.../... (voir billet précédent)
Vient alors l'époque des sélections que je qualifierai de modernes et, donc, l'obtention des premiers "blockbusters".
On peut considérer que la première d'entre elles est la 552 Davis.
Davis 522, car cette levure a été sélectionnée par l'UCD (Université de Davis, en Californie) ... mais dans la collection de l'Institut Pasteur. Dans la mesure ou elle avait été, initialement, prélevée sur le terroir de Montrachet, on la trouve aussi sous le nom de Levure Montrachet.
On la trouve, en fait, sous de multiples noms commerciaux car la plupart, sinon la totalité, des réseaux commerciaux la distribuent ... certains de ces réseaux la proposant même sous des marques commerciales différentes, chaque marque pouvant être accompagnée de revendications différentes !
Cette levure est sans doute la plus connue d'entre les levures dites starter.
Starter ?
Ce sont celles que l'ont met dans la cuve pour qu'elles s'y implantent et démarrent la fermentation en évitant les défauts des fermentations déviantes.
A tort ou à raison la 522D est en outre généralement considérée comme ayant un métabolisme secondaire marquant très peu le vin (au delà, bien sûr, de la transformation des sucres en alcool !!).
On est alors déjà sur l'idée que pour réussir l'implantation d'une levure il faut que le ratio de population par rapport aux indigènes lui soit très favorable.
Mais de toute évidence, l'obtention de ce ratio (par l'hygiène et le niveau d'ensemencement) n'empêche pas de chercher un avantage concurrentiel au delà de la capacité à coloniser le milieu et s'y développer rapidement.
L'idée vient après 1963, date de la mise en évidence du caractère "killer" de certaines souches.
Dans les années 80 apparaîtront des applications en œnologie, entre autres au travers des travaux de Pierre Barre (ICV) qui sélectionne l'ICV K1® : cette levure est en effet la première levure œnologique dite Killer (elle est encore très largement utilisée aujourd'hui).
Une levure Killer, c'est quoi ?
C'est une levure qui libère dans le milieu une toxine capable de tuer les levures qui y sont spécifiquement sensibles, étant entendu que les levures produisant cette toxine y sont immunisées.
Ainsi, pour chaque toxine killer on trouvera des levures qui la produisent (et en sont protégées), d'autres qui y sont sensibles, et enfin d'autres qui sont neutres (ni sensibles, ni productrices).
Ainsi l'ICV K1® libère le facteur killer K2, et est protégée contre ce dernier (mais rien n'empêcherait qu'elle puisse être sensible à un autre facteur killer).
Ce phénomène killer - parfaitement naturel - crée bien des fantasmes, que ce soient ceux de certains vendeurs qui présentent encore trop souvent ceci comme l'arme nécessaire et absolue pour réussir son implantation de levure, ou ceux des détracteurs des levures sélectionnées qui hurlent au loup et à l'extermination, par le facteur killer, des levures indigènes.
Pourtant les indigènes sont elles mêmes indifféremment killer, neutres ou sensibles ... mais le gfacteur killer K2 est très répandu dans la nature.
D'ailleurs l'ICV K1® et consorts sont des levures sélectionnées, telles quelles, dans le milieu naturel). Certains ont pu avoir l'idée de conférer, par divers moyen, le facteur killer K2 (ou à tout le moins la neutralité à ce facteur) à des levures qui y sont sensibles afin de les protége.
Ca me semble douteux, pour ne pas dire inutile.
On pourra se référer à divers éléments pour nuancer ces propos (quand je dis "nuancer" il faut lire "battre en brêche") :
- des travaux de Dominique Delteil (alors Directeur Scientifique de l'ICV) montrent que l'ICV K1® s'implante d'autant mieux que le ratio de population est clairement à son avantage, et ce tout killer qu'elle soit (en revanche, même killer, avec un ratio défavorable elle ne s'implante pas). Je ne retrouve malheureusement pas le fascicule ICV qui présentait les dits résultats et n'en trouve pas trace sur le net : en l'état il faudra donc me croire sur parole.
- une étude publiée par l'équipe de Pierrre Strehaiano ("Le mécanisme "killer" : étude quantitative de la relation "killer/sensible". Alfenore S., Délia M.L., Strehaiano P., Oenologie 99, pp 259-263) montre que tant les aspect killer que sensible au facteur killer ont des niveaux d'expression (= ils sont plus ou moins fortement exprimés par les levures, ce n'est donc pas du "oui ou non").
Ainsi, la 522 Davis, qui est largement utilisée avec un succès non démenti, est une levure sensible au facteur killer K2. Certes faiblement sensible, mais sensible tout de même. Pourtant elle est connue et reconnue pour s'implanter et fermenter ...
- la stabilité et l'efficacité du facteur killer en conditions de vinification est un sujet qui, pour le moins, fait débat.
Bref : au delà des qualités réelles de telle ou telle levure vendue pour être killer, de là à dire que pour une levure œnologique être killer relève plus de l'argument marketing que de la réelle utilité pour le vigneron il y a un pas que je n'hésite pas à franchir allègrement ... (bon, allez, disons qu'être killer, pour une levure, c'est mieux, mais que çà ne donne aucune garantie de bonne implantation et/ou de bonne fermentation.).
Ensuite, il fallait bien tôt ou tard sortir de l'approche uniquement fermentaire pour en venir aux effets sensoriels des levures sur le vin.
La levure la plus emblématique de cette approche reste sans doute, pour de multiples plus ou moins bonnes raisons, la fameuse 71B !
