Bulgarie (26/04/2006)

Prologue

Il tombait plutôt bien ce déplacement en Bulgarie : 1 semaine à tourner dans les caves pour y faire le malin en prêchant la bonne parole. En plus, le distributeur Bulgare a soit disant lu certaines de mes publis, je suis donc (relativement) célèbre en Bulgarie.
Parfait pour me changer les idées.
Bon, bien sûr je n’ai pas la moindre idée de qui je vais voir.
Bien sûr, je n’ai pas de planning.
Bien sûr, je n’ai aucune information sur le niveau technique de mes interlocuteurs, pas plus que sur leurs besoins.
Mais tout çà relève, bien sûr, du point de détail : l’important est de partir vers un ailleurs.

J’avais récemment obtenu un nouveau passeport. Ma valise était à moitié faite, et à moitié pleine de toutes sortes d’échantillons imposés en dernière minute par ma collègue en charge du marché Bulgare (il fallait espérer que les douaniers s’en foutent).

Avant de partir il y avait encore quelques bricoles à faire.
Entre autres m’inscrire au vide-grenier de mon bled, prévu 10 jours après mon retour. Sur le thème : « çà occupera la journée, et puis ce qui sera vendu n’aura pas à être déménagé ». Le répondeur de l’association organisant le vide-grenier annonçant la possibilité d’une inscription par correspondance (sous réserve de joindre une photocopie de pièce d’identité) je profitais d’un passage à La Poste le samedi matin précédant mon départ pour y photocopier mon joli passeport tout neuf. L’après midi, trouvant ridicule de m’inscrire par correspondance alors que çà pouvait se faire en 2 minutes pas très loin de chez moi, j’allais sur place. On m’y demande, bien sûr, ma pièce d’identité. C’est donc là que je me rends compte que j’ai laissé le passeport dans la photocopieuse. Le pignouf qui s’occupe des inscriptions au vide-grenier me dit : « c’est pas grave vous avez la photocopie du passeport, et on voit le numéro dessus ». Je lui réponds que pour passer la douane ce sera un peu juste de voir le numéro sur la photocopie. Ce à quoi, imperturbable, il me dit : « oui, mais moi je peux vous inscrire au vide-grenier ».
C’est imparable.

Bien sûr, La Poste est fermée le samedi après-midi.
Bien sûr, l’agence de voyages corporate est AUSSI fermée.
Bien sûr, Lufthansa me dit que seule l’agence qui a pris le billet peut modifier celui-ci.
J’explique alors gentiment que La Poste ouvre à 8h30, que mon avion part à 7h30, et que je suis salement dans la merde. Que donc si on pouvait régler çà de suite, çà me permettrait de m’organiser.
Un peu.
Compatissants (ou excdés ?) ils me changent le billet : départ à 11h, suivi de 7h de transit à l’aéroport de Francfort et arrivée à 23h à Sofia. Une demi-journée perdue. Mais je ne vais pas faire le difficile … J’envoie donc un mail aux bulgares.

Lundi matin je récupère le passeport qui fort heureusement n’a pas bougé de la photocopieuse. Le Bulgare me prévient par téléphone qu’il me réserve un hôtel à Sofia, qu’on partira mardi à 7h du mat, et qu’on finira tard pour rattraper le retard pris. Super.
A Francfort je passe le temps en préparant une présentation sur la nutrition des levures pour des espagnols, et à essayer d’envoyer des mails. Vivent les hotspots wi-fi dans les aéroports !

Mon Bulgare me téléphone 2 ou 3 fois pour me dire qu’il va m’envoyer l’adresse de l’hôtel où il m’a réservé une chambre, et que dès que j’ai reçu son texto je dois lui répondre pour lui confirmer que tout est en ordre. A 19h40, avec 20 minutes de retard, j’embarque. Toujours pas reçu de texto du Bulgare. Avant j’ai essayé de lui téléphoner : un coup je suis tombé sur l’option fax de son putain de téléphone fax, l’autre sur une voix qui dit des trucs (sans doute) en Bulgare et dont le message se finit sans laisser la possibilité d’en laisser un, de message.
Dans l’avion je me demande ce que c’est la monnaie en Bulgarie. Parce que, le taxi, il prendra sûrement pas les chèques tirés sur le Crédit Lyonnais. A supposer que je sache où lui dire d’aller, au taxi …
Puis je me dis que vu comme c’est parti, çà vaut peut-être la peine d’en faire une chronique de ce voyage …


