Manuel du Vigneron Français



Manuel théorique et pratique du Vigneron Français, ou l'art de cultiver la vigne, de faire les vins, eaux de vies et vinaigres



C'est un petit bouquin, in-16, écrit par Arsène Thiébaud de Berneaud, dont la première édition date de 1823.


C'est la 4ème édition (1836) que j'ai dénichée à Périgueux, lors d'une récente escapade périgourdine.

On y trouve quelques perles, mais aussi d'intéressants témoignages sur telle ou telle technique et ses intérêts réels et supposés.









C'est, par exemple, le cas pour la greffe dont diverses méthodes sont détaillées, avec leurs intérêts et inconvénients et, plus généralement :
Beaucoup d'espèces sont susceptibles d'être améliorées par la greffe, tant sous le rapport de la fécondité que sous celui de la qualité du raisin.
Toutes les espèces qui se refusent à certains terrains peuvent y réussir lorsqu'elles sont entées sur des souches qui s'en accommodent, et ne dût-il résulter que cet avantage, les vignerons ne devraient pas négliger d'enrichir, par la greffe, leurs propriétés, les bonnes espèces, qu'ils ne pourraient cultiver sans ce procédé.
... alors que la crise phylloxériques n'est pas encore là, la greffe semble donc déjà conseillée.
Le franc de pied n'était donc peut-être pas la norme que l'on pourrait penser (du moins si l'on en croit Thiébaud de Berneaud).





On trouve également les descriptions et explications permettant de construire et installer des équipements sensés protéger vignes et vergers de la grêle ...

Et ça me laisse un rien perplexe (malgré la diatribe finale de l'auteur).










Bien entendu, l'hygiène des cuves est évoquée (à grand renfort de coings du Portugal !?!) :
Tout propriétaire soigneux tiendra ses cuves nettoyées avec la plus grande attention la veille de l'ouverture du ban des vendanges. Il y en a qui les frottent avec des coings de Portugal bien mûrs ; d'autres passent sur les parois intérieures de leurs cuves en pierre, quelques couches de chaux vive, afin de saturer l'acide malique qui existe dans le moût ; ceux-ci les lavent avec de l'eau tiède et passent un peu d'eau-de-vie sur les parois, quand les cuves sont en bois; ceux-là les frottent avec des décoctions de plantes aromatiques, d'eau salée, de moût bouillant, etc. Toutes ces méthodes sont bonnes quand en résultat on obtient la propreté ;  mais l'usage de la chaux-vive n'est peut- être pas sans inconvénient : n'est il pas à craindre que les sels calcaires que l'on forme par cette application, venant à se détacher dans le vin, ne lui communiquent un mauvais goût et des propriétés nuisibles à la santé ?

Il y a aussi des prescriptions plus ou moins fidèles aux travaux de Chaptal, travaux qui sont encore bien récents, sans oublier les procédés qui ont fait leurs preuves (ah, le bon vieux temps ...)  :
Quand l'été peu chaud n'a pas permis au raisin d'acquérir toute sa partie sucrée, on ajoute, au moût, vingt-quatre décagrammes ou demi-livre du sucre le plus commun par chaque dix tendelins de vendange ; on peut aussi aromatiser le moût avec des jeunes pousses de pêchers ou d'amandiers, et quelques petites poignées de fleurs de sureau sèches.

On y perçoit l'amorce de la microbiologie du vin :

Il est démontré par les belles expériences de Thénard, que les sucs des fruits qui fermentent directement contiennent tous une matière sucrée et une portion de ferment. Les jus de groseilles, de cerises, de pommes, de poires, de pêches, etc., etc., sont tous dans ce cas.
Thénard a cru que le ferment était la levure de bière, que par ce motif il regardait comme un principe immédiat de végétaux. Proust a pensé que le sucre non cristallisable du raisin, jouissait directement  de la propriété de fermenter. J'ai fait de nombreuses expériences que je consignerai dans un autre mémoire, desquelles j'ai dû conclure que beaucoup de substances végétales différentes remplissent les fonctions de ferment. Celles de ces substances qui renferment de l'azote m'ont surtout semblé susceptibles de le remplacer, bien que les matières animales que j'ai été à même d'essayer n'aient pu me faire obtenir de semblables résultats.

Et puis viennent diverses informations sur les maladies du vin.
Je ne reviens ni sur la graisse, ni sur la tourne, que j'ai déjà évoquées il y a quelque temps, et ne mets qu'un mot à propos de la maladie de la fleur, car la méthode curative proposée par l'auteur est intéressante :
Quand on a négligé de remplir, il se forme dans le tonneau une mousse banche, qu'on nomme fleur, et qui couvre la surface du liquide. Il est urgent de remédier à cet accident, qui précède constamment la dégénération acide du vin. On commence par forcer l'air qui remplit le vide à sortir : pour cet effet, on introduit la douille d'un soufflet ordinaire par la bonde, et on l'agite de chaque côté. On introduit ensuite une mèche soufrée, qu'on laisse brûler en fermant la bonde, puis on remplit le tonneau et on frappe dessus, tant pour exciter la sortie des bulles d'air qui s'arrêtent dans les cavités, que pour amener le plus possible de fleurs vers la bonde ; après quelques minutes de repos, on presse des deux genoux le fond du tonneau, ce qui fait déborder le liquide, on souffle dessus, les fleurs tombent, on remplit et on continue l'opération jusqu'à ce que l'on n'aperçoive plus aucun vestige de cette mousse.


L 'auteur qui se penche en outre sur la santé du vigneron (et la morale publique) :
Un vice essentiellement dangereux, et pour la morale publique et pour la santé, c'est l'habitude du vin et de l'eau-de-vie, à laquelle certains vignerons se livrent sans mesure et sans frein. Ces excès souvent répétés causent beaucoup de maladies aux jeunes gens et accablent le vieillard principalement d'hydropisies presque toujours incurables. Certes, il est loin de ma pensée d'empêcher le vigneron de boire de ce vin pour lequel il a donné tant de soins et supporté tant de fatigues : le vin est nécessaire pour soutenir les forces de celui qui travaille, mais il ne doit point en abuser. L'homme utile veut être exempt de ces vices qui déshonorent, et sont l'apanage de l'oisif, de l'être dangereux.

Et, en conclusion, Thiébaud de Berneaud nous assure que :
Il résulte des observations précédentes et de celles faites par les meilleurs œnologues, que les précautions nécessaires pour faire son vin le meilleur possible sont :
1. De cueillir le raisin par le plus beau temps possible ;
2. De le choisir bien mûr, en ôtant les grains verts, secs ou pourris ;

3. De le fouler de telle sorte qu'aucun grain ne reste sans être écrasé;
4. De retenir le marc baigné dans le moût à l'aide d'un double fond percé à jour que l'on met dans la cuve, et que l'on fixe avec des tasseaux avant l'instant où la fermentation a fait gonfler la vendange ; 5. De couvrir la cuve avec une toile posée dessus, et repliée plusieurs fois sur elle-même, afin de ralentir, autant que cela se peut, le dégagement du gaz carbonique, et de faire sur lui l'office du réfrigérant, en s'interposant entre lui et l'air atmosphérique ;
6. Enfin, de décuver quand le vin est fait, et plutôt un peu avant que trop tard, ce qu'on peut reconnaitre quand la fermentation devient calme, quand le vin s'éclaircit, et quand la température du bas de la cuve diffère peu de celle du haut.



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(comme à chaque fois : reproduction partielle de telle ou telle partie de ce bouquin sur simple demande)

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