(Les illustrations qui émaillent ce billet peuvent être consultées dans un format plus agréable par un simple clic.Toutes proviennent d'ouvrages qui font partie de ma collection personnelle. Je peux en faire parvenir des reproductions partielles à qui le souhaitera).
Pour le lien entre Histoire et petite histoire, on retiendra que si le Musée des beaux arts de Bordeaux existe, c'est grâce à l'arrêté Chaptal qui fût l'acte de naissance des musées de province.
Oui : Chaptal, ce même Chaptal qui donna son nom à la chaptalisation et écrivit le passionnant article "Vin" du Tome X du Dictionnaire d'Agriculture de l'Abbé Rozier, avant de publier son remarquable traité que l'on pourra consulter sur Gallica.
J. Pradier : "Satyre et bacchante" (détail). 1834 |
C'est de ces deux traités, et non pas de bacchantes, qu'il va s'agir.
Mais je trouve très plaisant que "Bacchanales modernes", la si belle exposition abritée par la Galerie du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux que j'ai visitée (à deux reprises) avec tant de plaisir ait été visible dans un musée "chaptalisé".
Pour autant, au moins dans le milieu du vin, Chaptal est et restera probablement associé non pas aux bacchantes mais bien à la chaptalisation. C’est tout aussi compréhensible qu’injuste. Injuste, car bien insuffisant à restituer les multiples facettes du talent de Chaptal.
Nota :
La chaptalisation, consiste en l'ajout de sucre au moût en fermentation de façon à augmenter le degré alcoolique du vin. Elle est donc utilisée pour des vendanges manquant de maturité.
On considère habituellement qu'il faut ajouter de l'ordre de 17 g de sucres fermentescibles (glucose / fructose) par litre de moût pour apporter 1° d'alcool.
C’est l’une des options pour augmenter le pouvoir alcoogène du mout. L’autre option est parfaitement symétrique : au lieu d’augmenter le degré en ajoutant du sucre, on élimine de l’eau … c’est le principe de la confiture, cela revient aussi à concentrer le sucre et donc à augmenter le degré alcoolique final.
A l’époque de Chaptal cette dernière méthode était largement utilisée.
Les
travaux puis les recommandations de Chaptal découlent
en droite ligne des résultats de Lavoisier, son contemporain, ainsi
que de ceux du Marquis de Bullion.
Ces travaux je les évoquais dans le premier billet d'une déjà ancienne série de 4 traitant de l'histoire des levures œnologiques.
A propos de levures et d’œnologie : force est de constater qu’au Panthéon de l'œnologie moderne, tous sont éclipsés par Louis Pasteur. Il prend beaucoup de place, Louis Pasteur. Une place justifiée tant il est vrai que sa réflexion et ses travaux visant à comprendre les fermentations et les maladies du vin sont remarquables, essentiels !
Il suffit, pour s'en persuader de regarder ce qu'il en était de l’approche et du traitement de la maladie de la graisse ou de la maladie de la tourne avant Pasteur !
Mais malgré l'intérêt des travaux de Pasteur (son Etude sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent (1866) ne traite en effet pas que de microbiologie. C'est d'ailleurs là que l'on trouve sa fameuse phrase sur "le vin boisson saine"), peut-être le père de l'œnologie moderne est il Jean-Antoine Chaptal, dont l'apport est aujourd'hui trop souvent réduit à la seule chaptalisation.On trouvera les écrits œnologiques de Chaptal d’abord sous la direction d'un autre œnologue enthousiasmant : l'Abbé Rozier.
L'Abbé Rozier a, lui, écrit le "Mémoire sur la meilleure manière de faire et de gouverner les vins de Provence, soit pour l'usage, soit pour leur faire passer les mers" (1772, chez Ruault, à Paris, pour l'exemplaire en ma possession. Mais il y a une édition antérieure chez Brébion, à Marseille, en 1771).
Ce bouquin est, en soi, une somme.
L'Abbé a aussi écrit le "Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne, avec l'art de faire le vin, les eaux-de-vie, esprit de vin, vinaigres" qui est paru en 1801, à titre posthume.
Il y a de nombreux abbés, chanoines et autres moines qui, à cette époque, écrivent sur le vin. Peu sont aussi pointus que Rozier, encore que Godinot puis Bidet soient très au point pour la Champagne (le pressoir qu’ils décrivent et recommandent reste, par exemple, tout à fait actuel (ce sont d’ailleurs les belles gravures du pressoir de Nicolas Bidet que j’avais vues dans "Terre de Vins", tristement accrochées au mur, comme des bêtes mortes)).