Logue

Découverte
En fait à l’arrivée çà a été presque décevant : un coup de tampon sur le passeport, un sourire au douanier, un « yes » au mec qui me demande si je veux un taxi.
En plus c’était VRAIMENT un taxi. Bon j’ai fait le tour de la ville avant d’arriver à l’hôtel. Et çà a pris le temps nécessaire et suffisant pour qu’il me propose 36 fois de changer d’hôtel car il en connaissait des mieux et moins chers. Aussi pour qu’il me propose toutes sortes de tournées touristiques à payer en Euros ou en Brouzoufs.
Tout était en ordre.
Bon presqu'arrivé à l’hôtel il a un peu poussé en faisant le tour de la (grande) place par la droite au lieu de prendre tout droit pour être directement à l’hôtel.
L’hôtel … hall stalinien immense et farci de marbre. La chambre on aurait dit un hall de gare (pour la taille, pas pour la fréquentation), avec une connexion haut débit. J’aime décidément les voyages. Ils auraient rajouté un chat chiant, je me sentais à la maison (au fait j’ai pensé à lui laisser à bouffer au chat ??).


Itinérances
Bon, le 1er matin il a bien fallu se lever (Il y a une heure de décalage horaire en Bulgarie. Dans le mauvais sens). L’avantage c’est qu’au petit déj y avait pas la queue. Bon y’avait pas non plus tout de disponible. Enfin, du coup j’ai bien aimé les champignons de Paris au persil et à l’ail. Avec le café c’est space, faut bien dire. Mais, bon, vu que la veille je m’étais juste mis 2 sandwichs Lufthansa dans le gosier (et un abominable café allemand) …
Sinon, un poil plus tard, y a un grand sifflet qu’est rentré dans le hall de l’hôtel. Y avait que lui et moi. Il a téléphoné. Mon téléphone a sonné aussitôt. J’en ai conclu que c’était lui. Il en a visiblement conclu que c’était moi. Bref c’était nous. On a couru l’un vers l’autre « chabadabada, chabadabada, … ». Euh non, en fait … (çà lui a coûté un appel vers la France. J’adore).

Première prise de contact avec les routes bulgares et les villages et villes qu’elles traversent.
Côté constructions, assez souvent, c’est à se demander s’ils n’ont pas fini de bâtir ou s’ils sont en train de démolir. Les deux peut-être ? Quand le bâtiment est une centrale nucléaire c’est pas super drôle. A voir l’aspect extérieur de la centrale nucléaire, je comprends mieux cette demande insistante de l’Europe pour la fermer, la centrale (on dirait qu’elle l’est déjà, fermée, d’ailleurs …). Et le fait que les subventions européennes pour en construire une toute belle à la place se feront (un peu) avec mes impôts, finalement, çà me dérange pas.
C’est marrant, ce doit être un concept : dans une des caves y’a un poste de contrôle de la cuverie : on dirait justement un poste de contrôle de centrale nucléaire. Impression d’être à Tchernobyl (d’autant que l’ambiance générale me fait furieusement penser à « la supplication » de Svetlana Alexievitch).


 On me précise avec fierté que la conception est française (et ensuite que çà fait un bail que l'on n'utilise plus).
Bref … les routes bulgares sont à l’unisson : c’est le concept du gruyère appliqué au macadam. Soit disant, tous les ans elles sont parfaites, car refaites. Puis elles sont complètement niquées par les hivers et dégels qui s’ensuivent. Soit. N’empêche : mon bulgare il conduit à fond et en zig-zag entre les trous. C’est surprenant. En 5 jours j’ai failli mourir que 2 fois. Il est doué.

De temps en temps on est doublé par de grosses Audi ou BMW noires, aux vitres fumées et avec des immatriculations genre 6666 XX. Une fois, deux fois 2 tonnes d’acier noir nous ont doublé. C’étaient 2 Audis immatriculées pour l’une 8989 AA et pour l’autre 9898 AA. Identiques, énormes, pleins phares et pleine vitesse. Au milieu de la route.
« The mafia » m’a dit mon bulgare, en se rangeant prudemment.
Dans la plupart des hôtels y’avait ce genre de bagnoles garées devant. Avec des mecs à côté desquels De Niro ressemble à un petit Mickey.

Goûté des vins plutôt bons.
Mon premier vin bulgare c’était en 1989. Je travaillais à Londres à l’époque. Et j’étais pas du tout dans le trip pinard. A l’époque je travaillais pour l’interprofession des fruits et légumes et contrôlais la qualité des pommes françaises sur les marchés de gros du Royaume-Uni. Soupir … y’a vraiment des jobs, j’te jure …
J’en ai pas de souvenir de ce pinard. Je savais pas, à l’époque, qu’il y a du vin et qu’il y a du pinard. Et que c’est pas pareil. Me souviens juste qu’il était bulgare. Le second je m’en souviens mieux : c’était chez Anne. Un repas de fin d’année. Curieuse ambiance. David G avait amené un vin bulgare (ou serbe finalement, peût-être ?). David, à l’époque on était déjà amis et encore salariés par la même boite. On est toujours amis, mais concurrents. Son vin bulgare il sentait les pieds. C’était affolant de puanteur. Un cas d’école.

