L'une de mes dernières missions d’œnologue conseil - mission
significative je veux dire - fut d'accompagner un client (faut il
vraiment dire "client" ? la relation se résumait-elle à cela ?) chez un
courtier avec lequel il avait un gros méchant litige.
Le genre déplaisant, le litige ... et ce tant sur le fond, la forme que les volumes concernés !
Bon, sur la réunion chez le négociant c'est pas la peine d'en faire des tonnes : tant du point de vue analytique qu'en dégustation le vin était bien tapé. Le tout était de savoir pourquoi, par qui et ce que çà entrainerait.
Là, forcément, ça piquait un peu. Alors l'ambiance s'est salement rafraichie, chacun campant sur ses positions et faisant assaut d'arguments plus ou moins convaincants.
Dans l'absolu, l'exercice de style est intéressant : à partir d'une même situation, d'une même succession de faits, chacun tisse sa toile dans des directions radicalement opposées.
Bien sur dans les faits ce n'était qu'une rencontre sans grande utilité puisque pour chacun des participants il ne s'agissait que d'affirmer où, selon lui, se trouvait la ligne de démarcation.
Autant dire qu'on ne s'est pas quittés bons amis.
Les jours suivants n'ont rien arrangé puisqu'il s'est avéré que le négociant avait tenté un passage en force pendant que, de mon côté, je montais un dossier que je souhaitais aussi complet et définitif que possible.
Bon, en fait, le dossier je me le suis roulé bien serré et on l'a gardé pour plus tard : le truc a été réglé en quelques jours sans qu'on ait eu à le sortir. Réglé au bénéfice de "mon" "client" : le négociant avait été un peu trop gourmand et beaucoup trop expéditif.
Bon, forcément, dit comme çà c'est un peu elliptique ... mais vu que je ne suis pas persuadé qu'il soit de bon ton de tout balancer sans autre forme de procès, je me contente de rebondir sur une phrase lâchée lors du debriefing, comme çà, sans vraiment y penser ni y croire, à propos du représentant du courtier et de ses comportements et arguments :
C'est probablement malheureusement vrai. Ou ça l'a été.
C'était y a un bail, et j'avais pas encore découvert le vin, ceci expliquant peut-être cela. Ou pas.
J'étais "monté à Paris", via Londres, et avais trouvé du taf à Rungis, dans le pavillon fruits et légumes. J'achetais en production, le plus souvent en France mais pas que (ah, ce souvenir ému des avions de mangues qui arrivaient directement de Guinée et étaient calibrées "à la forestière" ...), et revendais sur le carreau de Rungis.
Forcément, vu que la formation et l'expérience que j'avais alors vendues étaient exclusivement fruitières j'avais été affecté aux légumes.
Ils étaient joueurs et me faisaient donc vendre et acheter, entre autres, du céleri rave, de la betterave et du concombre. Au Monde, je ne déteste rien plus que ces trois abominations (encore que mon milk shake de céleri au bacon soit une pure merveille). Depuis quand t'as besoin d'aimer un truc pour le vendre ?
C'est donc là que j'ai été baptisé. Avec une palette de radis.
C'est cool le radis : y a plein de bottes sur une palette. Donc quand t'as tout vendu, même avec nos marges de grossiste (à l'époque 17%) il te reste pas mal de thune.
Quand t'as tout vendu, bien sûr.
Sinon t'es mal : tout bien considéré le radis, comme le violon tzigane, ne supporte pas la médiocrité.
Or la fameuse palette de radis (achetée à GR, maraîcher nantais de son état) s'est avérée avoir été consciencieusement fardée. Fardée ? Oui : une fois arrivé au mitan de la dite palette il s'est trouvé que par le plus grand des hasards, les radis avaient une tout autre gueule ! Ce n'étaient plus de beaux bébés joufflus, à l'air rose et frais mais de pauvres choses défraîchies et au bord du coma.
Dans ce cas là le salut passait par le télex.
Ouais, le télex. Je le crois à peine.
La phrase consacrée (qu'est ce que j'ai pu l'écrire cette maudite phrase !) était :
Ce mois là, la palette de radis a fait mal à mon chiffre.
