lunaires ?
Rien, nada, que dalle, ouallou.
Quant à ceci :

"Ils intègrent également la vie animale dans le processus de production afin de créer et maintenir un écosystème équilibré."
D'une part çà ne repose sur rien et ne veut pas dire grand chose de concret mais, de plus, il va falloir nous expliquer en quoi cela pourrait influer la qualité ressentie par le dégustateur !

Magali Delmas indique que :
"Les raisins cultivés de manière conventionnelle utilisent plus de pesticides que la plupart des autres cultures ; cela met en danger la santé des travailleurs agricoles, de la faune et des communautés voisines".
Là aussi, là encore, on se rapproche dangereusement du sophisme. Pour deux raisons essentielles :
- "plus de pesticides" ?
qu'est ce que ce "plus", d'où sort-il ?
c'est "plus" car il y a plus de matières actives différentes ?
ou c'est "plus" car la quantité utilisée est supérieure ?
Encore une fois : l'approche pondérale est absurde. Ce qui compte c'est la toxicité jointe, quand on en vient aux vignerons et aux riverains, au mode d'utilisation et d'épandage. Qui se préoccupe de "plus" ou de "moins" si ce n'est pour faire des effets de manche ?
- en quoi l'utilisation de pesticides est-elle liée, objectivement, à la qualité sensorielle des vins ? de quelles études dispose-t'on sur le sujet ? (et que l'on ne m'oppose pas la tartufferie de messieurs Douzelet et Séralini : je me suis déjà exprimé sur cette triste farce).

Bien sur nous n'échappons pas aux figures imposées :

"Les dangers de l’utilisation des pesticides dans la vinification ont été mis en évidence de façon spectaculaire en 2014, lorsque des enseignants et des élèves d’une école rurale de la région de Bordeaux ont été hospitalisés en raison d’une exposition aux produits chimiques toxiques. Des manifestations ont suivi et les vignerons ont dû faire face à une forte pression publique. Depuis, l’industrie du vin en France a évolué plus rapidement vers des méthodes respectueuses de l’environnement et développé la certification."
Au delà du fait qu'il ne s'agit pas de vinification mais de viticulture, et que çà n'a rien à voir, faut-il donc rappeler que l'un des deux vignerons était en bio ?
Et, encore une fois, quel est le but de ce papier : dire le bon et le moins bon ou faire une charge tous azimuts contre les pesticides ?
Car enfin : on a parfaitement le droit de s'en prendre aux pesticides et de vouloir diminuer leur utilisation.
Mais de grâce ne mélangeons pas les genres en jouant à ce petit jeu sous couvert d'une publication scientifique supposée se pencher froidement sur l'évaluation objective de la qualité sensorielle du vin !

Mais je laisse les commentaires des auteurs pour en revenir à la publication elle même
:
"However, self-declared eco-labels that include non-certified sustainable practices, received similar ratings to conventional wines in the best-case scenario. This indicates that non-certified sustainable practices can be associated with greenwashing and endanger the perceived value of eco-labels more generally."

Mélange et confusion des genres, encore une fois !
Puisque les auteurs n'observent pas de différence de note de la qualité des vins, ils en concluent que ce qui n'est pas labellisé est du green washing !?
De qui se moque-t'on ?
Faire sain ou, du moins, faire plus sain n'implique pas nécessairement d'avoir une meilleure note dans tel ou tel guide. Surtout quand c'est une note comparative par rapport à un autre échantillon dont on ne connaît pas les autres différences ! il n'y aurait, dans les vins, d'autres différences que celles liées à l'utilisation de tel ou tel pesticide à la vigne ? sans déconner ...
En principe, quand on fait une étude scientifique afin de mesurer l'effet d'une variable, on fait en sorte que cette variable soit la seule variable. Donc ici : on devrait comparer bio, biodynamie, conventionnel ... toutes autres choses égales par ailleurs. Sauf que non : on prend des notes et on compare les moyennes qui en découlent.
Comparons les notes obtenues par les vins de Pontet-Canet et ceux de la Cave Coop de Pauillac. Si Pontet-Canet est mieux noté c'est forcément l'effet de la biodynamie.


"To avoid relying too heavily on one expert’s taste regarding eco-labeled wine in our analysis, we collected information about our dependent variable, wine quality, from three influential French wine expert publications: Gault Millau (GM), Gilbert Gaillard (GG), and Bettane Desseauve (BD) from 2008 to 2015."
Gault et Millau ? à partir de 2008 ?
Amusant : 2008 est l'arrivée de mon grand ami Pierre Guigui au Gault et Millau.
P Guigui ... qui chante sur tous les tons la supériorité du bio et l'infinie supériorité de la biodynamie. Il organise même un salon qui leur est dédié. De façon étonnante ses notes disent la même chose. On doit pouvoir considérer qu'il est juge et partie et que cela peut-éventuellement poser un problème de fond.

C'est, en outre, un déontologue de renom qui, dans cette enthousiasmante vidéo, nous fait bénéficier de son approche très personnelle de la dégustation et de sa restitution chiffrée.