Bref ceux que j’ai goûté là bas étaient plutôt réussis. Ramené quelques bouteilles, bien sûr. Plutôt bons, sauf chez les deux pignoufs. Deux mecs hallucinants ceux là. Le genre qui te pose une question et enchaine sur un sujet complètement différent alors que t’es en train de commencer à répondre à la première question.
Y m’ont déprimé ceux là. En plus ils travaillent surtout pour la Russie ... donc ils font du volume pas cher et pas bon. Retour aux bases.
Heureusement, le soir même, au resto, on tombait sur Vladimir V. Je le connaissais que par mail V. Tous les 5 ou 6 mois il m’envoie une question qui me fait tordre les neurones. Là il m’a pris en direct live pendant ma salade. Impressionnant le petit père V : son français est hallucinant ! toujours le mot précis au bon moment. Une maîtrise de la langue plutôt rare, même en France (surtout en France ?).
En plus il sort des vins fort bons, le coco !
Bulgarie, terre de contrastes.

Oui, la salade …
Ils doivent avoir des hectares et des hectares de concombre en Bulgarie ! ou alors une balance commerciale plombée par les imports de concombre ! y’en a partout du concombre ! (je déteste le concombre !).
Y a de la feta partout aussi. Marrant je croyais que c’était grec ce truc. Faut dire que la Grêce est pas loin.
Bref, la salade : me suis mis aux coutumes locales. Certaines en tous cas. Celles de la salade par exemple : le soir y’a salade en entrée. La salade à la mode bulgare c’est couvert de feta rapée et çà se mange avec du rakia. Le rakia, c’est le raki bulgare.
Cà tombe plutôt bien : çà permet de faire passer le concombre ! genre une bouchée de concombre / un coup de rakia pour faire descendre. Le seul truc c’est qu’il faut pas que le restau soit loin de l’hôtel.
Cà fait mal à la tête, la Bulgarie.
Presque aussi mal que la Croatie.
L’année dernière, lors du séminaire externe que l’on avait fait a Primosten on a eu une soirée mémorable ! On sort de l’hôtel pour aller a Primosten. On tombe sur LE bar à karaoké. La patronne nous dit « je ferme à 21h30 ». Il était 20 h 30. Donc on prend nos précautions : comme on ne savait pas si on allait boire de la bière ou de la Slibovitch on a commandé les deux (la Slibovitch c’est un truc à base de prunes qu’on met dans les moteurs d’avion).
Du coup la patronne elle a fermé à 23h30. On a du lui faire son chiffre d’affaires du trimestre.
La Slibovitch, c’est bien pour chanter du Dalida en Croatie. Y faut au moins çà remarque.
A la fermeture comme tout le monde était pas encore complètement vitrifié un groupe d’éclaireurs s’est formé. J’ai essayé de m’échapper, ils m’ont rattrapé.
On a fini dans un bar glauque. Pour simplifier on a commandé que de la Slibovitch … cul sec çà déchire le kérosène !
Une fois que les autres ont été trop cuits pour courir j’ai fini par réussir à fuir.
Choix cornélien au sortir du bar : genre « soit je trouve l’hôtel dans le ¼ d’heure qui suit, soit je dors dehors ». Coup de bol je trouve l’hôtel. C’est marrant : quand on marche pas droit les distances rallongent.
Je traverse le hall aussi dignement que possible.
Fort heureusement le couloir qui mène à mon bâtiment est assez étroit. Furieuse impression d’être une boule de flipper au lancement.
Je monte à pied à l’étage : les accélérations de l’ascenseur, je suis pas sûr de supporter.
Arrivé à ma porte, pas moyen de mettre la clef dans la serrure : elle bouge tout le temps.
Je me mets à genoux devant la porte. La tête appuyée contre la dite porte. 3 points d’appui c’est plus stable. Je tiens la clef à 2 mains et ferme un œil. Victoire : je rentre la clef et la tourne. La porte s’ouvre.
Je perds l’appui de ma tête contre la porte.
Je tombe en avant en m’endors sur place, les pieds et tibias dans le couloir.
1 ou 2 heures plus tard je suis réveillé par les autres qui rentrent. Le temps qu’ils montent les 2 étages je réussis à me convaincre qu’il faut que je me lève car s’ils me trouvent je suis cuit. Je me lève, dépose une gerbe à la mémoire des distillateurs croates, et me vautre sur le lit.