A la même époque, très prolifique, on trouve aussi l’Abbé Pluche qui, sous une approche sympathique et didactique (un dialogue entre 3 personnages dont les savoirs sont directement proportionnés aux titres de noblesse) ne fait guère plus que piller ses prédécesseurs et contemporains sans jamais les citer.
Dans le cadre du vin il y a aussi le petit opuscule de Dom Denise.
Il est amusant cet opuscule, peut-être plus par ce qu’on lui fait dire que par ce qu’il dit. Ce bouquin bourguignon, mais publié en Italie et en italien, semble en effet être le climax œnologique de certains chantres du bon vieux temps et du bon sens paysan associés.
C’est pourquoi je note avec une joie non dissimulée qu’alors que d’aucuns semblent voir dans ce livre une sorte de summum indépassable, un idéal de viticulture et de vinification que l'ère moderne a corrompu, l'avant propos du dit livre comprend ce réjouissent extrait :
Ces travaux je les évoquais dans le premier billet d'une déjà ancienne série de 4 traitant de l'histoire des levures œnologiques.
A propos de levures et d’œnologie : force est de constater qu’au Panthéon de l'œnologie moderne, tous sont éclipsés par Louis Pasteur. Il prend beaucoup de place, Louis Pasteur. Une place justifiée tant il est vrai que sa réflexion et ses travaux visant à comprendre les fermentations et les maladies du vin sont remarquables, essentiels !
Il suffit, pour s'en persuader de regarder ce qu'il en était de l’approche et du traitement de la maladie de la graisse ou de la maladie de la tourne avant Pasteur !
Mais malgré l'intérêt des travaux de Pasteur (son Etude sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent (1866) ne traite en effet pas que de microbiologie. C'est d'ailleurs là que l'on trouve sa fameuse phrase sur "le vin boisson saine"), peut-être le père de l'œnologie moderne est il Jean-Antoine Chaptal, dont l'apport est aujourd'hui trop souvent réduit à la seule chaptalisation.On trouvera les écrits œnologiques de Chaptal d’abord sous la direction d'un autre œnologue enthousiasmant : l'Abbé Rozier.
L'Abbé Rozier a, lui, écrit le "Mémoire sur la meilleure manière de faire et de gouverner les vins de Provence, soit pour l'usage, soit pour leur faire passer les mers" (1772, chez Ruault, à Paris, pour l'exemplaire en ma possession. Mais il y a une édition antérieure chez Brébion, à Marseille, en 1771).
Ce bouquin est, en soi, une somme.
L'Abbé a aussi écrit le "Traité théorique et pratique sur la culture de la vigne, avec l'art de faire le vin, les eaux-de-vie, esprit de vin, vinaigres" qui est paru en 1801, à titre posthume.
Il y a de nombreux abbés, chanoines et autres moines qui, à cette époque, écrivent sur le vin. Peu sont aussi pointus que Rozier, encore que Godinot puis Bidet soient très au point pour la Champagne (le pressoir qu’ils décrivent et recommandent reste, par exemple, tout à fait actuel (ce sont d’ailleurs les belles gravures du pressoir de Nicolas Bidet que j’avais vues dans "Terre de Vins", tristement accrochées au mur, comme des bêtes mortes)).
A la même époque, très prolifique, on trouve aussi l’Abbé Pluche qui, sous une approche sympathique et didactique (un dialogue entre 3 personnages dont les savoirs sont directement proportionnés aux titres de noblesse) ne fait guère plus que piller ses prédécesseurs et contemporains sans jamais les citer.
Dans le cadre du vin il y a aussi le petit opuscule de Dom Denise.
Il est amusant cet opuscule, peut-être plus par ce qu’on lui fait dire que par ce qu’il dit. Ce bouquin bourguignon, mais publié en Italie et en italien, semble en effet être le climax œnologique de certains chantres du bon vieux temps et du bon sens paysan associés.
C’est pourquoi je note avec une joie non dissimulée qu’alors que d’aucuns semblent voir dans ce livre une sorte de summum indépassable, un idéal de viticulture et de vinification que l'ère moderne a corrompu, l'avant propos du dit livre comprend ce réjouissent extrait :
« Tous les arts se perfectionnent en se confrontant ceux diverses façons dé faire d’autres pays et aux nouvelles idées. La présomption est destructive de la perfectibilité humaine en tout genre ; et le préjudice de croire que d’où ne peut pas faire mieux que ce que l’on a fait jusqu’alors, se rencontre peut-être plus en agriculture qu'en aucun autre domaine»
Ces quelques mots me semblent être une belle introduction non pas au travail de Dom Denise (aussi intéressant puisse-t’il être), mais plutôt à la démarche de Rozier et Chaptal.
A mon sens le vrai grand œuvre de l'Abbé est son Cours complet d'agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire.
