La recette du canard à l'avocat

Daffy Duck a bercé mon enfance et ma préadolescence. 
Vil Coyote et Gros Minet aussi.
Vil Coyote c'est parce que j'ai une faiblesse coupable pour les loosers, et Gros Minet parce que nous parlons de la même façon ("Suffering succotash", et tout ce genre de trucs pénibles à dire).

Bref : il était cool le canard.
Daffy, je veux dire.


Même si, selon le Joker et dans cette version tardive, on pouvait parfois se demander s'il était bien fait pour le job.

Un peu comme avec le Canard Enchainé.
Quand j'ai quitté Daffy Duck : longtemps, j'ai eu une opinion très favorable du Canard Enchaîné.
Jusqu'à ce que je tombe sur leurs billets dédiés au vin et que çà me questionne sur la qualité et la fiabilité de tout le bouzin.

Je m'en suis bien sur exprimé sur le blog, à de multiples reprises :
- en septembre 2016 avec "canard au sang, ou conflit de canard ?"
- en octobre 2016 avec "Pas si beau le canard"
- en janvier 2018 avec "les grands crus, les pesticides : un accord classique avec le canard


Puis j'ai arrêté de lire le Canard, et d'écrire sur ce blog.

Si j'ai recommencé à écrire ici, je n'ai pour autant pas repris la lecture du volatile. Pas besoin : un honorable correspondant m'a fait suivre un billet paru dans leur édition du 30/04/2019.
Pour recension de la chose.
Soit !

Les esthètes apprécieront : c'est titré "In vino veritas", et c'est farci de niaiseries.





Ça commence par une fâcheuse confusion :
Il s'agirait en effet d'"informer le consommateur sur la composition des vins qu'il achète" mais, plus loin, on trouve : "les producteurs de vin, de bière, de cidre et de spiritueux ne sont pas tenus d'indiquer les ingrédients qu'ils mettent dans leurs breuvages, ni les calories"
Les mots ont un sens. Ils devraient d'autant plus le conserver quand ils sont utilisés par ceux qui font profession d'informer autrui.

Indiquer la composition d'un vin ce n'est pas indiquer ses éventuels ingrédients :c'est indiquer ce qui le compose. Et ce n'est pas du tout la même chose.
Un exemple avec l'acide tartrique : on peut, sous certaines conditions, ajouter de l'acide tartrique au mout ou au vin. Mais de l'acide tartrique il y en a toujours dans le raisin et dans le vin, c'est même leur principal acide.
Quel sens y aurait il à indiquer l'acide tartrique ajouté et à passer sous silence celui qui est là, toujours, sous forme native.

Est-ce "informer le consommateur" que de lui indiquer la présence d'un composé dans certains cas, et pas dans les autres (largement majoritaires) ?

Suit une liste stupéfiante accompagnée de "précisions" toutes plus ineptes les unes que les autres.
Ce fatras étant débité, je le crains, au nom de la défense et l'information du consommateur.
Il est bien barré, le consommateur, avec de tels défenseurs ...

Allons y :

- "pour homogénéiser leur production, les viticulteurs ont le droit d'utiliser, pêle-mêle, 300 types de levures, notamment pour clarifier et conserver"
Jack-Pot !
Les levures transforment le mout en vin et, s'il n'y a pas de levure il n'y a pas de vin. C'est la fermentation alcoolique.
Or la fermentation alcoolique est faite par et seulement par les levures. On le sait depuis Louis Pasteur au début des années 60 (1860), çà commence donc à dater un peu ...
Les levures ne peuvent en aucun cas clarifier et conserver, et ne sont donc aucunement utilisées dans ce but.

En outre, on n'utilise jamais "pêle-mêle, 300 types de levures".
Il existe bien sur le marché un nombre considérable de levures sélectionnées.
Probablement plus de 300 références commerciales que l'on nommera, au choix, LSA (Levures Sèches Actives) ou LNS (Levures Naturelles Sélectionnées).
Si on en utilise une, c'est une. Pas 300 en vrac. Et cette levure sélectionnée n'est, intrinsèquement, en rien différente d'une levure indigène.
En outre les levures, leur petit nom est Saccharomyces cerevisiae, il y en a forcément - indigènes ou sélectionnées (donc des indigènes qui ont été choisies pour leurs propriétés) - sinon on ne peut pas faire de vin. Et elles disparaissent à la fin de la vinification : elles meurent et leurs cadavres - les lies - sont éliminés par soutirage.
Ce ne sont donc pas des ingrédients, tout au plus des auxiliaires, puisqu'elle n'entrent pas dans la composition du vin.


- "du bisulfite d'ammonium qui favorise le développement des dites levures"
Alors ...
* "bisulfite" donc sulfites, donc soufre.
Le but est d'inhiber le développement des bactéries et de certaines levures.
* "d'ammonium".
C'est de l'azote ammoniacal, il permet à la levure fermentaire d'avoir l'énergie nécessaire à sa multiplication et sa survie ainsi qu'à son activité fermentaire. C'est indispensable au bon déroulement de la fermentation alcoolique, que les levures soient indigènes ou sélectionnées, et ne s'utilise quand dans les cas ou les mouts sont carencés en azote.
Il n'en reste pas dans le vin fini ... sauf s'il y en a plus que ce que la levure peut assimiler. J'y reviens de suite :


- "de l'uréase pour diminuer le taux d'urée".
En effet, l'uréase a récemment été autorisée dans le vin. Je n'en ais, personnellement, jamais vu en cave mais çà n'empêche pas que ce soit autorisé.
Pourquoi ?

