Brett ou pas Brett, la est la question ...


En août 2015 je publiais ce billet traitant de Brettanomyces.
Il fait partie de ceux qui ont rencontré un large public et figure donc en haut de mon top 10 (pour l'essentiel le reste de mon Top 10 est constitué d'articles se penchant sur le cas de ceux qui aiment la volatile et les phénols).
J'y reviens aujourd'hui (en novembre 2020) car, 5 ans après, la connaissance de Brettanomyves - et des contre-mesures envisageables - ayant évolué, il me semble utile de procéder tant à une mise à jour qu’à une refonte de ce texte.

Au départ il y a une belle soirée chez les Sériot, avec un vin bien tapé par  Brettanomyces (on trouvera le détail de la chose tant
sur le blog de Daniel que sur le mien).
En soi, rien qui justifie d'en dire plus. Si ce n’est qu’au-delà du fait que lors de la soirée tout le monde n'a pas été convaincu de la présence du défaut, il y eut ensuite diverses réactions et discussions avec des variations autour de ce thème : 

"mais non, ce n’est pas çà : ce vin je l'ai goûté et il n'avait aucun problème de Bretts !
Il était même superbe
".
Des remarques que l’on retrouve assez régulièrement quand tel ou tel évoque un défaut en général et ce défaut en particulier.

D’où ce texte dont le cahier des charges pourrait être le suivant :

"Brettanomyces : qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que cela fait, comment peut-on lutter contre la bestiole ... et pourquoi peut-on goûter le même vin sans y trouver le même défaut ?".

Le tout en forme d'état de l'art et de partage d'expériences, donc pas du tout avec la même approche que celle que j’ai retenue à propos de la maladie de la graisse ou de la maladie de la tourne.

Donc voilà ... 

Note préliminaire : ceux qui n'aiment ni la microbiologie, ni les trucs (un peu) trop scientifiques sauteront directement à la fin du billet où ils trouveront - en gras - mes tentatives d'explication sous une forme simple mais, du coup, peut-être un peu simpliste ?

Je commence par un peu d'Histoire.
Brettanomyces a initialement été identifiée dans la bière, par Clausen et c'était en 1905.
Elle a ensuite été trouvée tant dans des mouts, que dans des vins ou des cidres (qui n'a jamais senti la belle odeur de poulailler d'un cidre fermier n'a jamais pleinement bénéficié du passage de Brettanomyces ...).
Au-delà du -myces de champignon, autant que je sache son petit nom, Brettano, viendrait de britannique 1.
Brettanomyces ?
Le champignon du goût britannique … encore qu’elle fut aussi connue sous un autre nom d'espèce : bruxellensis (nous passons ici dans le registre des bières dites « de fermentation haute »).


Photo Nicolas de Rouyn
(Cattelan, exposé à la Monnaie de Paris)

Qu’on ne s’y trompe pas : Brettanomyces n'est pas un problème par le simple fait de sa présence.
C'est qu'à partir de précurseurs naturellement présents dans le mout et le vin elle sait produire - et le fait trop souvent - des composés volatils : les phénols volatils, qui confèrent au vin une palette aromatique allant de la gouache à la basse-cour, en passant par la sueur de cheval.

Si l'on ne fait rien : on va droit dans le mur.










Je vous propose maintenant un rapide état des lieux : 

 
- Brettanomyces entraine une perte de qualité du vin par apparition de déviations aromatiques (odeurs d’écurie / pharmaceutiques) et de faux goûts (vilaine sècheresse métallique en fin de bouche). Pour l'essentiel liés à la production des phénols volatils,

- Brettanomyces se trouve à la vigne, mais aussi dans les chais et sur le matériel vinaire,

- Brettanomyces peut se développer sur mout, sur vins en cours de FA, et sur vins finis. Toutefois, sa période de développement de prédilection reste le temps de l’élevage du vin,

- L'éventuelle phase de latence entre la fin de Fermentation Alcoolique (FA) et le début de Fermentation MaloLactique (FML) peut-être mise à profit par Brettanomyces pour se développer. Elle peut alors entrainer d’une part la baisse de qualité du vin et, d’autre part, le blocage de la FML (en particulier dans le cas d’une micro oxygénation entre FA et FML).

