Larmes fatales 2 : perseverare diabolicum




Mon précédent billet s'intéressait à un ouvrage récemment paru : le "Guide des vins bio 2023".
En soi, ce blog n'a pas vocation à commenter un guide des vins, et ce quels qu'en soient le public cible et les vins commentés.
Sauf bien sur si le dit ouvrage prétend aborder des aspects techniques, et le fait d'une façon qui me fait tomber de ma chaise.





Ainsi qu'on le constatera en lisant ou relisant ce billet, "Larmes fatales", il y a dans le livre que je commentais de quoi me faire tomber de ma chaise. Plusieurs fois. Ainsi que toute personne ayant un minimum de culture oenologique.
Mais pas au point de justifier d'en mettre une seconde couche ... si ce n'est que j'apprends que l'auteur, Pierre Guigui, m'a répondu et que cette réponse est diffusée et reprise sur les réseaux sociaux.

P Guigui sur Facebook

N'étant plus présent sur Facebook et n'ayant pas l'intention d'y retourner je poursuis donc ici.




Que dit Pierre Guigui dans sa réponse ?
Que mon billet "décortique [son] ouvrage avec des critiques parfois justifiées parfois complètement erronées".
S'ensuit une liste des reproches que Pierre Guigui fait à mon billet.
Je vais les revoir en détail un peu plus loin, mais conclus que ce qu'il ne relève pas, c'est qu'il l'accepte au sein des critiques justifiées.
Or force est de constater que cela représente la plupart de mes objections !
On pourra donc regretter que ces éléments, nombreux, soient passés sous silence et que Pierre Guigui se focalise sur mes erreurs (selon lui), oubliant d'admettre et corriger les siennes, n
e serait ce que pour prendre date auprès de ses contacts et lecteurs et ainsi les détromper sur ses erreurs portant par exemple sur :
- l'histoire des engrais chimiques, les conditions et les débuts de leur fabrication industrielle, leur absence de lien avec les armes chimiques,
- l'utilisation des levures inactivées,
- l'acide malique qui n'est pas un auxiliaire mais un additif,
- l'acide lactique qui n'est pas un désacidifiant,
- l'absence de lien entre Saccharomyces cerevisiae et l'expression du terroir,
- les erreurs analytiques qui figurent sur le site "dans ma bouteille",
- etc...


Mais alors quels sont les points de désaccord qui subsistent ?

1. Dans mon billet j'évoquais les chiffres portant sur la part de SAU que la vigne occupe, son pourcentage de la consommation nationale de pesticides et la part de fongicides parmi ces derniers. Ainsi que l'absence de sources de ces données, et la relative obscurité qui entoure les chiffres fournis et n'aide pas à leur compréhension.
Pierre Guigui annonce enfin que ceci est issu d'une étude de l'INRAE qui date de décembre 2005.
Que ne le fit il dans son livre ? je n'aurais ainsi pas eu à regretter l'absence de cette information essentielle, et les autres lecteurs en auraient eux aussi disposé. Car il est d'usage d'indiquer l'origine des chiffres et données sur lesquels on s'appuie.
Mais la lecture de ce document appelle d'autres commentaires :
- on pourrait objecter qu'il s'agit de l'ensemble des vignes, et que cela comprend donc raisins de table et de cuve.
Les vignes à raisin de table représentant de l'ordre de 1% des surfaces plantées, nous pouvons considérer leur impact comme négligeable et évacuer cette objection.
- les informations semblent étonnement contradictoires : un tableau page 9 nous indique que pour la vigne nous en sommes à
3% de la SAU, pesticides 20 %, fongicides 80% ... et le texte en page 11 nous dit que : "La vigne (3,7% de la SAU, 20% de la consommation nationale de pesticides, 30% des fongicides) fait l'objet d'une vingtaine de traitements par an, dont une majorité de pulvérisations de fongicides.". Je ne comprends pas.
- les données, pondérales et très globales, ne permettent pas de se prononcer sur des éléments très concrets et tout à fait essentiels : quelle est la nature des traitements et donc la proportion des traitements de bio contrôle, des produits de synthèse, et des traitemenst homologués en bio ? en outre quelles sont les disparités régionales ? et quel est l'effet du millésime ?
Car quand on en vient aux traitements fongicides ces éléments sont essentiels ! (il y a gros à parier sur le fait que le millésime 2022 a vu les traitements fongicides réduits à leur plus simple expression).
Une partie des réponses à mes questions se trouve dans ce document qui date de 2019 et porte, pour l'essentiel, sur le millésime 2016.
Mais notons tout de même que le document que Pierre Guigui cite reste très prudent :

