"Nous comprenons la Nature en lui résistant"

On l'aura compris, entre Bachelard ("Nous comprenons la Nature en lui résistant") et Rousseau ("Tout est bien sortant des mains de la nature"), tout d'abord ma raison, et sans doute un peu plus tard mon cœur, penchent plutôt vers Bachelard.


Alors pourquoi ce billet et, surtout, cette introduction ?
Oh, c'est juste qu'une fois encore je suis tombé sur tel ou tel panégyrique de la nature en général et des vins (dits) "nature" en particulier.

Il est vrai qu'il y a une tendance lourde à faire du
Rousseau de nos jours, y compris dans le Monde qui me concerne plus : le pinard.
Or j'ai un peu de mal à concevoir comment on peut revendiquer
la Nature alors que l'on est en plein dans une activité humaine qui, de surcroit, a un tel poids historique, culturel, religieux et donc de civilisation.
Le déclencheur, car il en faut bien un, est
ici.

 

Pourquoi celui ci et pas un autre ?
C'est qu'il y a peu je goûtais cette même
Cuvée Pervenche (Clos Puy Arnaud) et trouvais qu'il y avait bien là un fort beau vin de plaisir : un joli fruit tant au nez qu'en bouche, belle matière tout en rondeur, car on n'est pas sur le monstre bobybuildé mais bien dans le vin de plaisir.

Ca se boit bien dès aujourd'hui et doit même pouvoir attendre un peu.

What else
?
Par exemple que ça se boit d'autant mieux que le propriétaire, brièvement croisé, s'est avéré charmant (oui : je dois avouer avoir du mal à boire les vins - même bons - issus du travail de types bien plus imbuvables que leurs vins, alors forcément quand les deux font passer un bon moment ...).

Pourtant cette
Pervenche, toute porteuse de plaisir qu'elle soit, s'accompagne d'écrits qui me laissent au mieux perplexe :
La vigne est un être vivant qui doit respecté pour donner sa pleine mesure…
Bien entendu, il faut tout faire pour ramener le plus possible de vie dans les sols et utiliser toutes les possibilités de notre petit terroir pour introduire de la biodiversité partout ou cela est possible (préservation des bosquets et des bois, création de haies, plantation de plantes aromatiques, engrais vert un rang sur deux alternant plantes aératrices de sol et apportant de la matière organique et plantes mellifères apportant des niches aux insectes et aux oiseaux…
Nous essayons aussi de travailler à un niveau plus subtil grâce à la biodynamie, à la géobiologie et à la bioénergétique sur les équilibres Yin Yang de notre micro-environnement.

J'ai bien sur un peu de mal avec, entre autres choses, la revendication de la biodiversité quand elle se fonde avant tout sur la plantation de 5 à 10 000 pieds par hectare d'un seul et même cultivar dans un seul et même mode de conduite.

Mais chez le même "Clos Puy Arnaud" on trouve aussi ceci :

La conception actuelle de l’élite viticole tend vers une viticulture de haute précision à mon sens un peu trop esthétique et aussi trop soucieuse de son image. Il en découle un abus d’effeuillage, de rognages, de tonte de l’herbe, de vendanges en vert  etc….
A l’inverse une agriculture dite naturelle (à la mode elle aussi dans d’autres sphères) succombe peut être un peu trop à l’image d’Epinal (la nature s’occupe de tout  !) pour dédouaner le vigneron de ses efforts et de sa peine.

Alors j'avoue sans peine que ça me va plutôt bien, car ça me semble à peu près aussi équilibré que le vin qui m'a servi de point de départ.
On n'essaie pas, ici de nous survendre un ersatz de nature : la
Nature n'y est ni empaillée, ni mythifiée. Simplement on tend, autant que faire se peut, à s'en rapprocher ou du moins à se rapprocher de l'idée que l'on s'en fait (car honnêtement, après quelques millénaires d'activités humaines, c'est quoi la Nature : à part justement une image d'Epinal ?).


Mais il reste, bien sûr, à franchir l'écueil majeur de ce travail à un niveau plus subtil grâce à la biodynamie, à la géobiologie et à la bioénergétique sur les équilibres Yin Yang de notre micro-environnement. (ça me rappelle furieusement les théories scientifiques de Monsieur Spock).