Ben oui, çà sert (surtout) à çà, les séminaires

Le deuxième soir …
C’était le deuxième ou le troisième ? au bout d’un moment tous les jours se ressemblent : se lever tôt, prendre le petit déj à l’hôtel (d’ordinaire j’aime pas çà. Je préfère aller à côté, ailleurs), la voiture, rouler, voir des mecs, parler pinard, enzymes, levures et autres tanins, reprendre la voiture, pas bouffer car pas le temps, voir d’autres mecs, leur dire les mêmes choses. Au bout d’un moment c’est le pilote automatique qui prend le relais. Des fois il y a un éclair de conscience, c’est là que je me demande si ce que je vais dire c’est à eux que je l’ai déjà dit, ou à ceux d’avant. La dernière fois que çà m’avait fait çà c’était en Roumanie. Il y a 4 ou 5 ans. Un grand moment la tournée Roumaine avec Nenad M, Liviu G et Gordana V. A la fin des fins, avec Nenad, on gisait au fond de la caisse de Liviu, comme des naufragés.


Il me reste pas des masses de souvenirs de la Roumanie, à part l’état de décrépitude et les chiens errants.
Marrant le truc des chiens errants : il y avait eu un grand programme d’urbanisation en Roumanie. « urbanisation », à sauce la Ceaucescu, çà voulait dire « vider les villages, entasser les ex villageois dans des immeubles à côté desquels Bénidorm fait figure de vision écolo futuriste et, ainsi, disposer d’une main d’œuvre abondante à proximité des centres industriels ».
Le rapport avec les chiens ?
Simple : les villageois ils avaient des chiens, avant, dans leurs villages. Mais dans les immeubles : makache bonno pour mettre les klébards ! du coup c’était gavé des meutes de chiens errants à moitié sauvages. Quelques centaines de milliers. Et les programmes d’éradication n’y changeaient rien.

Non, il me reste encore un ou deux autres trucs de Roumanie …

J’avais aussi pris un vol Lufthansa.
Via Munich, cette fois.
Cà aurait été Garuda Airlines, encore, j’aurais compris. Mais, franchement, Lufthansa et Munich ...
(pourquoi Garuda Airlines ? Garuda Airlines c'est un grand moment de bonheur ce vol entre Java et Bali. Les hôtesses faisaient le service (des trucs locaux vachement bons !) avec un caddy de supermarché. Du plus jamais revu ! C’était y a longtemps pourtant.)
Bref, ils m’ont perdu ma valise. Ces cons de la Lufthansa !
(Si même les allemands deviennent inefficaces c’est que l’Europe est en marche et que plus rien ne l’arrêtera. Encore un effort et ce vieux rêve dans lequel la Suisse serait le pays le plus sale du Monde se réalisera)
Et, ensuite, pas moyen d’en retrouver la moindre trace : comme désintégrée, la valoche ! Lost in space. Remarque, çà m’a permis de m’acheter des fringues roumaines.

 C’est pas mal les fringues roumaines achetées le lundi matin à la première heure au Métro de Bucarest. Le seul problème c’est que des journées de 16 – 17 ou 18 heures, par 40°, dans un truc en acrylique çà revient à se rouler dans une fourmilière après s’être enduit de mélasse.
Lors de notre première – et seule – sortie (c’était au début. On était encore un peu frais. Encore. Puis ma chemise sentait pas encore trop le furet. Puis on s’était pas encore tapé 3 000 bornes en 5 jours dans une caisse pas climatisée, par 40°), dans une boite bondée, l’ami Nenad se fait aborder par un local. Ils discutent. Le gars se casse. Le lendemain Nenad me dit : « le gars qui était venu me parler, il me demandait si on voulait qu’il nous présente des singles. Bien sûr je lui ai dit non ».
Ambiance ...


Bref …
Le troisième soir c’était !
Mon Bulgare m’avait dit qu’en fin de journée on avait rendez-vous dans un hôtel. Je sais plus dans quelle ville. Ancienne capitale de la Bulgarie. La ville avait l’air sympa.
L’hôtel moins. Hôtel Bulgaria. Un grand machin avec le confort moderne et impersonnel.
Jusqu’à l’hôtel Bulgaria, les histoires de mafia, je trouvais que çà sentait un peu la légende urbaine.
Y avait les Audi et BMW devant l’hôtel bien sûr. Et à côté un groupe de mecs qui auraient fait avorter une couvée de chimpanzés, tellement ils avaient l’air sympas …
C’était rien à côté de ceux qui étaient vautrés dans les fauteuils du bar. D’authentiques tronches de tueurs.
Le bar donnait sur le Casino de l’hôtel.
A l’entrée un panneau : « armes et appareils photos interdits à l’intérieur »
Finalement le plan Mafia, c’est peut-être pas une légende urbaine …
Bref, le rendez vous est arrivé. Une bulgare toute mimine avec un schtroumpf de 4 ou 5 ans.
Il s’est assez vite avéré qu’ils parlaient pas pinard. Donc j’ai replongé dans un semi coma contemplatif hésitant entre les profils patibulaires des affreux (y faisaient vraiment zarbi à regarder ces gugusses) et celui de la mignonne.
Puis la mignonne est repartie.
Dans le ¼ d’heure qui a suivi mon bulgare me dit que c’est finalement pas une si bonne idée de dormir là car le lendemain on aurait vachement de route à faire, en partant tôt, et que vu l’heure c’était mieux de s’avancer ? Quitte à finir de rouler tard dans la nuit.
Comment on dit « rateau » en bulgare ?