GR, ça m'a pris trois ans pour les lui faire bouffer ses radis. Mais il est forcément arrivé un jour où il a eu besoin d'aide car il était planté. C'était sur de superbes navets bottes. Je lui en avais fait rentrer quelques palettes. Pour le dépanner. En prix après vente, bien sûr.
Prix après vente ? Simple : d'abord tu vends, après tu dis au producteur combien tu lui paie sa marchandise. Trois ans étaient passés, alors j'avais appris le vice et les procédures : sur ce coup là, limite s'il me devait pas de l'argent, GR. Comme il gueulait je lui ai rappelé les radis. Ca l'a fait rire, que je sois rancunier à ce point et que je l'enfle. J'en ais conclu que les navets il avait du les acheter a un autre type. En prix après vente, bien sûr. En tous cas après on n'a plus eu de problème.
A quoi ça tient, une belle amitié ?
Enfin, le vice et les procédures sont pas entrés de suite. Faut croire que le terrain était pas totalement propice. D'abord y a eu les brugnons. Qui étaient des nectarines.
J'avais en effet obtenu mon bâton de Maréchal et basculé au rayon fruits.
J'avais de fort belles nectarines, venues en droite ligne de Tarn et Garonne.
A côté de ce que j'ai alors ressenti, Galilée n'a connu qu'un infime désagrément.
Du coup le jour ou le même client m'a lancé, vaguement admiratif :
Le must est sans doute avec le sanglier des Ardennes : il tournait autour de mes melons. Les cas était simple : des melons de ce calibre là soit il me les prenait soit j'en faisais des confitures.
Et c'est pas top de faire des confitures avec une palette de melon de Martinique quand tu as des objectifs commerciaux à respecter.
Il m'a pris ma palette.
Peu de temps après je démissionnais pour aller bosser dans une coop : j'imaginais mieux défendre les producteurs en bossant pour eux. Parce qu'au delà des aimables plaisanteries décrites ci dessus les pratiques étaient généralement tout sauf aimables et d'une honnêteté pouvant parfois être discutée ..
Je me trompais lourdement et re démissionnais 3 mois plus tard, assez consterné par les pratiques quotidiennes pas forcément significativement différentes de ce qui se passait à Rungis. Le but premier d'une structure est avant tout d'assurer sa pérennité, pas la pérennité de ceux qui la font vivre.
Oui, ça fait plein de démissions ça. Serais-je instable ?
(private joke)(d'ordinaire les private jokes je les souligne pas, sinon c'est pas drôle mais celui là oui)
En attendant des avocats cocktail j'en vois plus trop.
J'étais un genre de précurseur, faut croire ?
(on est gentil : les photos sont moches mais sont à moi. Alors elles ne sont pas en libre service)
Le genre déplaisant, le litige ... et ce tant sur le fond, la forme que les volumes concernés !
Bon, sur la réunion chez le négociant c'est pas la peine d'en faire des tonnes : tant du point de vue analytique qu'en dégustation le vin était bien tapé. Le tout était de savoir pourquoi, par qui et ce que çà entrainerait.
Là, forcément, ça piquait un peu. Alors l'ambiance s'est salement rafraichie, chacun campant sur ses positions et faisant assaut d'arguments plus ou moins convaincants.
Dans l'absolu, l'exercice de style est intéressant : à partir d'une même situation, d'une même succession de faits, chacun tisse sa toile dans des directions radicalement opposées.
Bien sur dans les faits ce n'était qu'une rencontre sans grande utilité puisque pour chacun des participants il ne s'agissait que d'affirmer où, selon lui, se trouvait la ligne de démarcation.
Autant dire qu'on ne s'est pas quittés bons amis.
Les jours suivants n'ont rien arrangé puisqu'il s'est avéré que le négociant avait tenté un passage en force pendant que, de mon côté, je montais un dossier que je souhaitais aussi complet et définitif que possible.
Bon, en fait, le dossier je me le suis roulé bien serré et on l'a gardé pour plus tard : le truc a été réglé en quelques jours sans qu'on ait eu à le sortir. Réglé au bénéfice de "mon" "client" : le négociant avait été un peu trop gourmand et beaucoup trop expéditif.
