"La nature apprend à l'homme à nager lorsqu'elle fait couler son bateau"


Il y a quelque temps déjà, un article des Inrocks avait été le support d'un de mes billets. Bien sur l'article en question, signé par Serge Kaganski, traitait de vin.
Enfin, de vin ... il faisait l'éloge du Vinobusiness d'I. Saporta dont j'ai déjà dit par ailleurs tout le mal que j'en pensais (le docu, pas son auteur).
Fatalement, il faisait cet éloge à grand renfort de tout ce que j'aime, genre : les "
gestes artisanaux et anciens de la biodynamie".
Soupir
...

Ben là, rebelote avec le dernier opus d'Alice Feiring, cette fois sous la plume d'Olivier Joyard.

Florilège : 
"Au début des années 2010, parler de vin naturel comme d’une manière nouvelle d’appréhender le goût de nos repas et de nos soirées arrosées suscitait les moqueries condescendantes des gardiens du temple et des amateurs de la barre au front le lendemain matin."

Ben ouais, c'est bien connu : les vins "naturels" ne font pas mal à la tronche. J-a-m-a-i-s.
Et si tu t'enivres c'est sans jamais devenir saoul, dixit Amunategui et Nossiter, les Heckel et Jeckel de la révolution pinardière (sans mal de tronche le lendemain du jour qui chante).
Par contre les méchants Bordeaux de la mort qui tue çà fait très très mal à la tronche, c'est d'une évidence criante.


Ainsi, nous apprenons que :

"Journaliste à la plume acérée, proche d’une tradition américaine du récit ultra documenté, la new-yorkaise se bat pour que soient prises aux sérieux les bouteilles plus punks que les autres, les goûts bizarres et les expressions singulières de vigneron.ne.s engagé.e.s."
"Ultra documenté" ?
La suite de l'article s'annonce donc sous les meilleurs auspices !
Oui, malgré ceci :

"la new-yorkaise se bat pour que soient prises aux sérieux les bouteilles plus punks que les autres, les goûts bizarres et les expressions singulières de vigneron.ne.s engagé.e.s."
Prendre au sérieux les goûts bizarres ?
Comme le disait un ami, sérieux dégustateur, un soir de picole à une buveuse qui chantait les mérites d'un vin fleurant bon la Brett : "t'as le droit d'aimer la merde".
En outre cette bien pensance, ce politiquement correct de l'écrit qui nous inflige de façon
bien lourdingue un vigneron.ne.s en réinventant les règles du français, je ne sais trop si c'est seulement ridicule ou si c'est, en plus, franchement casse couilles.
Ceci dit, chaque vigneron a bien le droit de faire les vins qu'il veut, voire qu'il peut.
De là à se sentir autorisé à nous servir un long pensum traitant de ses raisons et motivations qui seraient, à elles seules, à même de tout justifier ...

Bref, ensuite vient :

"Cela date du début des années 2000."
.../...
"
Et j’ai détesté la majorité de ce que j’ai goûté."

.../...
"Je me suis rendu compte que mon palais sélectionnait d’instinct le vin naturel, sans savoir que c’en était. D’ailleurs, il n’y avait pas de nom pour ça à l’époque."
Et là, avec "détesté", "instinctivement sélectionné", etc ... il devient évident qu'on veut faire dans la nuance ...

Pourtant :

"Mais je me défendais avec des arguments"
Ah ben c'est dommage d'avoir arrêté d'argumenter et, aujourd'hui, de se contenter de dire qu'au début des années 2000 il y eut des arguments.
Un peu la flemme de chercher les arguments de 2000, là ...
Bref y a eu des arguments.
En 2000.
Il y en a semble-t'il tellement eu qu'aujourd'hui on ne perd plus de temps à les énoncer.

 Puis :

"Dans le bordelais aussi, mes interventions n’ont pas été très appréciées. Même si j’ai eu une influence assez importante, je m’exprimais en majorité sur mon blog. Des remarques sexistes ont été faites"
"Des remarques sexistes ont été faites" ?
Diantre.
Bon, nous serons d'accord sur le fait qu'émettre des "remarques sexistes" n'est pas ce qui se fait de mieux en matière de contre argumentation, c'est même plutôt naze.
Il n'en reste pas moins que, franchement, on s'en bat les couilles qu'il y ait eu des remarques sexistes en 2000 !
Ça amène quoi aujourd'hui ? Enfin, à part cette délicieuse - et indispensable - note de victimisation, bien sur !?
Y a pas mieux pour légitimer le discours que de jouer ainsi les Jeanne d'Arc ?
Franchement ...

L'essentiel est visiblement que l'on retienne ce message : le bordelais trafique les vins pour les standardiser et, en plus, il est sexiste.
Le bordelais n'est pas un parangon de vertu. Il parait même que le vase de Soissons a, en fait, été brisé à Bordeaux et que le Titanic a coulé dans le bassin d'Arcachon (ou qu'il s'est éventré sinon sur le ban des vendanges, du oins sur celui d'Arguin, va savoir ...).
C'est dire si le bordelais est méprisable (m'en fous : je suis né à Carcassonne et j'ai eu mon diplôme d’œnologue à Toulouse).