Donc on a roulé. Tard. Je commençais à trouver ma position dans le fauteuil passager de sa caisse, au Bulgare. On finit par arriver. Je sais plus où. Une ville. Avec un hôtel et, autour, des mecs qui font du vin. Ville bulgare typique quoi.
Mon bulgare se gare devant l’hôtel. Il fait un créneau et se retrouve juste derrière une ….. ben oui : une énorme Audi noire avec une immatriculation mnémotechnique (c’est pas du vin qu’il faut faire en Bulgarie, il faut être concessionnaire automobile ! … faut juste penser à régulièrement embaucher de nouveaux mecs pour encaisser les impayés …). Je veux faire de l’humour : « houlà … t’es garé près de la voiture là. Le grand monsieur avec la bate de base ball il va pas aimer, peut-être ? ». Mon bulgare réfléchit rapidement et me dit « you’re right ». Et il va se garer plus loin. Résultat ? ben c’était pas drôle et j’ai porté ma valise 20 mètres de plus.
Le soir il m’emmène dans un restau typique.
Salade au concombre avec raki, puis cassolette de légumes / viande avec du fromage jaune dedans et de la feta fondue dessus.

Ce côté répétitif me donne l’impression de manger avec Constant R.
Constant c’est un ami québecois. Un chercheur. Sur la maladie d’Alzheimer. A l’époque où je l’ai connu il bossait avec un de ses amis, un architecte, sur un truc de dingues : ils construisaient des labyrinthes dans les sous-sols d’hôpitaux et y faisaient des lâchers de vieux pour voir leurs stratégies cognitives (Par contre je sais pas si ils mettaient un fromage ou quoi d’autre au bout du labyrinthe, pour attirer les vieux !? Peut-être une télé avec Michel Drucker ?). Parait que çà permet de repérer les coins du cerveau qui se délabrent plus vite que les autres (Ma mère elle doit être Alzheimer depuis longtemps : y a quelques années elle vient à Toulouse s’acheter des pompes. Elle gare sa bagnole, prend un bout de papier et trace un plan de son itinéraire jusqu’à la boutique où elle va. Elle achète ses godasses. Sort de la boutique, retourne le plan et suit les indications. A l’arrivée, bien sûr, pas de bagnole ! Elle commence à tourner en rond pour la retrouver, se disant qu’elle s’est juste un peu plantée. Une plombe plus tard, juste avant d’arriver à l’autre bout de la ville, elle se renseigne auprès d’un passant sur l’adresse de la boutique « houlà ma pauvre dame, c’est pas du tout dans le coin !! ». Elle finit par retrouver la boutique. Se rend compte qu’elle était entrée par une porte … et ressortie par une autre, diamétralement opposée …)

Bref, Constant et ses répétitions …
Constant, il vient régulièrement en France. Il a clairement compris qu’à Toulouse on mange du Cassoulet (la dernière fois qu’il a demandé un cassoulet ici, au restau, il a voulu boire une bière avec son cassoulet. Le loufiat a refusé de le servir. Il était de cul Constant : tu fais çà à Montréal, t’es viré dans la minute et t’a un procès pour atteinte aux libertés individuelles !). Donc, chaque fois qu’il vient, il faut que je lui fasse un cassoulet. Sans bière, le cassoulet (faut pas déconner, non plus). En juillet ou Août c’est moyen le cassoulet. Ca, il l’a pas compris Constant.
Des fois, y sont space les cousins du Québec …

