Une histoire des levures oenologiques ... (suite, et fin ... en tous cas en ce qui me concerne !)



 Les épisodes précédents se trouvent juste là :
.../...



Vient alors l'époque de l'identification génétique des levures et de leur sélection ou leur obtention (on verra que ce n'est pas forcément tout à fait la même chose) tous azimuths.

Silène
Museo civico - Bologne

Deux options coexistent :
- sélection "terroir" (généralement par et pour les gens du cru ... mais pas que),
ou

- sélection "technique" pour répondre à telle ou telle problématique.

On parle à mon sens de la même chose, mais avec des mots différents.

Je suis en effet convaincu que ces deux options ne sont ni réellement différentes, ni exclusives l'une de l'autre. Il s'agit, à mon sens, ici, plutôt d'une affaire de communication.
Pour illustrer mon propos, prenons l'exemple de la VL3c dont je parlais précédemment et qui a été sélectionnée sur une thématique "technique" de type "révélation des thiols". Ceci étant elle aurait aussi bien pu être sélectionnée sur tel ou tel terroir (un rien caricatural parfois) sur une thématique du genre : "expression locale du Sauvignon blanc".


Alors une sélection "terroir" c'est quoi ?


De multiples exemples sont disponibles, parmi ceux ci les travaux d'Inter-Rhône sont généralement bien faits et bien documentés. Voir, par exemple, quelques morceaux choisis de la communication de Sylvie Colas lors du Congrès Mondial de la Vigne et du Vin, en 2000 : elle portait sur la sélection de la L 2323, dont je reprends ci dessous quelques éléments.


1. Définition d'un cahier des charges, ici :

"sélection dans les chais rhodaniens d'une levure adaptée à l'élaboration des vins rouges de la Vallée du Rhône (pouvoir alcoogène élevé, faible production d'acidité volatile, bonne extraction des composés phénoliques)".
On peut émettre quelques doutes quant à l'extraction des composés phénoliques par la levure : ce n'est parce qu'en fin de fermentation alcoolique de différentes cuves fermentées par différentes levures on a des teneurs en composés phénoliques différentes que les levures ont, forcément, différentes capacités à extraire par elles mêmes.OK : des travaux récents semblent montrer qu'en effet leurs potentiels enzymatiques sont différents. Pour autant, au chai et en comparaison aux autres facteurs, je demande à voir ...
 Quoiqu'il en soit on devra, me semble-t'il, se garder d'une interprétation abusive de ces pré requis et de leur signification réelle.
Je m'explique : qu'il soit intéressant, pour la communication, de sélectionner localement pour un usage (au moins) local j'en conviens aisément. Mais que ce soit nécessairement intéressant techniquement ou qualitativement j'en doute.
Pour des raisons philosophiques, mercatiques ou économiques, je l'entends, le comprends et le respecte.

Ceci dit : de là à croire que parce qu'une levure est apparue (et/ou est sélectionnée) localement elle est, de ce fait, la plus à même d'exprimer ce que nous, humains, percevons comme l'expression du terroir et du cépage locaux il y a une différence qui est loin d'être à la marge ! 

Cette remarque vaut, bien sûr, aussi pour ces chères levures indigènes avant qu'elles n'aient été sélectionnées et soient de ce fait devenues des levures "industrielles".
Autrement dit la evure : est elle adaptée par ce qu'elle est sélectionnée localement, ou parce que le cahier des charges a été bien construit et respecté ?

On l'aura compris : je penche pour la seconde hypothèse.

Quoi qu'il en soit de ces réserveS, comment ce travail a-t'il été conduit ?


2. Etat des lieux de la flore indigène et constitution d'un souchier, ici ont été isolées :

- 1500 souches à différentes étapes de la Fermentation Alcoolique (FA), dont
- sur moût : 18 espèces présentes (50% Saccharomyces sp., 17% Candida g., 15% Kloeckera apiculata, le reste en diverses bestioles plus ou moins vérolées),
- en fin de FA toutes les levures isolées sont des Saccharomyces cerevisiae,
- sur 360 souches prélevées en milieu et fin de FA, 178 sont génétiquement différentes (soit environ 5 souches différentes par vin échantillonné sur la seconde moitié de la FA).