Brettanomyces est de plus en plus souvent rencontrée dans les vins rouges (mais on commence à parler de blancs également touchés) car les vinificateurs et leurs commentateurs et consommateurs recherchent fréquemment des vins au degré alcoolique élevé, à l’acidité basse et à la richesse phénolique importante. Or tout ceci donne des vins qui conviennent parfaitement à Brettanomyces (qui, de toutes manières, est une levure particulièrement bien adaptée au vin).


Il est temps d’évoquer quelques éléments objectifs :

1. Une étude statistique (Gerbaux, 2000) menée en 1999 en Bourgogne a mis en évidence que 40 à 50% des vins rouges étaient contaminés par Brettanomyces (mais avec des conditions de prélèvement qui laissent penser que ce % est en réalité bien supérieur !)2.
Pour la France : la présence en Bordelais, en vallée du Rhône et en Val de Loire est avérée et importante. Il en va de même en Californie et d’une façon générale dans l’ensemble des vignobles où l’on élabore des vins rouges de maturité importante.

2. A partir d’une collection de 15 souches, Vincent (2006) met en évidence que, toutes choses égales par ailleurs, la production de phénols volatils varie de façon très importante en fonction de la souche de Brettanomyces qui a été ensemencée. Elle observe, dans ses conditions expérimentales, une production variant au total de 1500 à 4500 µg/l.
Donc même avec les Brettanomyces les moins productrices, la teneur en phénols volatils est nettement au-dessus du seuil de perception (théoriquement 500 µg/l, mais ce seuil peut varier selon la structure du vin et la sensibilité du dégustateur 3).

3. Conterno (2006) étudie 47 souches de Brettanomyces et met en évidence que, toutes choses égales par ailleurs, la production de phénols volatils est extrêmement variable d’une souche à l’autre (en effet 25 % des souches testées produisant des quantités extrêmement faibles de phénols volatils, au moins dans les conditions expérimentales des auteurs).

4. D’autres travaux montrent que même sous forme sporulée (= en présence de soufre actif à des niveaux suffisants. Je reviendrai là dessus) Brettanomyces garde une partie de son activité néfaste (sa production d’éthyl  4 phénols est alors très réduite – environ à 10% - mais reste significative, en revanche pour le gaïacol les différences seraient minimes) 4

Pour résumer : en dépit d’une forte variabilité de la famille Brettanomyces, son pouvoir de nuisance est avéré.


Quels sont les moyens de lutte actuellement à disposition ?

Contre Brettanomyces :

1. SO2 :
Contre les microorganismes, on a longtemps utilisé le soufre, et on continue à le faire.
A dose identique, son efficacité est avant tout fonction :

- du SO2 libre qui est la partie de SO2 qui n'est pas liée aux constituants du vin et peut donc remplir l'un ou l'autre de ses rôles (sur le SO2 et le vin on pourra se référer à un autre de mes billets qui traite de ce sujet),
- du pH, qui doit être envisagé avec le
SO2
L'efficacité du soufre libre est très limitée avec un pH > 3.7 ... or, au moins dans le sud, des pH de cet ordre (donc des acidités relativement faibles) sont plutôt fréquents !
- mais aussi du TAV (Titre Alcoolique Volumique ... la façon officielle et compliquée de dire "degré alcoolique"),
- et de la température. 
En outre, il semblerait que le niveau de population de Brettanomyces impacte aussi l’efficacité du sulfitage7 .

 

Attention toutefois :
- même quand le SO2 est efficace, il ne tue pas Brettanomyces mais la fait passer sous forme sporulée (les conséquences de ceci sont évoquées plus loin dans ce billet).
- la spore sporulée (aussi dite VNC pour Viable Non Cultivable) est une forme de survie que Brettanomyces quittera dès lors que les conditions lui seront plus favorables
(Capozzi, 2016),
- en conséquence, si l'action du SO2 est durable elle ne dispense pas, par exemple, d’une filtration tangentielle avant mise ! faute de quoi : si le vin est contaminé, on s’exposera à un développement en bouteille dès lors que la teneur en SO2 sera devenue plus acceptable par Brett.
-  en outre selon
Du Toit (2005) : malgré le sulfitage, Brettanomyces maintient ses fonctions cellulaires et son activité métabolique,
- de plus selon Barata (2008) : à une dose de 0.70 mg/L de SO2 actif, sur 17 souches : 7 sont totalement inhibées, 10 ne le sont que partiellement, et 3 ne souffrent en rien de ce soufre ! 
Or 0.70 d'actif est une dose monstrueuse : avec 30 mg/l de SO2 libre (dose relativement classique ... et encore certains vins sont-ils à 25 voire en dessous) il est impossible de parvenir à ce niveau pour des pH supérieurs à 3.5 ! En conséquence de quoi atteindre 0.70 d'actif obligerait à monter la teneur en soufre des vins à des valeurs inacceptables.
- d'ailleurs, selon
Curtin (2012) : 85% des isolats de Brettanomyces sont capables de croitre même à 0,6 mg/L !
- Encore pire : de récents travaux (par exemple, en 2017 : Albertin, ou Cibrario) montrent que sulfiter la vendange peut mener à la sélection de Brettanomyces qui tolèrent bien le soufre et que l’on aura, ensuite, le plus grand mal à contrôler (sans même parler de s’en débarrasser).