La dernière fois que je suis allé à Montréal c’était pour le boulot. Je bossais encore pour ma boite canadienne basée à Toulouse (pour résumer). J’allais là-bas pour y accompagner le Dr technique de l’Institut Technique de la Vigne et du Vin. C’était en février. Y faisait un froid à pas mettre un orignal dehors : je revois encore Fraîde, le matin, tapoter sur le thermomètre accroché à la vitre de la cuisine et dire « çà va il fait que – 25 ce matin ». Bon, c’était Celsius et non Fahrenheit. M’enfin quand même …
Le dernier jour on visitait un domaine vinicole. Ca a le mérite d’être original.
Le Domaine était sur une ile dont il portait le nom : « le domaine de l’ile ronde ». Au milieu du fleuve Saint Laurent. Il appartenait à un ancien industriel qui plutôt que d’entretenir une danseuse s’était offert des vignes. Au moins c’est durable. Il avait des cépages bien français tels que le Maréchal Foch. Des trucs dont j’avais jamais entendu parler. Ce qui l’a visiblement beaucoup fait douter de mes compétences.
C’était couvert de neige, bien sûr. On cherchait les vignes, avec de la neige jusqu’à la taille. Pour protéger les vignes du gel il les butait. Il les butait … avec de la neige ! Tous les ans il avait un bon 5% de vignes qui claquaient, alors il les remplaçait. Un furieux.
Mais la mortalité des vignes était le cadet de ses soucis : au Québec la vente de vins est un monopole d’Etat. Un monopole de la Société des Alcools du Québec. Récemment une loi était passée (merci le lobby viticole québecois !) qui permettait aux producteurs québecois de vendre directement leur vin aux consommateurs. Sans passer pas la S.A.Q. Le mec était super content de ce progrès libertaire. Le seul problème est que la loi prévoyait que la vente ne pouvait se faire que sur le lieu de production. Au sens strict. Donc, pour lui, sur l’île et, en aucun cas, au bord de la route ou sur les berges du fleuve. Et comme il refusait de vendre à la SAQ et que la loi lui interdisait de vendre aux consommateurs ailleurs que sur un endroit où ils ne pouvaient pas venir … ben il produisait mais vendait pas.
Car aller sur l’île … n’était possible qu’avec son hydroglisseur modèle Skippy le kangourou. Pas top pour faire le commerce du vin, ce genre de moyen de locomotion.

Comment ?
Oui, oui … on ne pouvait y aller QUE avec cet hydroglisseur à la con, et à la coque en alu.
MEME en hiver
MEME par moins 25°C, sans facteur vent..
Or le facteur vent, quand t’es devant un immense ventilateur qui te propulse sur un fleuve gelé (c’est bien tape cul comme traversée, l’hydroglisseur en métal sur le St Laurent gelé …) a bord d’une barcasse sans cabine, ben t’en prends plein la gueule du facteur vent. C’est une invention québécoise le facteur vent. Un truc pour que t’ai encore plus froid.
J’ai chopé une crève carabinée ce jour là.
Soignée avec du lait chaud dans lequel de l’ail et du thym avaient infusé.
Le genre de truc qui te soigne, si tu y survis.
Y sont fous les cousins !!

Donc restau typique.
Bref le lendemain on enchaîne.
Mec sympa. Rosé tout à fait convenable. 2€50 la bouteille il vend çà aux super marchés british. J’en connais qui ont du souci à se faire ….
Bon, en même temps, quand je lui demande sa production annuelle il me répond que « çà dépend » ... « Bon, d’accord, çà dépend. M’enfin en moyenne ?» … « en moyenne, çà dépend »
Bon …. On a pas le cul sorti des ronces … « Ben y a deux ans, combien ? » … « 15 millions de bouteilles » .Bon, déjà un point d’acquis. « Et l’année dernière ? » … « 5 millions de bouteilles ».
Ah ben oui, en effet, çà dépend …

On enchaine avec une autre cave.
Entretemps j’avais compris que ce que j’avais pris pour le nom de la première qu’on avait visité « Vinprom » c’était juste le nom générique pour cave de vinification …
Bref, on se fait la Xème Vinprom.
Bien sûr on n’avait pas bouffé.
On tombe dans une petite pièce. Tout un tas de mecs et de nanas en train de cloper.
Leur première phrase c’est « Cognac ou Whisky ? »
Eh meeeeeerdeuhhh, c’est reparti pour un tour ...
Je prends le « whisky ». N’ayant pas goûté le Cognac je peux pas savoir si j’ai eu aussi tort que je le pense.
Une heure et deux bouteilles plus tard on commence la réunion.