Bon, forcément, dit comme çà c'est un peu elliptique ... mais vu que je ne suis pas persuadé qu'il soit de bon ton de tout balancer sans autre forme de procès, je me contente de rebondir sur une phrase lâchée lors du debriefing, comme çà, sans vraiment y penser ni y croire, à propos du représentant du courtier et de ses comportements et arguments :
- Boh, tu sais, à sa place j'aurais peut-être fait pareil ?
- Mais non t'aurais pas
- Ben si un peu quand même, en fait. Bon, pas tout à fait pareil mais j'aurais sûrement tenté.
C'est probablement malheureusement vrai. Ou ça l'a été.
C'était y a un bail, et j'avais pas encore découvert le vin, ceci expliquant peut-être cela. Ou pas.
J'étais "monté à Paris", via Londres, et avais trouvé du taf à Rungis, dans le pavillon fruits et légumes. J'achetais en production, le plus souvent en France mais pas que (ah, ce souvenir ému des avions de mangues qui arrivaient directement de Guinée et étaient calibrées "à la forestière" ...), et revendais sur le carreau de Rungis.
Forcément, vu que la formation et l'expérience que j'avais alors vendues étaient exclusivement fruitières j'avais été affecté aux légumes.
Ils étaient joueurs et me faisaient donc vendre et acheter, entre autres, du céleri rave, de la betterave et du concombre. Au Monde, je ne déteste rien plus que ces trois abominations (encore que mon milk shake de céleri au bacon soit une pure merveille). Depuis quand t'as besoin d'aimer un truc pour le vendre ?
C'est donc là que j'ai été baptisé. Avec une palette de radis.
C'est cool le radis : y a plein de bottes sur une palette. Donc quand t'as tout vendu, même avec nos marges de grossiste (à l'époque 17%) il te reste pas mal de thune.
Quand t'as tout vendu, bien sûr.
Sinon t'es mal : tout bien considéré le radis, comme le violon tzigane, ne supporte pas la médiocrité.
Or la fameuse palette de radis (achetée à GR, maraîcher nantais de son état) s'est avérée avoir été consciencieusement fardée. Fardée ? Oui : une fois arrivé au mitan de la dite palette il s'est trouvé que par le plus grand des hasards, les radis avaient une tout autre gueule ! Ce n'étaient plus de beaux bébés joufflus, à l'air rose et frais mais de pauvres choses défraîchies et au bord du coma.
Dans ce cas là le salut passait par le télex.
Ouais, le télex. Je le crois à peine.
La phrase consacrée (qu'est ce que j'ai pu l'écrire cette maudite phrase !) était :
"La marchandise reçue ne correspond pas à la qualité demandée. Que devons nous faire : la garder à votre disposition ou la vendre pour votre compte ?"Le dit GR me rappela illico pour me demander d'où je tenais que ses radis n'étaient pas irréprochables. Je lui rétorquais que sa palette était honteusement maquillée et que la moitié inférieure relevait plus du compost que de l'alimentation humaine. Il m'assassinait donc avec ce qu'il faut d'ironie froide et mauvaise :
- c'est donc que vous avez commencé à la vendre ?J'étais cuit. Comme les radis.
- ben oui, forcément, si je tape pas dans la palette jamais je me rends compte qu'elle est fardée !
- ah mais c'est que ça change tout : si vous avez commencé à vendre les radis c'est que vous avez accepté la marchandise. La jurisprudence est claire : c'est votre marchandise et votre problème, moi ça ne me concerne plus.
Ce mois là, la palette de radis a fait mal à mon chiffre.
GR, ça m'a pris trois ans pour les lui faire bouffer ses radis. Mais il est forcément arrivé un jour où il a eu besoin d'aide car il était planté. C'était sur de superbes navets bottes. Je lui en avais fait rentrer quelques palettes. Pour le dépanner. En prix après vente, bien sûr.
Prix après vente ? Simple : d'abord tu vends, après tu dis au producteur combien tu lui paie sa marchandise. Trois ans étaient passés, alors j'avais appris le vice et les procédures : sur ce coup là, limite s'il me devait pas de l'argent, GR. Comme il gueulait je lui ai rappelé les radis. Ca l'a fait rire, que je sois rancunier à ce point et que je l'enfle. J'en ais conclu que les navets il avait du les acheter a un autre type. En prix après vente, bien sûr. En tous cas après on n'a plus eu de problème.
