Simagrées de canard


Je suis toujours étonné (lire "consterné") lorsqu'à la consultation d'un organe de presse qui jouit, à mes yeux, d'une longue et belle réputation je me rends compte que des sujets que je connais un peu sont si mal traités ("maltraités" serait tout aussi approprié).
Quid des autres sujets ?
C'est un mystère insondable et un rien inquiétant.

Quoiqu'il en soit de mes inquiétudes, si pour les autres sujets je n'en sais rien en revanche pour ce qui concerne le vin : dans le Canard Enchaîné c'est systématiquement à pleurer des larmes de sang (rappel des épisodes précédents en fin de billet).

Le dernier avatar d'une liste déjà si longue prend pour prétexte la récente décision de justice condamnant l'association "Alerte Aux Toxiques" pour son dénigrement contre les vins de Bordeaux en général, au travers du label HVE en particulier.
Dès le début de cette histoire, je consacrais un billet aux analyses commanditées par "Alerte Aux Toxiques" et, surtout, à la capacité de cette association et sa porte-parole à faire dire aux analyses ce qu'elles ne disent pas.
Mon billet est consultable en suivant ce lien.

Il va de soi que Le Canard Enchaîné ne fait pas la même lecture de tout ceci.
Et que les arguments de cette vénérable publication me font trop souvent tomber de ma chaise.





Quelques remarques au fil de ce nouvel article œnologique du volatile :

- Il va de soi que ce ne sont ni la "curiosité", ni les analyses, ni leurs résultats qui ont posé problème mais bel et bien ce qui en est dit, au mépris de ce que sont les résultats obtenus et leur signification.

- Il est d'ailleurs fâcheux que le Canard Enchaîné écrive :
"les résultats d'analyses montraient que lesdites bouteilles recelaient des résidus de pesticides alors qu'elles étaient toutes estampillées "HVE""
alors que l'un des nombreux reproches faits est que certaines bouteilles sont issues de millésimes antérieurs à la certification HVE !
Tout comme il est regrettable que l'on ne trouve aucun témoin bio dans la série d'analyse. Des bios qui auraient été choisis selon les mêmes principes que ceux qui ont prévalu au choix des vins analysés (= appartenir à des groupes ou des personnes "en vue").
Tout comme il est regrettable que le Canard Enchaîné ne prenne pas la peine de se pencher sur la significativité des résultats ou sur la notion de minimis pourtant rappelée par le laboratoire d'analyses retenu par "Alerte Aux Toxiques".
Non, restons sur les fondamentaux du genre : un vin HVE avec des traces de pesticides est forcément vinifié par un immonde salaud. En revanche, un vin bio avec les mêmes traces de pesticides serait évidemment produit par une victime de ses salauds de voisins.
Circulez, y a rien à voir.

- Quant à lui, Dominique Techer (Confédération paysanne) regrette qu'un vigneron labellisé HVE puisse exercer "sans avoir à lever le pied sur le pulvérisateur" et le Canard Enchaîné embraye sur :
"Rappelons qu'avec 15 traitements en moyenne par an la vigne  est l'une des cultures les plus exposées aux pesticides".
Soit, rappelons.
Rappelons au Canard Enchaîné que les produits de synthèse les plus visés par "Alerte Aux Toxique" et ses supporters sont des fongicides dits "systémiques" (= qui pénètrent la plante d'où ils agiront de l'intérieur), alors que Cuivre et Soufre (et leurs dérivés), pesticides utilisables en bio (mais utilisés indifféremment par les bio et les non bio), sont des produits dits "de contact".
C'est à dire qu'ils se déposent à la surface des plantes.
De ce fait ils peuvent demander des traitements plus fréquents puisqu'ils faut les renouveler quand il a plu (car ils ont été lessivés) ou lorsque de nouveaux organes ont poussé (qui ne sont donc pas recouverts de cette protection).
Le nombre de traitements est donc un critère absurde si l'on ne s'intéresse pas à ce qui est pulvérisé, ni à comment et pourquoi c'est pulvérisé ... et que dans le même temps on prétend promouvoir le bio.