On finit dans une troisième cave.
Déguster des essais sur le millésime 2005. Plutôt bon blanc. Bon contact aussi.
On enchaine par l’hôtel.
Le soir un restau surréaliste, dans le sous sol de l’hôtel : on rentre dans une espèce de cave, et là on tombe sur une sorte d’antichambre qui mène à la salle de restau. L’anti chambre, puis la salle de restau, a les murs et le plafond recouverts d’une espèce d’armature de bois en croisillons sur laquelle a été fixée de la vigne en plastique. Troncs, feuilles, grappes. Au milieu de la salle de restau y a une espèce de bassin avec de l’eau en train de croupir lentement mais surement et, au dessus, un pont en béton pour aller de la salle de restau au bar.
Sur le pont y a une nana en costume de patineuse soviétique d’il y a 20 ans qui chante du Barry White pour ascenseur (oui, çà commence à faire beaucoup !), accompagnée par deux gars en chemise bariolée qui font se qu’ils peuvent, c'est-à-dire pas grand-chose, pour pas s’endormir l’un sur son orgue électrique et l’autre sur sa guitare nucléaire.
On profite de l’ambiance pour être originaux : en entrée salade au concombre et à la feta avec un rakia ...
Après je sais plus. Cà se mélange un peu …
Je me souviens qu’il y a eu un plat et du pinard.
Puis un dessert.
Puis que comme après le dessert il restait du vin. Rouge. Ben les bulgares (oui, y en a un qui nous avait rejoint entre temps) ils ont commandé de la charcuterie.
Pour finir le vin.
Mais on a fini le vin avant la charcuterie.
Alors ils ont recommandé du vin.
Ben oui … du coup y a une autre bouteille de vin qui est venue, pour finir la charcuterie.
Là j’ai dit que je jouais plus.
Vague déception coté bulgare
Mais, bon, comme ils avaient eu le temps de me placer qu’en des temps révolus la Bulgarie avait éliminé l’équipe de France de foot de je ne sais quelle compétition, ils avaient quand même l’air vaguement satisfait du mec qui n’a pas totalement perdu sa journée. Comme moi je m’en tamponne le coquillard avec une patte d’alligator femelle (attention c’est une espèce protégée. Pas la grenouille par contre. Mais la patte est plus petite).
Bref on est remonté se coucher. Pour ma dernière nuit en Bulgarie …


Epilogue
Le lendemain, pour changer on s’est levés à point d’heure.
Faut dire qu’on avait 400 bornes à faire et qu’avec les routes bulgares … ben 400 bornes c’est long !
Surtout quand on est conduit pour un fou du volant qui écoute Iron Maiden a fond.
Oui, 400 bornes d’Iron Maiden. Fallait aller en Bulgarie pour çà !
P’tit flashback dans le demi sommeil du moment (enfin demi sommeil çà reste sur évalué parce que, bon, Iron Maiden on fait mieux comme berceuse) … quelques ( !!!) années plus tôt les fêtes du vendredi soir à la cité U, à Villeurbanne. Un vendredi soir par mois c’était fiesta. Hard rock garanti, et sauts de dingues sur des balais avec MariP. Ce minet asexué d’Harry Potter n’a rien inventé !
Enfin, bon, là, j’avais pas de balai, MariP avait disparu depuis des années, j’avais sommeil, et le rakia de la veille me faisait presque aussi mal à la tronche qu’Iron Maiden.
J’ai dû vieillir faut croire.
Enfin, je sais pas, on avait pas de rakia, à la cité U.

Bon, le bulgare a pris des raccourcis. Je parle même pas de la route : en Corse, à côté, elles sont impeccables.
Cà respire pas la richesse le coin. Parfois des groupes d’habitations plus délabrées et à l’environnement plus triste, moche et crade que les autres. Le plus souvent en contre bas et comme en préambule à des villages plus importants. « the gypsys area » me dit invariablement mon chauffeur. Dans sa voix on sent tout le bien qu’il en pense. Retour quelques années en arrière. L’impression d’être dans « le juif errant est arrivé », d’Albert Londres, me traverse l’esprit. Les choses ne changent donc pas.

On a fini par arriver à l’aéroport.
Mon bulgare m’y a dropé avec armes et bagages.
Restait à attendre.
J’avais les crocs. Je m’achète un truc à manger.
Non, pas une salade au concombre.
Dans la minute qui suit, une voix : « bonjour, vous parlez français ? »
Et là, je commets l’erreur qui, dans ces circonstances, ne pardonne pas. Je réponds : « oui, je SUIS français ».
C’est là que la nasse se referme.
Le mec me raconte son histoire.
Pour résumer lui et son copain faisaient un stage d’électro-mécanique dans je ne sais plus quelle ville bulgare, ils devaient rentrer chez eux, en Algérie, par l’avion du matin. Mais le bus était arrivé en retard, ils avaient raté l’avion. En Algérie tout était fermé ; en Bulgarie ils connaissaient personne ; l’Ambassade de France avait refusé de les aider, et ils avaient besoin d’argent pour prendre un vol pour la Turquie, et de là repartir pour Alger. Le vol partait dans les deux heures qui suivaient. Et ils avaient, bien sûr, un supplément à payer. Et leur carte de crédit fonctionnait pas en Bulgarie.
Pourquoi moi ?
Je savais bien que la carte Gold me poserait problème un jour.
Ben ouais. Je suis un putain de nanti qui se balade avec une carte gold.
Salaud de riche.