Cette somme de XII tomes est le pendant agricole de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Je n’en possède que le Tome X … car c’est là que se trouve la lettre V et, donc, les articles Vigne, Vin et Vinaigre.
Comme l’annonce son frontispice, ce Tome (paru en l’an VII – 1800 ) a été rédigé par les citoyens Chaptal, Conseiller d'État et membre de l'Institut National, Dussieux, Lasteyrie et Cadet-de-Vaux, de la Société d'Agriculture de Paris, Parmentier, Gilbert, Rougier-Labergerie, et Chambon de l'Institut National.
Le long article de Chaptal donne une bonne vision des savoirs, croyances et pratiques de son temps.
Et puis, de Chaptal, il y a bien sûr « l’art de faire le vin ». Il en existe plusieurs éditions (dont la première qui date de 1801 et qui est consultable sur Gallica à l’aide du lien qui figure au début de ce billet), pour ma part je me sers ici de celle qui est en ma possession : 1807, chez Deterville.
Ce livre reprend, complète, et approfondit l’article « Vin » du dictionnaire de Rozier. Chaptal y porte une attention particulière au chapitre consacré à la fermentation et, donc, au couple sucre / levure, et ce quand bien même le mot « levure » ne désigne pas encore les micro organismes dont Chaptal et ses contemporains ignorent jusqu’à l'existence.
Le mot ''levure" désigne en effet cette mousse qui lève, quelle que soit la cause de la levée. Ainsi, selon Chaptal :
«Le principe sucré, la matière douceâtre ou la levure, l’eau et le tartre, sont les éléments du raisin qui paroissent influer le plus puissamment sur la fermentation : c’est non - seulement à leur existence qu’est due la première cause de cette sublime opération, mais c’est encore aux proportions très-variables entre ces divers principes constituans, qu’il faut rapporter les principales différences que nous présente la fermentation»
…/…
« mais ce sucre est constamment mêlé avec un corps doux plus ou moins abondant, et qui sert de ferment : c’est un vrai levain qui accompagne le sucre presque par-tout, mais qui, par lui-même, ne sauroit produire de l’alcool. De là vient que lorsqu’on veut faire fermenter le sucre pour obtenir du taffia, on l’emploie à l’état de sirop, dit vezou, parce qu’alors il contient le principe doux qui en facilite la fermentation ; le sucre seul et bien pur ne fermente point. »
Pour un autre pont entre Histoire et petites histoire (un pont qui mènera aussi aux peurs que les levures semblent causer chez certains de leurs détracteurs actuels), on pourra s'intéresser à l'affaire du pain "à la Reine" un siècle avant Chaptal, et au rôle qu'y tient la levure.
En 1668, confronté à une polémique grandissante, Louis XIV réunissait un collège de médecins et de notables pour trancher la question de la nocivité de la levure de bière utilisée pour lever certains pains. Certains des arguments des "anti levures" d’alors sont aujourd’hui encore en usage chez les opposants au levurage des moûts :
« Nous soussignés Dr régents de la Faculté de Médecine de Paris, interpellés de déclarer quel est notre sentiment touchant la levure de bière que les boulangers de Paris mettent dans leur pain depuis le commencement du siècle courant estimons que non seulement elle n’est ni utile ni nécessaire pour faire du pain, mais même que si on la considère tant en soi que pour ses effets, elle blesse la santé et est préjudiciable au corps humain. »
Gui Patin, sommité médicale va plus loin au nom de ce qui, faute de pain à la Reine, deviendra une tarte a la crème : le principe de précaution (qu’il ne nomme toutefois pas ainsi) :
« Dire, comme ceux qui la défendent, qu’on n’a vu aucune personne qui soit morte ou tombée sur le champ malade pour avoir mange de ce pain n’est pas un bon moyen pour l’affranchir des blâmes dont on le charge. »
Sans doute Patin est il le premier de ceux qui, classant la levure dans les additifs (alors que c’est un adjuvant), veulent aboutir a son interdiction. Il y arrivera … il y arrivera presque puisque si le collège de médecins et de bourgeois vote l’interdiction de la levure, un an plus tard le tribunal décidera de l’autoriser.
Encore un coup des lobbies sans doute.
Rien ne change jamais.
Ou, du moins, rien ne change tant qu’un Chaptal ou un Pasteur ne vient y mettre le nez.Sur la fermentation et l’alcool Chaptal associe revue de littérature, courriers de divers correspondants et expériences personnelles.
Lavoisier, cité par Chaptal |
Quelques belles intuitions, aussi.