"Ni le nombre de traitements phytosanitaires, ni les quantités de pesticides commercialisées ou utilisées ne constituent un indicateur très pertinent pour caractériser la consommation de pesticides et son évolution".

Je regrette que cette remarque nuancée, pourtant essentielle et avec laquelle je suis totalement en ligne dans mon précédent billet, ne soit pas reprise par Pierre Guigui.


2. Les références citées par C Lavelle.
En première lecture je regrettais l'absence de ces références et les demandais à C Lavelle. Quelque temps après me les avoir fait parvenir il me signalait qu'à sa connaissance elles étaient bien quelque part dans le livre.
J'y retournais et constatais que si le texte de C Lavelle est en pages 24 à 26, ses références sont elles en page 37.
Je trouve que cette organisation interne est tant étonnante que génante. Mais j'ai édité mon billet - avant la réponse de P Guigui - afin de signaler mon erreur.
Je réitère : je me suis trompé, car la bibliographie de C Lavelle est bien présente dans le livre.


3. La résolution OIV OENO et la présence du chlorure de potassium parmi les produits autorisés pour la vinification.

P Guigui sur Facebook

Je faisais remarquer que l'utilisation de ce produit n'ayant pas été retranscrite dans le droit européen il n'est pas autorisé (il est en effet absent du réglement EU 68/2022, ainsi que du EU 606/2009 qui le précédait). Car le fait d'être admis par l'OIV n'y suffit pas.




Pierre Guigui
insiste et tente de me renvoyer dans mes 22 mètres en faisant remarquer que :

"Le chlorure de potassium est cité dans le journal officiel de l'union européenne RÈGLEMENT D’EXÉCUTION (UE) 2021/1165 DE LA COMMISSION du 15 juillet 2021."
Je dois reconnaitre qu'il a tout à fait raison, puisque le texte en question admet le chlorure de potassium parmi les "Matières premières non biologiques autorisées pour aliments des animaux".
En revanche on le cherchera en vain à l'
Annexe V partie D du dit réglement. Or il s'agit de la partie qui se penche sur les "Produits et substances autorisés pour la production et la conservation de produits de la vigne biologiques du secteur vitivinicole" : il me semble que le secteur vitivinicole bio est le sujet de son livre, pas les aliments non bio des animaux d'élevage.
Je maintiens donc que Pierre Guigui s'est trompé.
Et je regrette qu'il persévère dans l'erreur après que je le lui ai fait remarquer.


4. J'indiquais que, de mon point de vue, le protocole proposé dans son livre par Pierre Guigui afin d'obtenir des "vins rouges fruités" est inepte.
Il m'objecte que : "
Il se trouve que ce process est proposé par un conseil en œnologie qui vend des produits (ICV pour ne pas le citer). Je laisse donc le labo ICV répondre à ce Monsieur qui travaille pour la concurrence : AEB Group"
Encore une fois : que n'a-t'il donné précisément ses sources dans son livre ? Ce devrait pourtant être la norme !