Autrement dit : dès lors que l'on est un peu mûr et/ou un peu dans le sud le SO2 ne peut pas être une solution, même temporaire.

Bien sur ceux qui démarrent l'histoire à 0 de SO2 libre (c’est, pour l’essentiel, les vins sans sulfites ajoutés), ont tout particulièrement intérêt à être totalement exempts de Brettanomyces (et autres cochonneries) lors de la mise en bouteilles !
Mais les autres aussi puisque, encore une fois, cette levure est en mesure de se redévelopper une fois que la teneur en SO2 sera revenue à des valeurs plus acceptables, ce qui arrivera forcément si on a des vins de moyenne ou longue garde !


2. Hygiène + Levurage + Ensemencement bactérien :
Depuis quelque temps certains praticiens choisissent d’occuper le milieu pendant la FA puis la FML par une succession de microorganismes inoffensifs, à des niveaux de population suffisant à limiter ou empêcher l’implantation ou le développement de Brettanomyces (et autres contaminants). 
Ceci n'est possible que tant qu’une concurrence importante et active est en place et cela peut suffire au contrôle de population jusqu’à la fin de la FML4 voire au-delà.
Ce constat est l'un des atouts de techniques relativement récentes :
- implanter des bactéries lactiques alors que la FA est en cours ou n'a même pas encore réellement commencé : la co inoculation de levures et de bactéries.
- avoir recours précocement (sur vendange ou sur mout) à des levures dites non-Saccharomyces que l’on substitue au soufre. Sur ce dernier point, deux options principales coexistent :
* Metschnikowia pulcherrima, qui libère de l’acide pulcherrimique. Or ce dernier chélate le fer (la chélation est une liaison très forte qui empêche la biodisponibilité des composés concernés). Et le fer semble indispensable au "bon" développement de Brettanomyces.
* Lachancea thermotolerans qui utilise une partie des sucres pour produire de l’acide lactique. Ceci mène à une légère diminution du degré alcoolique mais aussi à une légère acidification biologique du vin. Ce qui permet d’augmenter l’efficacité du SO2 (voir le rôle du pH).

Sur le sujet du bio contrôle des contaminants voir par exemple le beau travail de Nissen (2003), dont les références se trouvent en fin de billet.
Enfin : de récents travaux de Vincent Gerbaux (2019) - dont je mets le lien en fin de billet - montrent quant à eux que, une fois la FML achevée, les bactéries lactiques restent dans le vin à de très hauts niveaux de population et sont par là même en mesure de bloquer le développement de Brettanomyces ainsi que sa production de phénols volatils.
On savait déjà que retarder le sulfitage de 7 à 10 jours après FML permettait de laisser le temps aux bactéries lactiques de métaboliser l’éthanal et donc d’augmenter l’efficacité du sulfitage (l’éthanal combine fortement le SO2 et réduit donc l’efficacité du sulfitage). Vincent - le "Monsieur bactéries" de l'IFV) nous apprend que ne pas sulfiter du tout permet, au moins à l’horizon de quelques mois, de maintenir une population bactérienne à même de contrôler Brettanomyces.

Pour être complet sur le sujet : j’ai longtemps supposé et espéré que l’implantation de souches de Brettanomyces non productrices de phénols volatils au tout début de l’élevage permettrait de coloniser le vin avec une souche « inoffensive » et, par là même de bloquer l’implantation de souches néfastes à la qualité du vin.
Cette idée, qui me semblait tant amusante qu’élégante, se heurte au fait que nous n’avons pas trouvé de souche de Brettanomyces dont on puisse être certains qu’elle ne produira pas de phénols volatils, quelles que soient les conditions d’élevage.