On parle ici (enfin surtout moi parce que le Canard ne semble pas être allé jusque là ...) du carbamate d'éthyle, un composé cancérigène. Un composé cancérigène et parfaitement naturel.
Il se forme au cours du temps, lors de la conservation du vin, et sa teneur est fonction de divers paramètres : le cépage, l'azote à la vigne ainsi que les levures et les bactéries.
Comme bien des composés le carbamate d'éthyle a des précurseurs ... en fait un précurseur : l'urée.
L'uréase est une enzyme (que l'on ne retrouvera pas dans le vin fini et qui ne fait donc pas partie de ses ingrédients) qui détruit l'urée et empêche donc ipso facto la formation de carbamate d'éthyle.
L'uréase n'est, d'ailleurs, autorisée dans les vins que lorsque leur teneur en urée fait craindre que la teneur finale en carbamate d'éthyle atteigne des valeurs toxiques.

Perso je trouve çà plutôt rassurant.
N'en déplaise au volatile.


- "de la gélatine alimentaire ou de la colle de poisson qui désacidifient"
Plus con tu meurs.


Je ne sais pas ce que tu en penses, mais je trouve que ça commence à sérieusement sentir l'investigation poussée d'un grand professionnel qui s'est documenté et a croisé ses sources.
Ou pas.
Plutôt ou pas ...
Car les colles n'ont jamais désacidifié.
Jamais.

Une colle ... bizarrement çà colle ! c'est à dire que ça élimine un certain nombre d'impuretés en les fixant à sa surface, avant de tomber au fond de la cuve d'où on sortira le tout par un soutirage.
Donc non seulement çà ne désacidifie pas, mais en outre ce n'est pas un ingrédient du vin puisque le but est précisément de ne pas rester dans le vin, mais de disparaitre avec ce que l'on veut éliminer !
(note pour ceux que cela intéresse : la colle dite "de poisson" est dédiée aux grand vins blancs et ce depuis, au moins le XVIIème siècle, alors que les gélatines - en voie de remplacement par les colles végétales - sont utilisées sur les vins rouges).


- "le sulfate de cuivre, qui élimine les défauts de goût ou d'odeur"
De façon très étonnante ce n'est pas exactement ça ...
Les sels de cuivre permettent d'éliminer certains composés responsables d'odeurs indésirables (dans la gamme des odeurs dites "de réduction") : les petits chimistes iront voir du côté de l'hydrogène sulfuré (H2S) et des mercaptans.
Bref : le sulfate de cuivre (la base de la bouillie bordelaise qui est utilisée dans les vignes, bio ou pas) permet d'éliminer certains mauvaises odeurs liées à la réduction (= pas de contact entre le vin et l'oxygène) mais n'agit pas sur tous "les défauts de goût ou d'odeur du vin", ni même sur toutes les molécules responsable des odeurs de réduction.

Ce n'est, en outre, pas un additif puisqu'il n'en reste pas dans le vin.

- "des copeaux de bois pour la touche aromatique"
Certes.
C'est reposant.
Au delà du fait que les copeaux de bois ne sont pas des additifs, puisque personne n'en a jamais retrouvé dans son verre.
Mais rendus au stade où nous en sommes c'est un détail.


- "le ferrocyanure de potassium, une poudre jaune utilisée pour "déferrer" le vin, c'est à dire réduire la quantité de Fer et de Cuivre."
Dingue : c'est parfaitement exact !

Y compris la couleur jaune des cristaux. Quel sens du détail !
K4[Fe(CN)6] personnellement j'aime bien : d'une certaine façon ce truc est la justification de l'existence des œnologues ! En effet son utilisation doit être faite sous le contrôle d'un œnologue.
Alors comment te dire ... en plus de 20 ans de carrière je n'ai été confronté qu'une fois à la possible utilisation de ce truc ... et c'est tellement pénible que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour ne pas avoir à l'utiliser. On s'en est donc très bien passés.

Mais, en effet, cela permet d'éliminer les excès de Fer et, en conséquence, d'éviter la casse ferrique, une précipitation qui entraîne une perte de limpidité et une vilaine modification de la couleur des vins blancs.
Toutefois la lutte préventive contre l'augmentation des taux de Fer dans le vin est devenue tellement efficace que la chose (qui n'est pas un additif car elle ne reste pas dans le vin. Le boulot de l’œnologue consiste justement à s'en assurer !) est rangée au placard.


- "face à l'artificialisation du pinard de producteurs proposent des nectars sans ajout. Ces tenants du vin "naturel" sont bien sur de farouches partisans de la transparence sur l'étiquette"
Que Diable : rien ne les empêche d'indiquer la composition de leur vin sur l'étiquette, puisque c'est de cela qu'il semble s'agir.



Par contre il va falloir des étiquettes en forme de traité d’œnologie, et ce au vu de la quantité de molécules diverses et variées composant un vin.
Car on nous l'annonce dès l'entame, il s'agit bien d
'"informer le consommateur sur la composition des vins qu'il achète"

Ça va être festif ...




Attends, attends ... qu'est-il mentionné en fin de billet ?

"regrette l'avocat Eric Morain, qui vient de publier "Plaidoyer pour le vin naturel" (éditions Nouriturfu)".
OK, fallait commencer par là.
Ça m'aurait fait gagner un temps fou !


Eric Morain
, avocat de son état, s'est fait une spécialité de défendre les vignerons (dits) "naturels".

Et les "Editions Nouriturfu", c'est Antonin Iommi-Ammunategui, qui fait commerce de différentes activités liées de près ou de loin au vin "Naturel" et à la communication outrancière qui l'accompagne trop souvent.
On en trouvera de nombreuses traces sur ce blog (en particulier dans la liste des 10 billets les plus lus : là, juste à droite).

Bref ce n'était qu'un publi reportage.
Rien de grave.
Dormez, braves gens.

Mais le Canard ferait quand même peut-être bien, parfois, de vérifier ce qu'il imprime ...






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