Pierre Guigui dans son livre

Ceci étant dit, la consultation du protocole de l'ICV dédié aux vins rouges fruités issus de thermovinification, ce que nous annonce Pierre Guigui, et sa comparaison à celui qu'il publie montre des différences essentielles qui confirment mes objections (à une exception près : l'ICV annonce commercialiser une enzyme - la seule du marché - qui résiste aux hautes températures de la thermovinification. Je l'ignorais. Dont acte).


le protocole ICV modèle de P Guigui

Nota :
- le fait que je travaille aujourd'hui pour une Société concurrente de l'ICV (ce qui n'a pas toujours été le cas) n'a rien à faire là dedans, ce n'est qu'une bassesse de plus à l'actif de Pierre Guigui.
- l'oenologie n'est pas une Science exacte. De mon point de vue ce n'est même pas une Science, mais plutôt un domaine d'application pour diverses Sciences. En outre on s'y intéresse au vivant, avec des matières premières et des moyens techniques extrêmement variables. Des conseils différents pourront donc légitimement être donnés pour un même objectif. Et je n'exclus pas par principe de pouvoir me vautrer en faisant une prescription erronée dans telle ou telle circonstance.
Mais ici ce n'est pas ce dont il s'agit ! Pierre Guigui a modifié le protocole initial et je maintiens que ce qu'il a publié n'a plus aucun sens oenologique.

 

5. Je faisais remarquer que le nutriscore s'étend de A à E et non pas à F ainsi que Pierre Guigui et son partenaire l'affirment.
Pierre Guigui me rétorque que :

"Mais voilà justement le F est bien à l'étude et en négociation au sujet de la transparence au niveau européen"

Il s'appuie sur un article du Figaro vins qui fait état des inquiétudes de la filière.
Cet article, en date du 15 mars 2022, fait suite à la sortie de S Hercberg, en date du 3 Février, qui se trouve dans mon billet.
Ce papier du Figaro, on y cherchera en vain toute référence à des discussions européennes à ce sujet. En outre, ces discussions existeraient elles, que celà n'impliquerait pas que le F soit la règle, ni aujourd'hui ni demain !
En vertu de quoi je crains que Pierre Guigui ne se trompe à nouveau lorsqu'il attribue d'autorité un F noir à chaque vin commenté.
Malheureusement il persiste dans son erreur.
Dans ses erreurs, ainsi que nous venons de le voir tout au long de ce billet.


"Errare humanum est, perseverare diabolicum"


Mais il est temps de terminer avec quelques remarques plus générales et moins oenologiques.


P Guigui sur Facebook

Je n'ai aucun problème avec les organismes cités par Pierre Guigui.
J'ai, en revanche, un problème majeur avec ce que ce dernier leur fait dire.





Cerise sur le pompon, il se permet de finir en me qualifiant de "grand spécialiste (autoproclamé)".
Pourtant on cherchera en vain tant sur ce blog que dans quelque autre support sur lequel je suis intervenu une intervention de ma part où je m'auto proclame grand spécialiste ou même seulement spécialiste.
En effet, l'argument d'autorité m'insupporte et j'ai toujours fait en sorte de l'éviter (j'espère !).
Je ferai néanmoins remarquer à Pierre Guigui que :
- étant oenologue,
- ayant été directeur technique de Sociétés leader sur le marché des biotechnologies du vin,
- intervenant en microbiologie du vin tant dans le cadre du Diplôme National d'Oenologue que de la Licence Professionnelle "Viticulture - Oenologie : Innovation et Mondialisation",
- étant crédité d'une longue série d'articles scientifiques, techniques et de vulgarisation en diverses langues,
- et ayant donné de nombreuses conférences un peu partout dans le monde (en français, en anglais et en espagnol)
... on doit pouvoir me considérer comme un spécialiste de ces questions, sans qu'il me soit besoin de l'auto proclamer.

Pour autant : j'ai pour habitude de commenter ce que mes contradicteurs disent et non pas ce qu'ils sont, ont été ou ce que je prétends qu'ils sont ou ont étés. Et je le fais en justifiant mes positions de façon aussi fondée que possible, et jamais au nom d'une quelconque autorité en la matière.
En conséquence de quoi je souhaite vivement que Pierre Guigui (et d'une façon générale l'ensemble de mes contradicteurs) fasse enfin siennes ces règles élementaires.
Cela lui éviterait probablement d'ajouter l'indignité à l'incompétence.




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