En fait, on tourne dans un sens, puis dans l'autre.

Le premier bouquin à être entré dans ma collection est l'un des tomes de la seconde édition du "Gentilhomme cultivateur" de Dupuy Demportes. Celui qui est entièrement dédié à la vigne et au vin, donc dans la deuxième édition (1763).
C'était il y a plus de 20 ans.
Depuis de nombreux autres s'y sont ajoutés, que je les ai achetés ou qu'on me les ait offerts.
Car on m'offre des livres, le plus souvent des bouquins plus ou moins vieux (plutôt vieux) traitant de la vigne et du vin.
Parfois, rarement, il arrive que ceux qui me font ce joli cadeau se ratent un peu.

 

 
Quand je reçois un bouquin moderne je file directement à la partie qui traite de mon dada et mon domaine de compétence : les levures et la microbiologie du vin.
Pour voir.
Là, ce que j'ai vu et lu m'a assis pour la journée : 

 "Mais la grande, l'énorme majorité des vignerons ne leur font plus confiance [aux levures] aujourd'hui (aussi parce qu'à force de fongicides, on les a éradiquées donc ils n'en ont plus sur les raisins). Ils préfèrent se rassurer en balançant dans leurs cuves des sachets de levures industrielles dont le paquet promet qu'il leur donnera un goût de chardonnay alors qu'ils cultivent du chenin, un goût de groseille, un goût de banane...
Voilà pourquoi les vins "conventionnels" restent toujours sur deux ou trois arômes dominants. Et voilà ce qui les différencie des vins naturels. Et çà peut en être la définition : vins fermentés grâce au terroir.
"


C'est absurde.
Et mensonger.
Au mieux largement abusif.
Explication de texte :

- "
à force de fongicides, on les a éradiquées donc ils n'en ont plus sur les raisins",
Faux.
Voir, par exemple, la thèse de Cédric Grangeteau ("
Biodiversité fongique du raisin au vin : impact de l’activité anthropique" (2017)) lorsqu'il s'intéresse à l'effet des phytosanitaires sur les populations de microorganismes à la surface des baies de raisin :

"L’ensemble de ces études semble s’accorder sur un impact de la protection phytosanitaire sur les populations de levures ou de champignons levuriformes, microorganismes non cibles des produits appliqués. Cependant beaucoup de ces résultats sont contradictoires. Certaines espèces semblent se maintenir ou être favorisées ou au contraire éliminées par la même protection phytosanitaire. Plusieurs paramètres peuvent expliquer ces différences : le cépage, l’âge du vignoble, la localisation géographique ... déjà évoqués dans le paragraphe 1.5. et qui évidemment diffèrent d’une étude à l’autre. Le mode de prélèvement (baies, grappes entières, moûts de raisin) ainsi que la technique d’identification comprenant ou non des étapes de culture peuvent aussi beaucoup influencer les résultats. Les matières actives utilisées et la dose d’application peuvent également expliquer les résultats contradictoires. Quant au délai variable avant récolte, il peut permettre une plus importante recolonisation des baies par certaines espèces gommant ainsi certains effets des produits phytosanitaires (Cadez et al., 2010). De plus, Setati et al. (2012) montrent que l’effet de l’hétérogénéité de la parcelle est supérieur à l’effet de la protection phytosanitaire sur la diversité levurienne rendant difficile l’obtention d’un échantillonnage représentatif."

- "des sachets de levures industrielles dont le paquet promet qu'il leur donnera un goût de chardonnay alors qu'ils cultivent du chenin, un goût de groseille, un goût de banane..."
N'importe quoi !
Pour donner un "goût de Chardonnay" il faudrait d'abord être capable de définir précisément ce qu'est le "goût de Chardonnay", quels sont les métabolites qui le gouvernent et ce que sont les conditions qui prévalent à leur formation.
Or ce n'est pas le cas.
En outre, si tu cultives un Chenin que quelque levure que ce soit peut aussi facilement transformer en Chardonnay, je crois que tu devrais urgemment t'interroger sur la qualité du travail que tu fais à la vigne et, plus largement, sur ta façon de mettre ton terroir en valeur (enfin, si ton terroir en est vraiment un).
Je ne reviendrai pas davantage sur le "gout de banane", qui a surtout un sérieux goût de déjà vu et revu. Juste rappeler que oui, en effet : certaines levures, surtout si on les met dans les conditions ad hoc, sont tout à fait capables de mener à des vins dans lesquels cet arôme est prégnant.
C'est mal.
Il semble en revanche, et çà me gène un peu, que cet arôme soit supra cool lorsque - rigoureusement identique - il provient de la carbo ou la semi carbo. Méthodes très en vogue chez ceux qui, au nom de la défense opiniatre du terroir, le nient avec une belle régularité.

-
"Voilà pourquoi les vins "conventionnels" restent toujours sur deux ou trois arômes dominants".
Ben voyons donc.
Et la marmotte elle reste aussi sur deux ou trois arômes dominants ?

 - "Et voilà ce qui les différencie des vins naturels. Et çà peut en être la définition : vins fermentés grâce au terroir."
La levure de terroir n'existe pas.
Désolé.
Pour s'en convaincre on pourra lire le beau papier d'Hervé Alexandre ("Levure de terroir : le serpent de mer oenologique") ou écouter la conférence d'Isabelle Masneuf et Patrick Lucas : "La controverse des micro-organismes de terroir".

 
Forcément le reste du bouquin est à l'unisson.


"Tous les produits de terroir sont des produits fermentés" ?
Ah bon ?