3. Tri du souchier en fonction des critères préétablis, ici :

* pouvoir alcoogène testé sur milieu synthétique à 16% d'alcool = 59% des souches ayant un pouvoir alcoogène < 14% sont éliminées,
* production d'acidité volatile = 16% des souches testées donnent, dans les conditions expérimentales, une volatile > 0.3 g/L H2SO4 et sont donc éliminées,
* effet sur l'acidité fixe du milieu (= préserver l'acidité des mouts) = 14% des souches sont considérées comme désacidifiantes (et donc éliminées), contre 8 % qui sont considérées comme acidifiantes.
On notera, pour information, que l'écart maximal en fin de FA atteint - toutes choses égales par ailleurs - 1.8 g/L d'H2SO4 ! pas à la marge, donc.


Et ainsi de suite, jusqu'à obtention éventuelle (car rien n'est jamais garanti !) d'une ou plusieurs souches répondant positivement aux exigences de départ.

On passe alors aux tests en minivinifications, puis en conditions réelles avant éventuelle validation.
Viennet alors des tests de leur capacité à être - ou pas - multipliées puis séchées industriellement sous une forme identique à la sélection initiale, qui sera stable au cours de leur conservation.

In fine, sur les 1500 bestioles présentes au départ, il en resté une, et une seule (bon en fait il y en avait une autre, qui a peu à peu été abandonnée).

Que cette souche corresponde aux exigences et aux contraintes locales et qu'elle ait été identifiée et isolée localement suffit il à en faire une levure de terroir ?
Je ne le crois pas !
Et, encore une fois, ne le croyant pas je ne remets pas pour autant en cause la qualité et l'intérêt du travail qui a été fait, ni les qualités de la bestiole en question !


En fait, pour essayer de  faire simple et court (pour une fois) : je ne crois pas que la levure de terroir existe.

Qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est pas une charge contre les Levures Sèches Actives (LSA) (ou, comme je l'ai fut un temps écrit et proposé dans l'indifférence générale : les Levures Naturelles Sélectionnées (LNS)), c'est juste l'expression d'une conviction personnelle : indigènes ou pas, les levures se contrefichent éperdument du terroir et de son expression tels que nous les concevons.

Qu'est ce qui fait l'intérêt d'une souche de levure ?

Le fait qu'elle se soit trouvée à un moment donné dans un endroit donné ? ou bien qu'elle ait été sélectionnée, ici ou là, en fonction d'un cahier des charges établi de façon à ce que l'éventuel résultat colle avec l'idée que le sélectionneur se fait de ce qui doit correspondre à tel ou tel objectif plus ou moins ... subjectif ?
Dès lors la levure de terroir n'est, à mon sens, qu'un fantasme de sélectionneur ou de "terroiriste" qui, pour une fois, se retrouvent dans une même vision idéalisée (et un poil étriquée).


Peut-être aurait-il été intéressant d'évoquer divers travaux de caractérisation des dites levures : ce qu'elles sont, ce qu'elles font et comment, quand et pourquoi elles le font ou pas. Abordant ainsi, et dans le désordre, leurs besoins azotés, leur libération plus ou moins précoce de polysaccharides et l'effet de ces derniers, leurs effets sur tel ou tel composé plus ou moins à la mode ... mais cela me mènerait sans doute trop loin.

On notera quand même que, quoique l'on pense de l'utilisation commerciale et industrielle de ces travaux, ils n'en restent pas moins fort intéressants lorsqu'il s'agit de savoir ce qu'est une levure, ce qu'elle fait, quand, comment et pourquoi elle le fait ... ou pas.
Et ce que l'on soit utilisateur de levures sélectionnées, ou de levures indigènes.


J'en viens aux méthodes alternatives (enfin à certaines d'entre elles) à cette sélection "dans la nature" :


* Breeding :

si en cours de FA les levures se divisent et se multiplient à l'identique, elles peuvent aussi en passer par la voie sexuée et, ainsi, former des spores dont chacune est porteuse d'une partie - et une partie seulement - du patrimoine génétique de la cellule mère.
C'est la règle dans la nature, et on peut le reproduire afin de croiser (de façon plus ou moins rationnelle et prévisible) la descendance de deux souches mères dotées, chacune, de capacités souhaitables et souhaitées ... mais qui ne leurs sont pas communes
Il s'agit d'obtenir une ou plusieurs cellules filles dotées des aspects positifs de chacun des parents et, le cas échéant, "débarrassées" de leurs faiblesses.