3. Soutirage et/ou collage :
Selon Marie-Laure Murat (2003) cela permet de diminuer fortement la population (de l'ordre de 2 logs, autrement dit divisé par 100, ce qui est considérable mais, bien sur, insuffisant à régler le problème) : il est vrai que Brettanomyces est un microorganisme lourd qui sédimente assez vite5
Mais ça ne règle pas le problème puisqu'il n'y a pas élimination totale de la population.
En outre selon Renouf (2006) - voir sa thèse en fin de billet - la production de phénols volatils est d’autant plus forte que la population est en phase de croissance … or un soutirage diminue la population qui peut, ensuite, re augmenter.

 
4. Flash pasteurisation :
La méthode est très efficace dans l’instant, mais ne donne pas de garantie sur la durée : une mise proche dans le temps (et stérile !) est donc vivement recommandée, car sinon il risque y avoir recontamination. On a en effet un milieu exempt de toute population et le premier contaminant passant par là se ferait un plaisir de s'y développer allègrement !
Au dela de cette remarque : il faut quand même noter que c'est plutôt coûteux et que l’on peut craindre des effets sensoriels sur le vin.

5. Filtration tangentielle :
Là aussi c'est très efficace dans l’instant, mais ne donne pas plus de garantie dans la durée ! Donc une mise stérile peu après la filtration me semble tout aussi indispensable.
Intervention également plutôt couteuse ... mais quand on filtre, choisir de le faire en tangentiel permet de significativement limiter les pertes de vin. C'est donc un bon choix technique et économique pour les vins de valeur ajoutée élevée.
On aura compris que, personnellement, ça me semble préférable à la Flash. Mais avec, dans les deux cas, une limite importante, qui est - au dela du coût - la disponibilité de l’opérateur (car quand il y a le feu ...), ainsi que sa capacité à travailler de façon stérile !

6. Chitosane :
Mettre du chitosane (produit récemment autorisé) revient ni plus ni moins à faire un collage des micro organismes avec, en plus, une diminution de la viabilité de Brettanomyces.  
Le chitosane entraîne en effet une perturbation de la perméabilité membranaire de Brettanomyces (mais selon certains auteurs cet effet serait réversible !).
Le chitosane agit sur une population dont on sait qu'elle est là, mais n’assure pas de protection durable dans le temps. C'est donc un produit curatif qui ne permet en aucun cas de faire de la prévention.
Techniquement cela nécessite un soutirage 10 jours après utilisation car les lies de collage sont très riches en Brettanomyces gardant tout ou partie de leur activité (observations personnelles, quoique certains puissent en dire). Attention : si vous souhaitez faire la FML ne traitez pas au chitosane avant qu’elle en soit achevée !
Coût non négligeable.

Il existe des alternatives plus récentes :

- d'une part de la stérilisation à froid par rayonnement ultraviolet
La méthode semble intéressante car elle permet de traiter tant le mout que le vin, on peut donc l'envisager précocement. 
Sur quoi repose-t'elle ?
Les UV-C, dont la longueur d'ondes est courte ... et la nocivité grande. En effet leur effet germicide est avéré aux alentours d'une longueur d'ondes de 265 nm, c'est donc une méthode de désinfection répandue (depuis le traitement des eaux jusqu'au milieu hospitalier).
Quelles en sont les limites ? 
J'en vois trois : 
* le premier est spécifique à la méthode : tant les polyphénols que la turbidité limitent l'efficacité du rayonnement UV. Le truc a donc besoin d'être affiné, si possible.
* les deux autres sont plus généralement partagés : on n'a pas forcément élimination totale de la population (du fait justement de la turbidité et la charge en polyphénols), et on n'est pas protégé contre les contaminations ultérieures.
Nota : la méthode n'est pas, dans son principe, spécifique de Brettanomyces mais le choix de la longueur d'ondes précise n'est pas à la marge. Au moins pour les blancs, on pourra se poser des questions quant à la survenue d'éventuels goûts de lumière qui sont dus à l'oxydation de la riboflavine par, justement, les UV.

 - d'autre part des champs électriques pulsés
 Ici on vient taper sur la membrane et détruire Brettanomyces, avec des efficacités variant grandement selon le mode opératoire.
On notera que ce qui est vrai pour la membrane de Brettanomyces l'est aussi pour celle du raisin et qu'il existe donc des applications - en cours d'évaluation - qui s'intéressent à l'extraction sélective des composés phénoliques par cette même méthode.