La biodynamie ?
La biodynamie en agriculture résulte de conférences de Rudolf Steiner au tout début du XXème siècle.
Rudolf Steiner ?
Auteur et penseur prolifique dont on retiendra l'anthroposophie (Rudolf : tu sais ce qu'ils te disent, mon corps astral et mon corps éthérique ?) ... et la biodynamie.



Selon Rudolf :

L'idéal de l'agriculture biodynamique est l'organisme agricole avec la plus grande autonomie de production adaptée aux conditions locales et aux possibilités de travail locales.

On comprendra donc aisément qu'en monoculture viticole - même en y ajoutant 2 poules (dont une ne pond plus) - "la plus grande autonomie de production" c'est pas gagné d'avance ...

Ca pose un peu problème, non, quand l'un des principes de base posés dans le texte fondateur n'est pas le moins du monde pris en compte !?
On s'éloigne un peu de l'idéal, me semble-t'il ...
Mais l'écueil majeur ne me semble pas résider dans cette liberté prise par les biodynamistes avec les idées de leur père fondateur.

Ensuite je sors mon joker et n'en dis guère plus à propos de la géobiologie, de la bioénergétique, des équilibres Ying Yang et autres joyeusetés mises en sauce à grand renfort de forces cosmiques, de dynamisation, de position (géocentrée) des constellations et, last not least, de jour sidéral feuille / fleur / fruit / racine.


Juste que tout cela - il n'y manque que la physique quantique - me laisse quelque peu perplexe, quand ce n'est pas hilare.

D'autant plus perplexe que d'une part il semble y avoir autant de biodynamies qu'il y a de biodynamistes : il suffit pour s'en convaincre de discuter avec tel ou tel, ou juste de lire sa version de son travail en biodynamie (contre étiquettes et sites internet sont des sources quasi inépuisables), et que d'autres part tout cela manque cruellement de preuves scientifiques.

On m'a déjà rétorqué que la science c'est mal et qu'en plus c'est pas le bon modèle.
Ouais m'enfin : ce dont on dit que ça marche dans un modèle qui doit être pris dans sa globalité et surtout pas point par point, et que l'on se doit donc de l'accepter tel quel sans que ni la globalité ni les fondements ne soient prouvés par des méthodes qui ont fait leur preuve, franchement ...



Pas la peine d'en faire des tonnes : on l'aura compris je suis quelque peu sceptique. Et c'est un doux euphémisme.

Ce scepticisme sur le fond s'est renforcé sur la forme au cours du temps et des fâcheuses rencontres (mais il y en eut heureusement de fort belles : cette Pervenche, les vins de Ledogar, et bien d'autres encore !).

Côté fâcheux tant dans le vin que dans le discours, je pense par exemple à ceci, à cela, ou plus simplement aux tristes vins sur oxydés (et sur facturés) découverts régulièrement depuis plus de 15 ans à l'ouverture de tel ou tel millésime de la Coulée de Serrant.

Ca a pourtant été très beau, la Coulée de Serrant.
Je me souviens encore, en particulier, de cette bouteille ouverte il y a presque 20 ans un après midi pour le soir et qui s'est avérée fermée à double tour. Grosse déception. Le lendemain au petit déjeuner (oui, au petit déj, je sais ...) elle était splendide. Vraiment. Mais depuis, c'est régulièrement moche et le discours tant technique que commercial suite à ma remarque de vins morts et de bouchons indignes (et inversement) a été stupéfiant.



Passons pour mieux revenir sinon à la Nature du moins aux vins (dits) Nature.
Je l'ai déjà dit maintes fois alors une fois de plus ne fera pas grande différence : le vin n'est pas naturel, il est culturel (et cette tentative de confiscation de la Nature est un rien casse couilles). Les débats (si tant est que l'on puisse encore parler de débat) à propos de ces vins "Nature" en témoignent régulièrement.


Pour autant les vins "nature" - du moins ceux qui en parlent - peuvent être une inépuisable source de joies. Je pense en particulier à l'inénarrable jean-Charles Botte qui, entre autres joyeusetés, assène tranquillement ce genre de chose :

Depuis quelques années, les vins naturels sont présents et c’est une réalité. Deux grands styles de vins dans le monde sont présents :
- Style buccale : pas de rétro-olfaction dans les vins (la cause aux levures exogènes)
- style spirituel : grande rétro-olfaction grâce à la symbiose d’une agriculture bio et d’une vinification en levures indigènes



Le style buccal, le style spirituel et la rétro olfaction grâce ou à cause des levures, ç'aurait été dommage de rater çà ... ou pas.