- Le Canard Enchaîné nous dit que :

"la filière s'inquiète d'un projet de la commission européenne voulant mettre fin à une dérogation qui permet aujourd'hui aux alcooliers de s'affranchir de la liste complète des ingrédients sur l'étiquette"
et le Canard d'enchaîner sur l'habituelle rengaine des additifs autorisés dans le vin.
Le rapport avec les pesticides ? 
Aucun !
Mais çà ne peut pas faire de mal d'en remettre une couche anxiogène en mode : "on nous cache tout, c'est super louche" :
"Comptez une cinquantaine autorisés pour le pinard classique et 37 pour le bio".
C'est profondément casse couilles.
Pour ma part, je serais la filière : je m'inquiéterais beaucoup de voir les idéologues aux manettes.
Mais la filière préfère s'organiser et se préparer. Cet extrait du dernier numéro de la revue syndicale des Œnologues de France en témoignera s'il en est besoin :

Revue Française d’Œnologie n°303. 01/02-2021.
"Quelle place pour les intrants œnologiques ?"
.

Bref : l’étiquetage nutritionnel est prévu pour 2023, celui des additifs devrait suivre en 2024 ou 2025 (sur l'étiquette, la contre étiquette ou via un QR code).
Le Canard va devoir changer de disque.

Ceci étant posé, je reviens aux chiffres annoncés par le Canard Enchaîné, car l'un des intérêts des chiffres est qu'ils sont vérifiables.

37 additifs utilisés en bio nous dit-on ...
Soit, vérifions !

Qu'est-ce qui est autorisé en vinification bio ?


Pour fermenter : levures et bactéries lactiques.
Elles permettent de transformer le moût en vin puis meurent et sont éliminées dans les lies. Ce sont des auxiliaires qui n'entrent pas dans la composition des vins.
Additifs = 0

Si ces microorganismes (sélectionnés ou indigènes) n'ont pas de quoi se nourrir naturellement dans le moût ils ne pourront se multiplier et/ou survivre, en conséquence de quoi la fermentation ne pourra pas aller à son terme.
Pour éviter ces accidents, on peut donc les nourrir.
En bio c'est possible avec ceci : phosphate diammonique, chlorhydrate de thiamine, autolysat de levures, levures inactivées.
C'est ajouté au moût - quand il en manque - pour que les levures l'absorbent, s'en nourrissent et puissent ainsi finir leur vie et leur travail de levures.
Pour la faire simple : ces facteurs de croissance et facteurs de survie sont absorbés par les levures, deviennent des levures et sont éliminés sous cette forme.
Additifs = 0

Certains vignerons veillent à la stabilité dans le temps du vin qu'ils ont élaboré. Ils peuvent y parvenir en utilisant divers produits.
Tout d'abord du soufre (déjà soumis à étiquetage indiquant "contient des sulfites"), sous la forme anhydride sulfureux, bisulfite de potassium ou métabisulfite de potassium.
Il y a 3 produits différents dans leur nature, mais c'est du soufre que l'on ajoute, et si on utilise une forme on n'a pas recours aux autres.
Je dirais donc Additifs = 1, mais certains chafouins diront : Additifs = 3.
C'est idiot mais je suis conciliant, alors disons :
Additifs = 3
.

Afin de garantir la stabilité du vin on peut y ajouter de l'acide ascorbique (= la vitamine C) qui permet de réduire la dose de soufre à utiliser, ou de l'acide citrique.
Toutefois un problème se pose avec les acides ascorbique et citrique qui sont naturellement présents dans le vin.
Car si j'en crois nos amis déontologues : quand on n'en ajoute pas on ne dit pas qu'il y en a, en revanche quand on en a ajouté il faut mentionner leur présence (même s'il y en a moins que dans des vins où ils sont naturellement présents) afin que le consommateur soit bien informé.
Sur ce coup là je ne comprends pas tout.
Mais :
Additifs = 5.