Pour finir on notera qu'il n'y a pas, pour le moment, de réelle méthode préventive permettant de se protéger du développement de Brettanomyces (au-delà du sulfitage dont nous avons vu les limites, ou de la bioprotection qui ne saurait être une garantie absolue).


Que peut-on faire contre les phénols volatils ?


Pendant très longtemps la réponse était simple : rien, ou de façon marginale.
Tout au plus savait-on les doser par Chromatographie en Phase Gazeuse (CPG), ce qui donne une information utile (mais a posteriori !) sur les conséquences sensorielles de la présence de Brettanomyces.
Lorsque la teneur en phénols volatils devenait gênante on pouvait au mieux essayer de masquer la chose par assemblage (attention alors à ne pas contaminer en Brett une cuve qui en était exempte !) ... ou par une utilisation de copeaux pouvant être massive et manquer un peu d'élégance (doux euphémisme).

Jusqu'à une époque extrêmement récente il n'existait pas de traitement (méthode ou produit) efficace et autorisé.
La situation a évolué avec la résolution
OIV-OENO 504-2014 :

"Une nouvelle pratique œnologique sur le traitement des vins par un couplage de technique membranaire et de charbon actif pour réduire un excès de 4-éthylphénol et 4- éthylgaïacol a été admise. Ce traitement physique consiste à utiliser des technologies associant la nanofiltration et le traitement par charbon actif désodorisant avec l’objectif de réduire les teneurs en 4-éthylphénol et 4-éthylgaïacol d’origine microbienne qui constituent un défaut organoleptique et masquent les arômes du vin".

Ce n'est que du curatif, mais c'est remarquablement efficace, et permet de ramener le vin à un niveau de phénols volatils acceptable, sans toucher aux qualités du vin.
D’autres options existent, dont l’utilisation d’écorces de levures dont les propriétés adsorbantes permettent de fixer une part significative des phénols volatils afin de les éliminer par soutirage.
 

Vous l’aurez compris : comme bien souvent l'idéal reste le préventif avec les moyens dont on dispose. Autrement dit : faire au mieux pour qu'il n'y ait pas de Brettanomyces (voir ci-dessous le papier de JC Crachereau), puis vérifier régulièrement s'il y en a et si oui combien afin de décider quand et comment intervenir (ou pas).
Et c'est compliqué cette affaire-là : comme vu plus haut le fait qu'il y en ait ne veut pas dire qu'il y ait réel danger.
Et c'est encore plus compliqué du fait de la possibilité pour Brett de se mettre - de façon réversible - sous forme « Viable Non Cultivable » (VNC) : d’abord observé par Xu (1982) chez les bactéries, puis envisagé par Divol (2005) pour les levures.


Alors comment peut-on les détecter et, idéalement, les décompter ?


Au-delà de la compétence de l'opérateur qui fait l'analyse microbio (et ce quelle que soit la méthode), il faut évoquer l'importance capitale des conditions de prélèvement à la cuve et donc de la représentativité de l'échantillon. 
On l'a vu plus haut : Brettanomyces n'est pas répartie de façon homogène dans le vin. 
Dès lors, dans ma vie d’œnologue conseil, j'ai bien souvent fait refaire des prélèvements qui ne pouvaient pas mettre en évidence la présence de Brettanomyces car ils avaient été faits dans des conditions totalement inadaptées à la détection de la bestiole, quand bien même le vin serait sévèrement plombé !

Au-delà de cette nécessité de prélèvement adapté, ainsi que je le signalais plus haut : le sulfitage entraine le passage de Brettanomyces sous forme VNC.
Le retour à la forme initiale se fera plus ou moins vite quand le milieu sera redevenu favorable (= le SO2 plus bas !), mais ce n'est en l'état pas possible de prévoir quand, comment et à quelle vitesse cela se fera.
On sait juste que, tôt ou tard, ce sera le cas.