Qui n'a pas rêvé d'avoir de beaux enfants avec les yeux de leur père mais le nez de leur mère (et surtout pas l'inverse !) ?
Certains réseaux se sont fait une spécialité de cette méthode, méthode identique à celle que Mendel pratiquait empiriquement avec ses petits pois et qui, bien menée, donne des résultats tout aussi satisfaisants qu'élégants.
Merci de noter que l'on ne fait, ici, que reproduire ce qui se fait naturellement ... mais en se donnant les moyens de trouver la descendance que l'on souhaite comme le ferait (pour faire allusion à un autre de mes textes sur ce blog) un éleveur de Setters anglais ou de Barbus tchèques.

 * Sélection de Mutants :

comme tout être vivant les levures peuvent muter et, d'ailleurs, mutent.
Elles le font naturellement, toutes seules, comme des grandes.
Mais ces mutations peuvent aussi être induites en exposant les levures à tel ou tel agent mutagène ou, de façon qui me semble plus élégante, en les faisant se multiplier dans un milieu très contraignant afin, au bout de x générations, d'isoler un mutant apparu "naturellement"  et, donc, "sélectionné" par ces conditions contraignants
[Valentin Tilloy, Anne Ortiz-Julien and Sylvie Dequin. Reducing ethanol and improving glycerol yield by adaptive evolution of Saccharomyces cerevisiae wine yeast under hyperosmotic conditionsAppl. Environ. Microbiol., 14 février 2014].

* Génie génétique :

Oui, les O.G.M., quoi !
Il en existe de toutes sortes dans divers labos de par le Monde.
Pour ce qui concerne le vin, on peut considérer qu'une seule levure O.G.M. est actuellement commercialisée.
Cette bestiole (la ML 01) a été obtenue par Van Vuuren (Université de B. Colombia).
De quoi s'agit il ?
D'une Saccharomyces cerevisiae qui a été dotée :
- du gène mleA (oui, je sais ...) qui, chez Oenococcus oeni (souche Lo 8413), code pour l'enzyme malolactique
et,

- du gène mae1 (je sais, mais j'y peux rien, c'est comme çà que çà s'appelle) qui code pour la protéine malate perméase permettant à Schizzosaccharomyces pombe (souche NCYC 1913) de faire pénétrer dans la levure le malate du mout.
En clair et avec décodeur : grâce à la coexpression des deux gènes qui lui sont ajoutés, notre bonne vieille Saccharomyces cerevisiae devient capable d'une part d'aller activement chercher le malate dans le moût et, d'autre part, de le transformer tout aussi activement en acide lactique, et ce pendant qu'elle fait la FA.

Au delà d'un usage purement industriel (au sens très péjoratif du terme), je suis assez dubitatif sur l'intérêt réel de ce genre de bestiau qui a toutefois été reconnu comme G.R.A.S. (Generally Recognized As Safe) par la F.D.A. (Food and Drug Adminsitration) états-unienne ... et est donc commercialisé depuis un moment déjà sur le continent nord américain.

Pour le fun, on notera la revendication santé quelque peu capillotractée de l'obtenteur :
"It is very effective in conducting the malolactic fermentation in wine, preventing spoilage and the production of neurotoxins by other wine microorganisms".
Une revendication qui n'est pas si anodine que çà quand on sait que le dit auteur s'intéresse depuis (et de près) à la construction d'une autre levure OGM, celle ci visant à la réduction du carbamate d'éthyle [Metabolic engeenering of Saccharomyces cerevisiae to minimize the production of Ethyl Carbamate in wine. Coulon J. & al., AM. J. Enol. Vitic. 57:2:113-124 (2006)]


A suivre ?

Non, je ne crois pas, en tous cas pas ici et/ou pas par moi.
Ou pas sous cette forme.






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