D'ailleurs :
"For example, both GM and BD use semi-blind tasting methods, while the wines rated by the GG team are tasted blindly."
Ça aussi çà pose question.

Vous voulez de la science et de la rigueur ?
Pourquoi donc ne pas avoir organisé une dégustation "à la Reignac" avec des vins ne différent que par leur certification ?
Dans ces conditions, on pouvait même faire goûter Pierre Guigui, et plein d'autres !
Oui, dans le cas de l'article que je commente :
1. des vins ne différant que par leur mode de certification, tout le reste étant identique (cépages, terroir, façons viticoles, mode de vinification, millésime, vigneron, appellation, ...)
2. une dégustation à l'aveugle, "à la Reignac".

Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette histoire :




En outre, que l'on annonce goûter à l'aveugle ou pas, dans la mesure ou on le fait seul et que, ensuite, on rédige librement ses commentaires on n'est pas à l'abri de l'image que l'on se fait du vin et de son évolution probable, ou possible (voir plus haut la façon dont Pierre Guigui dit adapter ses notes, une fois qu'il les a attribuées).

En outre, ceci me laisse perplexe :

"We match organic, biodynamic, and reasoned agriculture wines to conventional wines based on color, appellation, region, and varietal. There are many appellations and varietals, with some that include only a handful of wines."
Et le millésime ? 
Sérieusement : du point de vue de la qualité comparée des vins - estimée par la note qu'ils obtiennent - les certifications sont essentielles mais le millésime on s'en bat les couettes ?
C'est une blague ?


"Winemakers provide several reasons for the link between sustainable wine practices and quality. First, they argue that chemicals used in conventional viticulture kill some important organic components of the wine that lead to its quality. Each region has its own unique microbes that live on the skin of the grape and contribute to the unique “terroir” of the wine."

Bullshit !
Rien (R-I-E-N) n'indique que le consortium microbien présent en un moment donné en un lieu donné - fusse une grappe de raisin sur quelque terroir que ce soit, lors d'un grand millésime - est de ce seul fait le plus à même de fermenter le moût pour donner le vin que, culturellement, nous qualifions de "vin de terroir".
Cette vision ne repose sur rien de plus que du marketing rousseauiste.

"Second, organic and biodynamic practices are associated with a reduction in yield through pruning and thinning, disease incidence and general physiological performance (Döring et al., 2015). This lower yield could explain a rise in quality."
Ouais : ça peut.
Ou pas.
Plutôt "ou pas", car la relation entre le rendement et la qualité n'est pas linéaire.
En outre ce que l'on nous dit peut aussi être interprété ainsi : ces méthodes ne fonctionnent pas puisqu'elles ne protègent pas la vigne ni les raisins, du coup on a moins de raisins mais ils sont meilleurs.
La prime à l'inefficacité ?
J'adore le concept !


"Third, sustainable practices are more labor intensive than conventional practices. This might lead to more tailored attention to the vine and therefore an increase in quality (Weber et al., 2005). Indeed, while a vineyard soil and climate are fundamental for wine quality, wine management practices have also important impact on wine quality (Jackson & Lombard, 1993)."
Que plus d'efforts donne de meilleurs résultats m'a longtemps été répété par ma grand-mère. Normal : c'est une croyance judéo-chrétienne qui est profondément ancrée en nous, dans notre patrimoine culturel.
C'est rassurant.
Comme bien des croyances.
Toutefois, ça reste à démontrer expérimentalement.

"Our findings indicate that experts have a positive opinion of the quality of organic and biodynamic wines."
C'est bien ce qui me gène : l'opinion des experts.
Autant dire leurs a priori.

Ce qui suit confine au génie :

"Figure 1 depicts how one representative producer practicing conventional agriculture could gain in quality by moving to organic practices (marginal gain = +6.2 pp) and eventually to more constraining biodynamic practices (marginal gain = +5.6 pp). Switching from conventional to biodynamic practices directly would result in a boost of 11.8 pp in quality. However, switching to reasoned agriculture would not change quality in a significant way (marginal gain = 0 pp). "

Voilà, amis vignerons conventionnels : vous ne vous contentez plus du pauvre 14/20 que vous donnent les guides viniques ?
Qu'à cela ne tienne : convertissez vous à la biodynamie et, par voie de conséquence, vos vins ne vaudront plus ce triste 14 mais seront boostés à un bon gros 14 * 1,118 = 15.5.
C'est grotesque.

Un dernier pour la route ?
Allez, soyons fous :
"Alternatively, experts could penalize them because they know the practices are of inferior quality than the conventional practices."
Est-ce à dire que les auteurs de cette publication remettent en cause l'objectivité des experts ?
Qu'ils pensent que les experts pourraient noter non en fonction de la qualité du vin mais en prenant en compte des facteurs éminemment subjectifs ? des trucs du genre : "c'est ni en bio ni en biodynamie donc c'est forcément moins bon" ?
Je n'ose y croire ...
Car cela remettrait en cause toute la publication des mêmes auteurs.

Alors : Rocket science ou Mickey Mouse science ?
Comme toujours : chacun jugera à l'aune de ses convictions.





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