Comptage de Brettanomyces sur boite de Pétri



Dès lors la microbiologie dite « classique » se heurte à un écueil majeur : les VNC (Viables Non Cultivablse). Car VNC veut dire que la bestiole est viable ... mais que sa mise en culture en microbiologie "classique" ne permet pas de déceler sa présence car elle ne "poussera" pas !
Dès lors que l’on a sulfité (à plus forte raison avec un sulfitage relativement récent) la présence de Brettanomyces sous forme VNC est très probable. En conséquence de quoi la culture sur boite de Pétri risque fort donner des résultats sous-estimés (dans une proportion qu'on ne connait pas).
Il est donc clair que si l'analyse dit qu'il n'y a pas de Brettanomyces ... on n'est pas sûr que Brettanomyces soit réellement absente !
C'est toujours le cas d'une détection de Brett sur milieu gélosé qui, donc - de mon point devue - le plus souvent ne sert à rien. 
Cette méthode est pourtant encore largement utilisé8.
Je crois pour ma part qu’on ne peut que la déconseiller.

Je reviens rapidement au vin qui a tout déclenché et qui était un 1996 : avant la fin des années 2000 (ensuite aussi, malheureusement !) on a pu voir des vignerons vérifier la présence de Brettanomyces avec un outil inadapté (= ne détectant pas les VNC) et qui ont donc mis en bouteille en pensant, en toute bonne foi, être propres de ce point de vue-là.
Aujourd’hui encore on en subit parfois les conséquences lorsque le vin est consommé.

 
Il existe heureusement d'autres méthodes d'évaluation de la population à risque. 
Elles sont plus ou moins sérieuses, efficaces et fiables.
Ici, je me limiterai à la Polymerase Chain Reaction (PCR) ou "Réaction en chaîne par polymérase".
Et encore : j'évoquerai uniquement la PCR quantitative.

Cette méthode détecte la présence d'ADN de Brettanomyces, quantifie cet ADN et, par comparaison à un étalon, en déduit la population présente dans l'échantillon.
On a le résultat dans la journée et non pas au bout d'une semaine, comme avec la boite de Pétri ... mais ça coûte nettement plus cher.
Pour autant la différenciation entre ADN de Brettanomyces vivantes et de Brettanomyces mortes n'est pas évidente (encore un doux euphémisme ...) et peut amener à sur estimer la population, donc le risque (le mode de prélèvement, voir en notes, peut aussi mener à des erreurs sur le réel niveau de contamination). 
En outre mes réserves sur la représentativité du prélèvement et la fiabilité des opérateurs restent évidemment valables.
Dès lors, pour ce type d'analyse (et quelques autres ...) je ne saurais trop conseiller au vigneron d'envoyer divers échantillons ... dont un doublon en aveugle (= 2 fois le même échantillon avec deux références différentes) afin de vérifier la reproductibilité et la fiabilité des résultats du laboratoire concerné …
Pour autant, malgré ces réserves, et même si on risque sur estimer la population et donc le risque : au moins est-on sur de ne pas rater les Brettanomyces (sous les réserves exprimées juste au-dessus).

 


Et notre GPL 1996 ?
Pourquoi l'avoir trouvé marqué ou pas ? 

Il y a, de toute évidence, une multitude de raisons à cela :

- tous les dégustateurs n'ont pas les mêmes seuils de perception.

- pour un seuil théorique à 500 µg/l, quand on en vient à des vins dotés de ce genre de structure il faudra que le taux de phénols volatils soit supérieur pour être décelé (sauf par des dégustateurs particulièrement sensibles et/ou bien entraînés).

- certains dégustateurs aiment ce bon goût de Brett (éventuellement jusqu'à un certain seuil de tolérance ...), ils ne détecteront donc pas ce défaut ... qui pour eux n'en est pas un !
Il est vrai que le "goût de Brett" a longtemps été qualifié, par certains, de "goût de terroir" (il y a des écrits relativement amusants sur le sujet).
J'ai en outre souvenir d'un workshop dégustation à l'occasion du congrès annuel de l'American Society of Enology and Viticulture (ASEV) au cours de laquelle l'intervenante principale s'évertuait à nous démontrer qu'à faibles doses les phénols volatils contribuent favorablement à l'aromatique du vin (sauf que pour contrôler çà ...)
9.

- toutes les bouteilles ne viennent pas forcément du même lot, et ne sont donc pas forcément toutes contaminées au même niveau.

- la population n'étant pas répartie de façon homogène dans la cuve (sauf homogénéisation juste avant mise) certaines bouteilles d'un même lot ont pu être contaminées et pas d'autres.

- à contamination identique, le SO2 a pu évoluer différemment d'une bouteille à l'autre (température et humidité de la cave, qualité du bouchon, ...) et même si ces évolutions ont été similaires, les populations de Brettanomyces ont pu, d'une bouteille à l'autre, quitter le mode VNC et reprendre la production de phénols volatils avec des efficacités différentes.