Ainsi le foie gras du Sud-Ouest, la carotte des Landes, la rate de Noirmoutier, la Saint Jacques d'Erquy, le piment d'Espelette et la bouche-rouge d'Ardèche (et tant d'autres) seraient des produits fermentés ?

Mais bien sur ...

De surcroit les levures "créent surtout des arômes" ?

Allons bon ... moi qui, pauvre oenologue, croyais bêtement que le métabolisme aromatique des levures (qui ne consiste pas qu'à créer des arômes mais aussi à en révéler) était un métabolisme secondaire !


En effet, les levures fermentent et dégagent du gaz carbonique pendant la fermentation alcoolique. Il se dégage du mout lorsque ce dernier est à saturation.
Pour autant penser que le CO
2 résiduel - quand bien même on en ajoute - permet de suppléer aux carences en SO2 est une légende tenace, mais une légende tout de même.
En oenologie, le SO
2 a 3 fonctions :
- dissolvant (d'où découle la vieille technique de la macération sulfitique, aujourd'hui très peu utilisée).
Ca n'a pas d'intérêt dans le cadre qui m'occupe ici.
- antiseptique.
Or le
CO2 n'est, en aucun cas, un antiseptique.
- antioxydant.
Certains pensent qu'ajouter ou garder du
CO2 dans leur vin, quite à le rendre perlant voire effervescent, va le protéger de l'oxygène, donc de l'oxydation.
Ils se trompent.
En effet, la protection du gaz carbonique contre l'oxygène n'est envisageable dans la durée que si le gaz carbonique est et reste à saturation, ce qui suppose une production continue de ce gaz. En outre de hautes teneurs en gaz carbonique dans un vin ont des conséquences sensorielles importantes, tant en termes d'acidité perçue que de dégagement gazeux.
Autrement dit : le recours à de fortes doses de
CO2 permet d'envisager de réduire, plus ou moins, l'oxydation. Mais pas de l'empêcher ! et c'est alors au prix de conséquences sensorielles le plus souvent déplaisantes.
Non : la présence notable de
CO2 dans le vin ne permet en aucun cas d'éviter de "mettre trop de soufre" pour le protéger.





1 à 6 millions de levures par cm3 ?
cm3 de quoi donc ?
Et en quoi ce niveau de population témoigne-t'il d'un bon ou d'un moins bon millésime ?
On considère habituellement qu'au pic d'activité fermentaire la population de levures est de l'ordre de 80 millions de cellules par millilitre (une valeur qui peut varier de quelques dizaines de millions selon les conditions de fermentation, mais qui n'est en rien dépendante de la qualité du millésime, quoique l'on puisse entendre par "bon millésime").
Si l'on s'intéresse au raisin, notons que Saccharomyces cerevisiae semble un peu plus présente sur la baie quand on s'approche de la maturité mais que cette présence reste anecdotique.
En ce qui concerne la baie de raisin on pourra lire les travaux de Da Rocha (2002) qui donne - à maturité et sur Chardonnay et Malbec - des populations de moisissures allant de
1,3.104 et 5,4.106 cfu*/g, avec une forte diversité générique : Aspergillus, Botrytis, Penicillium mais aussi Phythophthora, Moniliella, Alternaria et Cladosporium.
Et les levures ?

Voir par exemple la thèse de Sadoudi (2014) qui relève 29 genres de levures, pour 90 espèces différentes, dont la population totale est de l'ordre de 103 à 106 cfu/g de baie.
Résultat ?
Grand max 1 million de levures et 6 millions de moisissures par gramme de baie.
Ca fait rêver.
Alors :
1 à 6 millions de levures par cm3 selon que le millésime est plus ou moins bon ? sur quoi donc se fonde cette affirmation péremptoire ?!


Ah : "saloperies utilisées en agriculture "conventionnelle"" ?
On appréciera à sa juste valeur la mesure et la nuance du propos.

Ainsi que le délicieux : "çà ne marche pas à tous les coups" qui doit pouvoir être traduit par : "c'est totalement foireux".

 

 




Pour faire bonne mesure j'ai sauté directement à la partie biodynamie.
Bizarrement traitée avec bien plus de bienveillance.
Et la même approche rigoureusement scientifique :

Voilà : "le dynamiseur apporte l'information".
"En fait, on tourne dans un sens, puis dans l'autre."
Je n'aurais pas mieux dit.

Bref, cet ouvrage peut-être pas totalement indispensable fait appel à des niveaux de conscience auxquels je ne peux décidément pas accéder.
Il se fonde en outre sur de solides savoirs. Je ne saurais donc trop conseiller à mes lecteurs désireux de l'acquérir et d'en tirer le maximum de commencer par une grosse remise à niveau en se penchant de près sur un autre ouvrage de référence :




* cfu/g ou /mL est une unité classique de dénombrement des populations microbiennes
Après avoir prélevé un échantillon de ce que l'on étudie (ici baie de raisin ou mout en fermentation) et avoir fait une mise en culture sur milieu spécifique, on compte les colonies qui ont été formées par les individus présents dans ou sur le milieu de départ.
On parle donc d'unités formant colonies.
Cette valeur est exprimée en logarithmes et
5,4.106 cfu/g vaut donc pour 5.4 millions de cellules par gramme, ou 103 cfu/g pour 1000 cellules par gramme.


Commentaires

  1. Je suis sur le.... postérieur aussi quand j’ lu les passages de votre livre ����. Qui en est l’auteur ??

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    1. Sylvie Augereau (voir première photo de ce billet, qui reproduit la couverture du bouquin)
      Elle est l'auteur de ce livre mais est aussi vigneronne, organisatrice de salons de vins nature et membre du comité de dégustation de la RVF.

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