Enfin, la Gold, elle a une histoire aussi, faut dire …
C’était y a pas très longtemps. En Juin 2005. J’étais allé aux USA, à San Diego, présenter nos résultats sur la nutrition des levures. Je payais mes dépenses avec ma carte. Bleue, la carte.
Au 5ème jour aux USA j’ai eu un appel du directeur de mon hôtel. Pour me dire que j’avais dépassé le plafond de dépenses de ma carte. Et que donc je devais illico payer par tout moyen à ma convenance ou dégager avec armes et bagages.
Chaude ambiance.
J’ai donc épuisé toutes les solutions :
1/ vider mes fonds de poches
2/ mettre quelques dizaines de $ de côté pour pouvoir prendre un taxi jusqu’à l’aéroport
3/ pas toucher à ce qui est dans le mini-bar et présente le défaut majeur d’être payant.
4/ bouffer tout ce qui est gratuit (Les bonbons à la menthe étaient pas mal. Peu nombreux mais pas mal).
5/ sortir vite mais l’air digne de l’hôtel, de préférence sans me faire choper, et faire tous les distributeurs de billets des environs.

Pas de bol : dans chacun on me répond par voie informatique et éminemment désagréable que j’ai dépassé mon plafond de dépenses et qu’on peut rien pour moi.
Ca commence à salement sentir le roussi.
En milieu d’après midi, en désespoir de cause je rentre à l’hôtel … (au cas ou le room service aurait refait les stocks de bonbons à la menthe)
Par la même occasion je vais voir le concierge de l’hôtel. Lui demander de me commander un taxi pour le lendemain.
Quand c’est fait, en me retournant, je vois quoi dans le coin face au concierge ?
Ben oui … un magnifique distributeur de billets.
Le genre vieux, et rassurant. Le genre qui ne bénéficie pas d’une liaison au réseau.
Ben oui …
La solution était là. Au rez de chaussée de mon hôtel.
Du coup j’ai pompé tout ce que j’ai pu tant que je le pouvais encore, et je suis allé me goinfrer un méga steack au milieu de l’après midi.

Une des premières choses que j’ai faites en rentrant en France a été de me commander la fameuse Gold. Avec un plafond de dépenses pas stratosphérique mais quand même un poil plus conséquent que l’autre carte de schtroumpf !

Enfin, bref, toujours est-il que j’avais une Gold et que j’étais donc un ostensible nanti.
Bon, les cocos, je leur ai bien proposé d’appeler mon bulgare et de lui demander un coup de main. La réponse a été impériale : « la Bulgarie est un pays pauvre, ces gens là ne peuvent rien pour nous. Il faut que vous nous aidiez sinon on va rester dans l’aéroport pendant une semaine, comme des chiens ».
Soupir …
Me prendrait-on pour un lapin de garenne de 6 semaines ?
Why me ??
J’ai bien, en désespoir, essayé de me débattre avec quelques arguments logiques
« les organisateurs du stage ? » « en Algérie. Le vendredi tout est fermé. Pas moyen de les joindre »
« les formateurs ? » « bulgares, donc pauvres, donc ne pouvant rien faire »
« l’Ambassade ou le consulat ? » « y en a pas d’Algérie en Bulgarie. Et l’Ambassade de France veut rien faire car ils sont algériens et pas français ». Et de me sortir un passeport algérien comme argument massue. En insistant bien sur le mot « algérien » ».
Soupir …
Ils sont bien gentils les cocos, mais j’ai passé l’âge de jouer les bons samaritains. Puis, bon, leur histoire j’ai du mal à l’avaler.
Bon, je me sens quand même vaguement pas très propre, quand je leur réponds que non, mauvaise pioche, je peux rien faire pour eux !
Ils m’enlèvent mes derniers soupçons de remords, quand je me fais illico traiter de raciste.
Ensuite ambiance lourde dans l’aéroport : ils me passent devant avec une belle régularité, me lançant des regards noirs.
Je prends illico 2 résolutions pour l’année 2006 :
- n°1: apprendre à dire « je suis désolé je ne vous comprends pas » en thaïlandais. Ca peut servir.
- n°2 : ne plus me servir de ma Gold en public. Ou la repeindre en bleu avant.
J’embarque.
Qu’est ce qu’ils sont devenus les cocos ?
J’espère que c’était bien une arnaque, leur truc …

Enfin …
Y a pas eu de soucis d’avion.
Ni de valise.
Ni de Douane.
Arrivé à Toulouse.
Récupéré les différents enfants en différents lieux (j’ai jamais aimé les jeux de piste) en prenant de vraies routes, sans avoir à éviter les trous et les Audis de dingues.
Bientôt, il y aura la Roumanie.
Puis quelques autres pays.
Me préparer psychologiquement …

Commentaires