Ensuite on peut clarifier le vin à l'aide de tel ou tel agent de collage, avec ou sans ses adjuvants.
En bio on peut en utiliser de diverses origines :
albumine d’œuf, caséine de lait, caséinate de potassium, gélatines alimentaires, colle de poisson, colles végétales, gel de silice, charbons œnologiques, tanins, enzymes pectolytiques et alginate de potassium (certains de ces produits sont utilisés depuis des siècles sans que çà ait jamais posé problème à qui que ce soit).
Si on colle avec l'un, on ne colle pas avec les autres.
En outre : depuis le millésime 2012 les vignerons qui ont utilisé de la caséine de lait (vins blancs) ou de l'albumine d’œuf (vins rouges) ont l'obligation de l'indiquer sur l'étiquette de leur vin. Sauf s'ils fournissent une analyse indiquant que ces produits sont absents ... or ces produits de collage ont pour but d'être éliminés du vin avec les impuretés qui s'y sont fixées.
Ces produits sont des auxiliaires, en particulier si l'on sait faire un test de collage et une levée de colle.
En principe on sait.

Additifs = 5.

Dans les correctifs que l'on est susceptible d'utiliser il y a ceux qui jouent sur l'acidité.
On peut l'augmenter en ajoutant des acides (
lactique, ou L(+) tartrique) ... et se pose alors la même question qu'à propos des acides ascorbique et citrique !
En effet : acides lactique et tartrique sont des acides naturels du raisin et du vin.
L'acide tartrique est même exclusivement et naturellement produit par la vigne et est, en outre, l'acide principal du vin.
Suis-je le seul à relever l'absurdité qu'il y aurait à indiquer "contient de l'acide tartrique" quand cet acide a été ajouté et à ne pas le dire quand il y en a tout autant, voire plus, mais sans ajout ?
On peut aussi diminuer l'acidité (et cette pratique est évidemment exclusive de la précédente !) à l'aide de
carbonate de calcium ou de tartrate neutre de potassium. Ils disparaîtront dans cette opération.
Bref :
Additifs = 7
(malgré ma remarque sur la naturalité de la présence de tartrique et de lactique dans les vins)
(notons en outre que cela fait des décennies que la Loi prévoit que ces produits soient soumis à surveillance spéciale).

L’œnologie est une grande utilisatrice de gaz afin de protéger le moût et le vin des effets de l'oxygène de l'air. Dans ce cas là ils n'entrent pas dans la composition du vin.
Mais le gaz carbonique peut être réajusté dans le vin (vins blancs et/ou effervescents).
Additifs = 8.

Quand tout ceci est fait on peut éventuellement utiliser des stabilisants qui, en bio, sont les suivants : a
cide métatartrique, gomme arabique, bitartrate de potassium.
Additifs = 11


Ah oui : y aussi un truc qui est vachement utilisé, c'est la résine de pin d'Alep.
Pour le Retzina.
Du Retzina on n'en fait pas beaucoup en HVE à Bordeaux. Pourtant y a les Landes, pas loin.
Additifs = 12.

12.
12 qu'il est impossible de tous utiliser dans un seul et même vin (sans parler de la résine de pin d'Alep).
12. Pas 37.

12

Alors in vino veritas, je ne sais pas
Mais in canardo veritas, sûrement pas ! 


J'en veux pour preuve les épisodes précédents :
- La pêche au Canard
- La recette du Canard à l'avocat
- Les Grands Crus, les pesticides : un accord classique avec le Canard !

- Pas si beau le Canard
- Canard au sang, ou conflit de Canard ?

 

Mais on a bien sur parfaitement le droit de trouver qu'HVE est insuffisant et doit évoluer.
D'ailleurs çà ne surprendra personne, puisque HVE s'affiche d'emblée comme une démarche ... évolutive !

En outre, sans doute la certification HVE n'est elle pas toujours totalement satisfaisante.
Personnellement, la voie dite "voie B" me laisse perplexe (c'est celle qui considère que le boulot est fait si la valeur d'achat des intrants est inférieure à 30% du Chiffre d'Affaires).
Mais çà le Canard n'en parle pas.
Normal : il aurait fallu se pencher réellement sur ce que les choses sont au lieu de systématiquement ressasser les mêmes inepties.
Moi, c'est cette "voie B" qui me permet d'apprécier d'autant plus ceux qui sont certifiés HVE après s'être engagés dans la "voie A", par conviction ... en particulier - mais pas que - ceux qui vendent leurs bouteilles moins de 10€ (parfois beaucoup moins) et y vont.
Par conviction.
Envers et contre tout.
Conviction et efforts qui leur permettent de se faire régulièrement cracher à la gueule par des donneurs de leçons hors-sol.



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