Il en va ainsi de la chaptalisation qu’il décrit et encadre. Il se base sur "les anciens" qui, selon les cas, cuisaient le moût pour le concentrer ou bien y ajoutaient du miel :
«Lorsque le moût est très aqueux, la fermentation est tardive, difficile, et le vin qui en provient est faible et tes susceptible de décomposition. Dans ce cas, les anciens connaissaient l’usage de cuire le moût :ils faisaient évaporer, par ce moyen, l’eau surabondante, et ramenaient la liqueur au degré d’épaississement convenable»
... | ...
«On peut poser en principe que, dans les pays froids, dans les terres humides. A la suite des saisons pluvieuses, le raisin contient plus d'eau et plus de levure qu'il n'en faut pour décomposer le sucre formé dans le fruit. Dans tous ces cas, en abandonnant la fermentation à elle-même, on ne peut obtenir qu’un vin faible, délayé, peu spiritueux, susceptible de passer à l’aigre ou de tourner au gras, par une suite de la surabondance du levain qui reste après la fermentation spiritueuse ou la décomposition et disparition entière du sucre.»
Bien sûr il s'intéresse aussi à ce qui influe sur la fermentation, entraînant fermentations languissantes, ou arrêts de fermentation.
Il étudie chacune des causes identifiées, les décrit et propose des solutions pratiques, et étayées par les savoirs qu'il a su mobiliser.
Il va de soi qu'il s'intéresse aussi à la vigne et au raisin.
Certains de ses propos font d'ailleurs une introduction amusante à bien des débats actuels. Par exemple lorsqu'il cite Olivier de Serres en admettant que l'on puisse vendanger préférentiellement en Lune descendante ... mais en précisant qu'avant tout il vaut mieux vendanger quand le raisin est mûr ...
On notera que le bouquin de de Serres fait une multitude d'échos, au delà des vendanges en Lune descendante. Pour lui l'exploitation modèle se doit d'être en polyculture élevage de façon à assurer son autonomie et sa vie en autarcie. Le recours au marché ne se faisant que pour écouler quelques excédents et, en retour, se procurer ce qui ne peut être auto produit.
Il faudra que je reparle de cela un jour, et pas seulement parce que ma mère fut à direction de l'établissement d'enseignement agricole d'Aubenas ... qui se nomme "Olivier de Serres" et a, pour exploitation pédagogique, Le Pradel ... qui fut la propriété d'Olivier de Serres (y a pas de hasard, et tout ce genre de choses).
Il en vient aussi, citant les pratiques bordelaises, à l'intérêt d'égrapper quand on vinifie en rouge, surtout quand le raisin est insuffisamment mûr, ou quand il a été touché par le gel. Précisant que lorsque le raisin est à maturité l'égrappage n'a pas besoin d'être aussi poussé.
Il indique que les blancs ne doivent pas être égrappés et que, d'ailleurs, cela les aidera à mieux résister à la maladie de la graisse.
Il dit deux mots du soufre, de son intérêt et de ses limites.
Il tente une explication de ses effets qui, sans être totalement déconnante - en particulier au vu des connaissances d'alors -, n'est plus satisfaisante de nos jours.
Il décrit également, et très précisément, la préparation et l'utilisation des mèches soufrées.
Quelques mots sur la futaille, le bon vieux temps et l'inutilité des méthodes correctives quand on sait ce qu'il convient de faire pour éviter les problèmes.
Il y a, dans les écrits de Chaptal, bien d'autres choses encore qui dépassent largement le cadre de la chaptalisation.
Mais je m'arrête là, finissant avec son introduction :
"Il est peu de productions naturelles que l'homme se soit appropriées comme aliment, sans les altérer ou les modifier par des préparations qui les éloignent de leur état primitif : les farines, la viande, les fruits, tout reçoit, par ses soins, un commencement de fermentation avant de lui servir de nourriture ; et il n'est pas jusqu'aux objets de luxe, de caprice ou de fantaisie, tels que le tabac, les parfums, etc. auxquels l'art ne donne des qualités particulières.
Mais c'est surtout dans la fabrication des boissons, que l'homme a montré le plus de sagacité : à l'exception de l'eau et du lait, toutes sont son ouvrage. La nature ne forma jamais de liqueurs spiritueuses : elle pourrit le raisin sur le cep, tandis que l'art en convertit le suc en une liqueur agréable, tonique et nourrissante, qu'on appelle vin."
Dans un registre différent (quoique), je conseille vivement la lecture d'un bouquin que je cite dans ce billet :
"Histoire des peurs alimentaires: du Moyen Age à l'aube du XXe siècle",
de Madeleine Ferrières.L'auteur y dresse un tableau historique passionnant de l'évolution de notre relation à la nourriture, nos peurs, et les moyens juridiques ou sanitaires que nous mettons en oeuvre pour nous rassurer et lutter contre ce qui cause ces peurs (fondées ou pas).
Et se rassurer ce n'est pas toujours lutter efficacement ...
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