Bon, n'ayant que peu de points communs avec Sainte Rita, je me détourne des causes perdues, au moins de celle ci.

Simplement, les soirs de grande détresse morale, un petit coup de JC Botte ça fait un bien fou.

En tous cas bien plus de bien que ces tristes vins devenus des terrains de jeux pour tel ou tel microorganisme bien vivant qui se délecte à démonter pièce par pièce la construction de vins qui bien souvent le revendiquent haut et fort, le vivant.

Je pense par exemple à ce vigneron fort influent et honorablement connu à qui j'achetai de beaux vins de garde qui, après un an en cave, se sont transformés en bouillons de culture gazeux et malodorants. En un mot : nazes.
Il me répondit d'abord que je n'y connaissais rien, ensuite que je ne savais pas les servir car après deux ou trois jours d'ouverture ils étaient magnifiques (et là on voit la marmotte arriver en courant avec ses petites mains agiles pleines de feuille de papier aluminium).
A l'époque j'essayais d'en vendre, du vin ... surtout le sien, que je proposais tantôt avec du
saucisson de sanglier (argumentant sur la similarité des gouts et des odeurs), tantôt en disant "
j'aime pas, mais vous avez le droit d'aimer. Si ça vous plait je vous le facture, si ça vous plait pas on le met à l'évier et on n'en parle plus".
Y a des masochistes honnêtes : parfois j'en ai facturé.

Et je continue à attendre le sommelier qui un jour osera me dire les yeux dans les yeux : "oui, là le vin il est pas bon mais si je laisse la bouteille en vidange et que vous revenez la finir dans 3 jours ce sera merveilleux" ...

 


Je pense aussi à cette pauvre chose oxydée et complètement vitrifiée accompagnée d'une étiquette so cute et d'un discours so consternant.



Mon Dieu (Dionysos) que c'est pénible ces étiquettes et ces noms tellement drôles qui semblent  vouloir compenser l'indigence du contenu et qui, bien sûr, n'y arrivent pas.
Même accompagnées d'une contre étiquette au discours directement branché sur une constellation lointaine. Saleté de mode.


Ou bien encore cette récente dégustation au cours de laquelle un participant nous propose un vin en annonçant avec la componction d'un prélat te présentant une ostie : "c'est en biodynamie, tout nature". Le vin était au demeurant plutôt correct, encore que manquant un chouïa d'élégance.

Bien souvent on me rétorquera, de préférence d'un ton condescendant, que ces vins sont vivants et qu'en conséquence quelques bouteilles plus faibles (comprendre consternantes) valent bien les découvertes réjouissantes qui ont parfois lieu.
Quand je vais chez mon boucher chercher des côtes de bœuf, si j'en reçois ne serait ce qu'une immangeable car verte, je la lui fous sur la gueule et je le range illico dans la catégorie des malfaisants !
Pourquoi en irait il autrement pour le vin ? pour la Nature, ou pour la culture ? pour ce qu'est le vin ou pour ce qu'il est de bon ton d'en dire et penser ?

Car au nom de quoi un vin indigne, conséquence des choix techniques et surtout philosophiques (commerciaux ?) de son géniteur, devrait il être défendu, justifié, approuvé pour la raison surréaliste que toutes les bouteilles ne sont pas forcément toujours indignes, et que cette indignité est la conséquence obligée de leur naturalité et leur état de vie réelle ou supposée ?
Que vu qu'ils sont immuablement accompagnés du discours qui va bien, on peut et doit comprendre ces incidents de parcours. Voire même les encourager en continuant d'acheter et vanter les vins de ce vigneron rebelle si sympathique et aux étiquettes tellement tendance ?



Il disait quoi déjà le petit père Ch'eng Hao ?

"Si quelque chose est dit sur la nature, alors ce n'est déjà plus la nature"

J'aurais dû commencer par là.
En même temps ç'aurait été fini dès l'entame ...













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