Je crois me souvenir que sa sélection remonte au début des années 80, par Emard et Maugenet (INRA), et fut faite sur le secteur de Narbonne (pas 100 % sur de mon coup mais en même temps l'importance de cette info est très marginale) ... mais elle a eu son heure de gloire dans le Beaujolais.
C'était pour la vinification de primeurs, où elle a été abondamment utilisée (et ce quand bien même elle est elle aussi sensible au facteur killer K2, celui là même qui est produit par l'ICV K1(R)).
Bref : c'est cette levure qui est à l'origine du côté banane / bonbon anglais de bien des primeurs de cette époque ... enfin, à l'origine : à ce stade il faut quand même dire que la technique beaujolaise dite de macération carbonique (avec fermentation intra cellulaire - donc sans levure -) entraîne de fortes productions d'acétate d'isoamyle.
Pour le coup la 71B n'y est donc pour rien ! Elle a donc parfois bon dos, la bestiole.
Pour la petite histoire il m'est arrivé de goûter quelques beaujolais "nature et sans levure" de pourfendeurs des levures indigènes, de la 71B et de la banane ... qui fleuraient bon la banane.
Mais là c'était du fruit naturel (bien que de carbo), donc c'était bien.
Malheureusemengt je ne shématise même pas.
Mais, en effet, la 71B produit de l'acétate d'isoamyle, un ester qui type pour ce genre d'arômes.
On peut même dire que l'acétate d'isoamyle, elle en surproduit !
Et elle en surproduit d'autant plus que le moût est riche (ou enrichi) en azote assimilable (voir graphes ci contre).
La température de fermentation a, également, un rôle qui n'est pas à la marge (Morakul et al, Food Biopr. Technol. (6) 2013) : une température de fermentation basse permet de limiter les pertes des esters produits par la levure et, donc, d'avoir, in fine, une concentration plus importante dans le vin fini.
Mais ce n'est pas un cas isolé (cf graphes ci dessus) : toutes les levures font de même, mais dans des proportions pouvant grandement varier.
Certaines peuvent même produisent des esters fermentaires bien plus que la 71B n'est capable de le faire.
C'est, encore une fois et entre autres facteurs, un effet de la souche de levure, de sa nutrition azotée et de la température de fermentation.
A titre d'exemple, le tableau ci contre donne, toutes choses égales par ailleurs, les valeurs extrêmes et moyennes de production de divers composés aromatiques en fonction de la levure fermentaire.
On comprendra donc qu'il faut prendre en compte la production d'un composé en particulier .. mais aussi des autres composés.
En clair et sans décodeur : selon ce que le vin a à dire par ailleurs, on sera plus ou moins sensible aux notes amenées par une concentration donnée d'un ester particulier. Donc forcément s'il n'a pas grand chose à dire et que l'on a fait en sorte que la levure crache des esters ...
Au delà de ces effets aromatiques, la 71B est en outre capable de dégrader de l'ordre de 30% de l'acide malique pendant la fermentation alcoolique et de fixer, par adsorption, pas mal de couleur sur sa paroi.
Tous ces éléments ont contribué à son utilisation massive dans les primeurs "banane" et légers que l'on a connu et connait encore parfois.
Le contre pied a été pris quelques années plus tard, à Bordeaux, avec la sélection de la VL3c.
Quelles étaient l'idée et la démarche qui ont prévalu à la sélection de cette levure ?
- identification des molécules responsables des arômes du Sauvignon blanc (voir ci contre),
- identification des précurseurs présents dans le raisin et à l'origine des molécules précitées,
- mise en évidence des processus qui permettent la transformations des précurseurs - inodores - du raisin, en molécules aromatiques du vin,
- sélection d'une levure - naturelle - particulièrement efficace en ce qui concerne les voies métaboliques permettant la transformation de ces précurseurs inodores en molécules aromatiques.
Il s'agissait donc bien, ici, d'optimiser / maximiser l'expression naturelle d'un cépage et non pas de la masquer, modifier, ou diversifier.
Il va de soi que la seule utilisation de la levure n'est plus suffisante. Pour avoir ces arômes il faut :
* récolter les raisins à maturité aromatique (= qu'il y ait des précurseurs !),
* extraire et protéger ces précurseurs,
* les transporter à l'intérieur de la levure (la qualité de la nutrition azotée est alors essentielle. Voir la thèse de Maevz Subileau),
* les transformer en molécules aromatiques lors de la fermentation alcoolique,
* protéger les arômes ainsi obtenus.
Comme toujours dans le vin on doit s'intéresser à la totalité du process et non pas se reposer sur une poudre miracle !
Sur ce cas particulier et toutes choses égales par ailleurs : on pourra se réjouir de l'efficacité de cette levure qui permet d'avoir de beaux Sancerres bien typiques ou au contraire la vouer aux gémonies après qu'elle nous ait infligé de tristes Entre deux mers sentant la litière à chat (çà marche aussi dans l'autre sens).
C'est juste pour dire qu'on a beau jeu de tout mettre sur le dos de cette pauvre bête en oubliant tous les autres facteurs.
Un peu comme si, lorsque l'on s'est explosé un doigt en essayant de planter un clou, on rejettait l'ensemble des responsabilités sur le seul marteau ...
Ensuite, nous assistons à une autre évolution marquante : le recours aux méthodes d'identification génétique qui va aller de pair avec l'accélération de la sélection de souches, que ce soit sur une thématique régionale (terroir ?) ou technique.
A suivre ... dans le prochain (et dernier) billet traitant de ce sujet ...
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