Mais vient enfin la question cruciale, celle dont les Heckel et Jeckel évoqués plus haut ont fait leur fonds de commerce :
"Le vin naturel est-il politique ?"
La réponse d'Alice Feiring est magique :

"C’est une question de savoir si le vin naturel est de gauche. Il y a une forme de radicalité dans son approche et ses racines. Certains vont très loin, trop loin peut-être. Mais d’une manière générale, parmi ceux qui aiment ce type de vin, on trouve des personnes qui incarnent la liberté d’une manière très belle. Leur sensibilité penche vers la gauche et c’est assez fascinant. Je ne connais personne avec des opinions politiques progressistes qui aime le vin de Bordeaux ultra manipulé chimiquement."
"c’est assez fascinant"
Voilà, c'est le mot que je cherchais : fascinant.
Fascinant de connerie.
On s'en branle (non c'est pas une remarque sexiste) de ces questions à la con.

Résumons tout de même :
- les amateurs de vins de Bordeaux sont donc de vieux réacs sexistes qui se shootent à la chimie lourde.
- en revanche les buveurs de vin "nature" sont des êtres sensibles (car de gauche) et progressistes, qui incarnent la liberté de la plus belle des façons.
= de toute évidence il s'agit, pour commencer, de leur liberté de débiter une incroyable quantité de conneries à la minute.

Car tout ceci est d'une bêtise abyssale.

Aussi me dispenserai je de commenter la suite de cette compilation absurde.



"La nature apprend à l'homme à nager lorsqu'elle fait couler son bateau."

Un point sur la carte  - Sait Faik Abasiyanik

 


(Avec mes excuses à Olivier Joyard qui m'a fort justement fait remarquer que je lui attribuais le papier de Serge Kaganski qui ouvre ce billet.
J'ai donc rendu à César ce qui est à Jules en corrigeant ce point (sans bien comprendre comment j'ai pu faire cette cagade. Mais je l'ai faite et en suis désolé)).

Commentaires

  1. En tant qu'extra-terrestre qui trouve trop souvent, pas pour les mêmes raisons, les bordeaux et les vins natures chiants je vote Cheminade?! :? Jean-Bernard

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    1. Avant de basculer dans la 4ème dimension il y a des alternatives bordelaises :
      en rive gauche Franoise et Stéphane Dief, au Clos Manou qui, depuis 2013, a encore gagné en élégance ou Alain Albistur au Domaine les Sadons
      en rive droite Alain Tourenne au Chateau Beynat ou François Dubernard au Domaine du Bouscat

      Les vins et ceux qui les font sont tout sauf chiants (et dans le lot y a même un naturiste qui se risque - avec succès - au sans soufre).

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  2. Je suis d'accord avec cette analyse. J'ai participé (et, je l'avoue, régulièrement organisé) des messes noires (ce n'est pas un propos raciste) au cours desquelles la tablée a bu généreusement des vins non "nature". Il y avait même souvent des Bordeaux. Personne ne s'est plaint de la présence de piverts dans la boite crânienne le lendemain. Sans doute notre salut est-il perdu à jamais. A moins...à moins...que la question ne soit pas le départage entre vin "nature" et Bordeaux etc. mais qu'elle traite plutôt des vins bons de façon générale et des autres ?

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    1. Je suis pas bien sur de savoir ce qu'est un "bon vin", d'ailleurs.
      Je crois, en revanche, que tôt ce cirque politico pinardier est d'une affligeante bêtise.

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    2. Je propose que ce soit un vin que l'on peut boire avec plaisir pour ses qualités organoleptiques ET pour l'absence de désagrément dans les heures qui suivent son ingestion.

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    3. Château Saint Saturnin 2005 est un exemple.

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    4. Depuis le temps, faut que je passe le voir lui !

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  3. La liste des méfaits bordelais est longue. Tu n'aurais pas assez du net pour l'exposer de façon exhaustive. Dernièrement, le croche patte à François Fillon en ouverture des présidentielles. Car l'ENM n'est elle pas bordelaise ? Tu n'y avais pas pensé à celle-là. Et l'affaire sort dans le canard enchaîné. Le canard, c'est le sud-ouest. Le sud-ouest, c'est Bordeaux. Tout-est-lié ! Bon. Dans l'affaire de Boüard-saporta, c'est un bordelais qui perd. On ne peut pas gagner à tous les coups. Je retourne dans ma cave écouter les sombres secrets de ce monde, tiens.

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    1. Tu sais, moi, je regarde ca avec un certain detachement depuis que je suis passé de la gauche au centre droit ... (mais le jour où je ferai la corse a l'audience je nitebde faire un billet sur Saporta / de Bouard : le précédent avait bien fonctionné ;-) )

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    2. Tu parles bizarrement toi...

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