Un peu de lecture pour aller plus loin :


D'abord deux documents essentiels à qui veut se pencher sur la question et en avoir une bonne compréhension :

- la thèse de Pascal Barbin

- la thèse de Vincent Renouf avec sa première partie puis sa suite et fin.


Ensuite des "compléments" qui sont tout sauf anecdotiques :

Facteurs favorisant le développement des Brettanomyces à la vigne et au cours de la vinification. IFVMidi Pyrénées – Rencontre technique micro-organismes et gestion thermique. P.Taillandier, P. Barbin, JF Gilis, P. Strehaiano.

- Comment vaincre les Brettanomyces grâce à Brett’Less. Vinopole Bordeaux Aquitaine. Jean-Christophe Crachereau

- Etude physiologique de souches de Brettanomyces dans les vins de la vallée du Rhône.
Inter Rhône. L. Massini.


- Dynamique des populations de Brettanomyces dans les vins de Pinot noir de Bourgogne en cours d’élevage : effet souche et influence des traitements par le SO2. 2006. Revue Française d’œnologie 219. B. Vincent.


- Viable Saccharomyces cerevisiae cells at high concentrations cause early growth arrest of non-Saccharomyces yeasts in mixed cultures by a cell-cell contact-mediated mechanism.
2003. P. Nissen, D. Nielsen, N. Ameborg. Wiley Interscience.

- l'une des publications de Vincent Gerbaux à propos du biocontrôle de Brettanomyces par les bactéries lactiques, lors de l'élevage des vins rouges



1 Interpellée par cette affirmation, Isabelle Sériot m’a déniché une référence confirmant à peu près mon idée initiale : l'origine du préfixe Brettano- serait une déformation de “Britton”, car Brettanomyces aurait été trouvée dans des bières britanniques.

2 Qu'on ne s'y trompe pas : dire, ici comme ailleurs dans ce billet, que le vin est contaminé par Brettanomyces ne veut pas dire qu'il présente le défaut caractéristique de cette bestiole. Cela veut seulement dire (et c'est bien suffisant !) que Brettanomyces est présente dans le vin et que, dès lors, ce vin est susceptible d'être tapé !

3 Le seuil généralement retenu est de 500 µg/l (autant dire très peu) ... mais c'est un seuil théorique qui ne tient compte ni de la structure du vin (on a plus de mal à ressentir ce défaut dans des vins puissants, le seuil de perception en est donc plus élevé), ni de la sensibilité et de l'entrainement des dégustateurs (certains ont des seuils très bas et d'autres ne perçoivent ce défaut, au nez, qu'à des teneurs relativement élevées).
En clair : s'il est très facile d'identifier la présence de phénols volatils dans un vin rouge jeune, léger et fruité c'est plus compliqué avec un rouge puissant et âgé (dans ce dernier cas à relativement faible teneur on peut en toute bonne foi considérer que le cuir / animal est normal et lié au vieillissement du vin. Voire plutôt qualitatif. Le juge de paix sera alors cette vilaine sensation métallique en fin de bouche qui est, elle aussi, caractéristique du travail de Brettanomyces)

4 Brettanomyces produit des phénols volatils, a savoir 4-éthylphénol et 4-éthylgaïacol (mais produit aussi d'autres cochonneries sans doute moins marquantes) qui ne typent pas exactement pour les mêmes arômes, et dont les proportions peuvent légèrement varier mais avec une nette prédominance du 4-éthylphénol.


5 Pour autant, la présence de phénols volatils dans un vin n'indique pas que l'hygiène de la cave est déficiente : j'ai une foultitude d'exemples contraires (dans les deux sens).


Gradient des lies dans un vin
en cours d'élevage

L'air de rien ce détail est essentiel à un bon suivi de la population et des niveaux de contamination et à sa compréhension par les praticiens !
Si on fait un suivi des populations en cours d'élevage, le plus souvent le vin n'a pas bougé, donc n'a pas été homogénéisé, et la plupart des Brettanomyces ont sédimenté vers le fond du récipient vinaire : en conséquence un prélèvement en milieu de récipient donnera une population très faible ou, le plus souvent, absente et on sera super rassuré ... à tort.
A l'inverse : un prélèvement en fond de récipient trouvera les Brettanomyces ... mais aura tendance à très largement surestimer la population totale puisque celle ci sera concentrée sur un volume relativement réduit.