A quoi ça tient, une belle amitié ?
Enfin, le vice et les procédures sont pas entrés de suite. Faut croire que le terrain était pas totalement propice. D'abord y a eu les brugnons. Qui étaient des nectarines.
J'avais en effet obtenu mon bâton de Maréchal et basculé au rayon fruits.
J'avais de fort belles nectarines, venues en droite ligne de Tarn et Garonne.
- ah t'as des brugnons ! y sont beaux : je vais t'en prendre quelques caisses.
- pas de problème. Mais ce sont pas brugnons, ce sont des nectarines.
- ah merde : c'est pas des blancs, c'est des jaunes ?!
- ben si c'est des blancs.
- donc c'est des brugnons !
- non c'est pas des brugnons, c'est des nectarines. C'est des nectarines à chair blanche.
- n'importe quoi : les brugnons c'est blanc, et les nectarines c'est jaune.
- non. Les brugnons, la chair adhère au noyau - et c'est super rare - alors que les nectarines ben la chair adhère pas au noyau. Dans les deux cas y a des blancs et des jaunes. Je le sais : j'ai étudié l'arboriculture fruitière.
- mais tu dis n'importe quoi ! les brugnons c'est blanc. C'est tout !
- bon écoute : l'arboriculture fruitière je l'ai vraiment étudiée et je t'assure que c'est comme je te dis ! T'en veux combien des nectarines blanches ?
- t'es trop con et c'est des brugnons. Puis j'irai les acheter ailleurs mes brugnons.
A côté de ce que j'ai alors ressenti, Galilée n'a connu qu'un infime désagrément.
Du coup le jour ou le même client m'a lancé, vaguement admiratif :
- t'as des cornichons ? en cette saison !?Je lui ai bien sur répondu :
- ben oui, la preuve. Mais c'est de l'import (ce qui était rigoureusement exact), c'est pour ça !Forcément la semaine suivante quand je l'ai revu il était moyennement heureux : il faut dire qu'un avocat cocktail ça se prépare pas tout à fait comme un cornichon.
- alors mets m'en 3 colis.
- tu voulais des cornichons alors je t'ai vendu des cornichons. Le client est Roi.
- mais t'es vraiment trop con !
- te plains pas : grâce à moi t'a découvert un truc que tu connaissais pas. C'est rare.
- mais quel con ! bon tu me paie un café ?
Le must est sans doute avec le sanglier des Ardennes : il tournait autour de mes melons. Les cas était simple : des melons de ce calibre là soit il me les prenait soit j'en faisais des confitures.
Et c'est pas top de faire des confitures avec une palette de melon de Martinique quand tu as des objectifs commerciaux à respecter.
- y me plaisent pas tes melons. Y sentent rien, je suis sur qu'ils ont pas de goût !
- au contraire ! s'ils sentent rien c'est que les saveurs restent à l'intérieur, alors ils ont plus de gout que si tout partait dans l'air !! (c'est la triste vérité : j'avoue avoir commis cette chose).
Il m'a pris ma palette.
Peu de temps après je démissionnais pour aller bosser dans une coop : j'imaginais mieux défendre les producteurs en bossant pour eux. Parce qu'au delà des aimables plaisanteries décrites ci dessus les pratiques étaient généralement tout sauf aimables et d'une honnêteté pouvant parfois être discutée ..
Je me trompais lourdement et re démissionnais 3 mois plus tard, assez consterné par les pratiques quotidiennes pas forcément significativement différentes de ce qui se passait à Rungis. Le but premier d'une structure est avant tout d'assurer sa pérennité, pas la pérennité de ceux qui la font vivre.
Oui, ça fait plein de démissions ça. Serais-je instable ?
(private joke)(d'ordinaire les private jokes je les souligne pas, sinon c'est pas drôle mais celui là oui)
En attendant des avocats cocktail j'en vois plus trop.
J'étais un genre de précurseur, faut croire ?
(on est gentil : les photos sont moches mais sont à moi. Alors elles ne sont pas en libre service)
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