7 La teneur en SO2 des vins est exprimée sous 3 formes complémentaires :
- le SO2 total qui est, bien sur, la quantité totale de SO2 présente dans ce vin,
- le SO2 libre qui est la partie de SO2 qui n'est pas liée aux constituants du vin et peut donc remplir l'un ou l'autre de ses rôles
,
- le SO2 actif, qui est celui qui m'intéresse ici.
La teneur en SO2 actif dépend avant tout de deux facteurs qui sont le taux de SO2 libre (plus il y en a et plus on a de SO2 actif) et le pH (plus le vin est acide et, pour une même teneur en SO2 libre, plus on a de SO2 actif). Les autres facteurs cités dans mon billet ont un rôle plus marginal, mais pas négligeable pour autant.
On considère le plus souvent (souvent à tort) qu'un SO2 actif à 0.6 est un minimum pour tenir Brettanomyces sous contrôle (pas la tuer hein ? juste la tenir sous contrôle). Sur des vins issus de vendanges mûres ou sur mûres et qui bénéficient d'un long élevage, c'est une valeur très difficile à atteindre et maintenir.


8 J'en veux pour preuve la photo jointe qui issue de mon récent passé professionnel : un comptage de Brettanomyces après mise en culture sur milieu spécifique.
On a ici 5 colonies par ml pour la mise en culture d'1 ml de vin, et 47 colonies pour la mise en culture de 10 ml ce qui d'un point de vue microbiologique est la même chose.
Il y a donc au moins 5 Brettanomyces / ml.
Au moins.
Il y a un risque, probablement relativement modéré vu la faible population.
Mais le doute sur la valeur réelle de la population joint au comportement imprévisible de la bestiole rend difficile de quantifier ce risque, même avec une population aussi faible.
En outre notons quand même, pour rester dans le sujet initial, que 5 Brettanomyces par ml - niveau plutôt faible - représente près de 4 000 bestioles dans une bouteille standard, soit largement assez pour plier le vin sans même avoir à attendre 20 ans !


9 Les amateurs de ce genre d'exercice pourront se référer au papier de Sam Harrop (MW) : "The Role of Brettanomyces in the Production of High Quality Syrah-based Wines".



 

Commentaires

  1. ça fait des années que je me demande ce que donnerait un moût de gewurztraminer (ou autre blanc aromatique) ensemencé en Brett. Y a-t-il des retours d'expérience. En Belgique, je sais qu'il existe une bière pure Brett, qui donne l'ivresse de l'écurie !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Aucun idée là dessus (l'ensemencement des blancs, la bière c'est une autre histoire). Je me renseignerai, à l'occasion.

      D'ici là, ce qui semble à peu près clair c'est que l'on serait dans un registre différent de celui des rouges : en rouge tout part du métabolisme des acides phénols, qui sont les précurseurs des éthyl-phénols (que l'on y associe à Brett).
      Au vu des conditions en blanc, on serait plutôt vers les Vinyl 4 phénol (caoutchouc) et Vinyl 5 gaïacol (girofle / Pharmaceutique). Ça donne pas forcément envie d'ensemencer ...

      Supprimer
  2. Tout d'abord je tiens à vous féliciter pour votre excellent article. Je suis tombé dessus par hasard en cherchant sur Google si les bretts pouvait aussi être à l'origine de déviations dans les cidres. Je suis vigneron encaveur en suisse près de Genève, et, de retour de Bretagne où j'ai goûté différents cidres, j'ai trouvé qu'un certain nombre de bouteilles étaient marquée par des caractères phénolés.
    Malgré la relative fraîcheur de notre région viticole, c'est un problème auquel nous sommes régulièrement confronté, en particulier avec le gamaret qui est un cépage au pH très élevé. J'aurais pensé que le pH des moûts de cidre était assez bas pour éviter tout problème. Il semblerait que non...en tout les cas encore bravo pour votre article

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Grand merci à vous !
      Sinon, oui : il y a des Bretts dans le cidre (et dans la bière)

      Depuis quelque temps je me dis qu'il faut que je mette ce billet à jour (d'intéressantes méthodes curatives sont en train de sortir, il faudrait donc que je les évoque) ... et peut-être aussi en faire une version anglaise !?
      Peut-être votre agréable commentaire sera-t'il le déclic ?

      Supprimer
  3. Super article Professeur Fuster ! J’ai en ore appris des choses 😁
    À bientôt... je ne sais quand !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire