Quand la Nature et la Chimie se croisent au Café du Commerce


Ca fait un bail que je n'étais pas tombé sur un papier de Télérama à propos de vin.
La dernière fois ce devait être lors de la diffusion de Vino Business et ça m'avait pris le chou.
Rebelote.

Celui ci se trouve sous le titre évocateur et un brin casse couilles de :

Vin chimique contre vin nature : faut-il sauver les AOC ?
Histoire d'enfoncer le clou, le lien internet n'est pas titré comme l'article.
Le lien c'est : les AOC sont-ils indispensables pour faire du bon vin.
Question qui doit, au demeurant, pouvoir être posée (si ce n'est que tout le monde sera d'accord pour répondre que : "non, bien sur" et que c'est donc assez peu porteur).

Alors on y trouve quoi dans ce nouvel avatar de la lutte à mort entre la gentille Nature qui rassure, et la méchante Chimie qui fait peur ?

Avant la table ronde au Salon Rue89 des vins, le débat est lancé : les AOC sont-elles de vrais gages de qualité ou des alibis pour des vins Frankenstein ? Deux spécialistes nous répondent.

Antonin Iommi-Amunategui est le turbulent créateur du blog No Wine Is Innocent, hébergé par Rue89, où il est plus souvent question de lever le poing que le coude. Il est également co-auteur, avec un collectif de blogueurs, d'un guide des vins alternatifs, Tronches de Vin, dont le deuxième volume est sorti en mars 2015 aux Editions de l'Epure.
Alexandre Bain est vigneron à Tracy-sur-Loire où il cultive onze hectares de sauvignon blanc en biodynamie avec l'aide, pour le labour, de Phénomène, son fidèle Percheron. Ses Pouilly-Fumé sont si purs, si digestes, si parfumés qu'on en boirait volontiers au petit-déjeuner.
Bon, ben la question est réglée : vu le pedigree des deux spécialistes qui vont répondre à ces lancinantes questions, tu peux déjà te dire que le débat contradictoire c'est pas gagné d'avance, et que la réponse tu la connais avant même que la question ait finie d'être posée.
Circulez y a rien à voir, et pas grand chose à entendre.
Lors du Salon Rue89 des vins, ils participeront tous les deux à une table ronde sur l'opportunité de sortir (ou pas) des AOC (Appellation d'origine contrôlée) pour faire du bon vin. Une question a priori technique, qui n'intéresse que les professionnels de la profession viticole ? Voici un début de discussion animée pour vous prouver le contraire et lancer le débat.

Question technique ?
Ah bon ?

J'aurais pourtant juré qu'elle relevait plus de la communication et/ou du positionnement marketing que de l’œnologie pure et dure, la question ?!

Un peu l'impression que l'on va bien nous le faire entrer en force le bouchon de bonde !



Pouvez-vous rappeler le rôle des AOC dans le domaine du vin ?
A.I.A. : En bref, les AOC ou AOP (Appellation d'origine protégée), comme vous voudrez, sont censées identifier et valoriser une production, sur un territoire donné, en s'appuyant sur un cahier des charges spécifique. Dans le vin, en France, il y a près de 500 AOC qui, pour l'essentiel, sont des fourre-tout débiles, où le meilleur côtoie le dégueulasse.
"des fourre-tout débiles, où le meilleur côtoie le dégueulasse" ?
En effet, c'est de toute évidence un débat technique qui s'annonce !
A moins que ce ne soit un débat fourre tout débile ou le meilleur (avec un peu de chance) côtoiera l'argument débile et sans aucun élément objectif ?

Ce cahier des charges a-t-il cessé de jouer son rôle de protection ?
A.I.A. : Le cahier des charges des AOC n'a jamais vraiment protégé la qualité ; c'est l'origine, le lieu de production qui est protégé. Pour la qualité du produit, l'AOC ne garantit rien du tout.








Pourquoi certains vignerons décident de sortir de l'AOC pour vendre leur vin en « vin de France » ?

A.I.A. : En général, il s'agit de vignerons qui emploient peu ou pas d'additifs œnologiques ; ils ne sont pas dans les clous, à l'écart des standards de dégustation, avec des vins différents, jamais figés, qui rentrent forcément moins bien dans les cases aseptisées des AOC. La vraie question, l'enjeu, c'est la typicité : en quoi des vins formatés, à grands renforts de levures sélectionnées, d'additifs en pagaille, seraient-ils plus typiques ? Pourtant, ce sont bien ces vins-Frankenstein qui obtiennent l'AOC, les doigts dans le nez. Les autres, les vins plus naturels, faits à partir de raisins et de pas grand-chose d'autre, rament pour obtenir l'appellation…

Du coup, les vignerons naturels lâchent souvent l'affaire, et passent alors toute leur production en vin de France. Ce qui fait qu'aujourd'hui vous trouvez des vins d'AOC immondes à 2,50 euros au supermarché, et des vins de France formidables à 12,50 euros chez les cavistes indépendants. La situation du vin en France est de plus en plus absurde, et intenable à moyen terme.
Que l'on trouve ou prétende trouver des produits immondes dans telle ou telle catégorie et tel ou tel réseau de distribution est une tartufferie facile qui vaut ce qu'elle vaut, donc beaucoup moins de 2 € 50. Une affaire.
Sinon, je sais pas bien ce que c'est qu'un vin différent et jamais figé.
Jamais figé c'est, de toute manière, le propre du vin quel qu'il soit : j'ai toujours cru qu'un vin évoluait avec le temps. Me serais je trompé ?
Même chose pour ce délicieux à l'écart des standards de dégustation.
C'est quoi ? une façon polie de dire déviants ?
La vraie question, l'enjeu, c'est la typicité : en quoi des vins formatés, à grands renforts de levures sélectionnées, d'additifs en pagaille, seraient-ils plus typiques ?
Pourquoi donc un vin levuré serait il formaté ? C'est absurde et çà témoigne d'une méconnaissance profonde de ce qu'est vinifier, de ce qu'est une levure œnologique et de ce qu'elle fait, ou pas, selon les conditions dans lesquelles on la fait travailler (ou pas).
En outre faire sur une zone donnée des vins différents, jamais figés, mais qui en même temps, mais qui en tous temps et tous lieux représenteront fidèlement le territoire en question c'est un peu touchy, non, comme concept ?
Sinon vins-Frankenstein ah, ah, ah : c'est trop drôle. Non, vraiment. Quel sens de la formule! Admirable.
Et sinon ? qui obtiennent l'AOC, les doigts dans le nez ?
faut jamais avoir été en dégustation d'agrément pour oser prétendre une telle ânerie !
Les autres, les vins plus naturels, faits à partir de raisins et de pas grand-chose d'autre, rament pour obtenir l'appellation …
Sans doute parce qu'ils sont différents et jamais figés ....

N'est-ce pas cela la solution : laisser l'AOC aux vignerons chimiques ?
A.B. : NON ! Les vignerons ont perdu la main dans les caves. Les œnologues ou les conseillers commerciaux en viticulture conseillent et rassurent les vignerons en les incitant à travailler avec leurs produits chimiques. Et ces vins, tous issus de la même technique de travail, deviennent les vins de référence pour une AOC. Or, lorsque l’on travaille naturellement dans les vignes et en cave, les vins se dégustent complètement différemment. D’où des refus d’agrément et des déclassements en « vin de France » (VDF). Je comprends la position de certains vignerons à vendre en VDF car obtenir l’AOC est aujourd’hui un véritable parcours du combattant. Tout est normé, standardisé, il n’y a plus de place pour la création et l’originalité, donc pour les vins naturels. Sur une bouteille VDF, toutes indications géographiques, nominatives, ou de millésime sont interdites. C’est vraiment dommage pour le consommateur qui ne peut pas situer géographiquement le vin qu’il achète.
vignerons chimiques. Sous titre : les chimiques c'est les méchants standardisateurs de la mort qui tue. Elle est pas simple la vie ? peut-être même simpliste ...
Les vignerons ont perdu la main dans les caves. Ceux chez lesquels ce serait le cas doivent penser à changer d’œnologue conseil et, éventuellement, à changer de métier. Car si je n'ai pas, comme nos deux experts, la prétention de tout connaitre sur tous les vignerons (chimiques ou naturels ...), ce genre d'affirmation n'est en tous cas en rien représentatif de mon vécu, mon expérience et mes rencontres tant au cours de mon passé d’œnologue conseil que de mon passif de "levurier" ... ou de buveur invétéré.



Observe-t-on le même phénomène dans d'autres pays européens ?

A.I.A. : Oui, bien sûr. En Italie notamment, autre grand pays du vin, où certains des meilleurs vignerons rencontrent les mêmes problèmes, et perdent leur DOG alors qu'ils s'appliquent à faire des vins qui respectent leur territoire et son histoire… Finalement, aujourd'hui, l'AOC valide d'abord les vins technologiques, conçus à partir des méthodes les plus récentes de vinification ; et disqualifie régulièrement les vignerons qui tentent vraiment de rendre compte, à travers leurs bouteilles, d'un terroir. En résumé, on exclut certains des meilleurs, on garde presque tous les pires. Objectivement, c'est une forme de suicide.
Encore une fois : en quoi le progrès technique et la meilleure connaissance des processus en cours empêcheraient ils de mieux exprimer ses envies et sa créativité ? en quoi cela empêcherait il le terroir et le talent, quoi qu'ils puissent être, de se révéler ?Il me semble même que l'amélioration de la compréhension des tenants et aboutissants de nos actions doit être à même de nous permettre de mieux nous exprimer.
Il n'y a aucune donnée objective qui vienne étayer cette nouvelle affirmation à l'emporte pièce de notre expert.

Pourquoi une réforme vous semble-t-elle nécessaire ?
A.B. : Une réforme me parait indispensable. Premièrement, un vin AOC demeure, dans la tête du consommateur, un gage de qualité. Deuxièmement, la plupart des vins AOC sont devenus, au fil du temps, des produits complètement standardisés alors qu'un vin AOC devrait être un vin de terroir. Cela signifie, selon moi, que seuls les raisins cultivés avec le cépage autorisé sur des sols classés devraient permettre d’obtenir l’AOC. Cela sous-entend que les engrais minéraux, les désherbants ou autres produits de synthèse, et la machine à vendanger ne peuvent être admis dans les AOC. Ces produits modifient la structure même des sols, des vignes ou des raisins, et n'ont rien à faire chez des vignerons sérieux.

Les vins doivent être obtenus par la seule transformation des sucres du jus de raisin par les levures indigènes propres au lieu où elles ont vécu le millésime. Ce qui exclut les produits œnologiques en cave qui guident le vin, assurent le revenu du vigneron et standardisent le goût du vin. Sans produits œnologiques, le savoir-faire du vigneron dans la vinification et dans l’élevage apporte une véritable signature au vin. Ce vin devient une pièce unique et non reproductible, ce qui est à l’opposé de ce que l’on trouve dans les vins AOC aujourd’hui.
Croire, ou tenter de faire croire, que les produits œnologiques - quels qu'ils soient - mènent de facto à des vins sans personnalité, qui ne disent pas d'où ils viennent et ne portent pas la signature de leur auteur est totalement absurde, pour ne pas dire mensonger.
Quant à ceci : Les vins doivent être obtenus par la seule transformation des sucres du jus de raisin par les levures indigènes propres au lieu où elles ont vécu le millésime. C'est, encore une fois, la marque d'une méconnaissance profonde de ce qu'est une levure fermentaire, de ce qu'elle fait et de quand et comment elle le fait ou pas. C'est, en outre, un bel exemple de pensée magique qui voudrait que, parce qu'une levure passe par là à un moment donné, parce qu'elle s'est implantée dans le mout et l'a transformé en vin elle le fait forcément au mieux de l'expression du terroir, du millésime et de la signature du vigneron telles que nous les définissons et les concevons.
C'est un réel non sens microbiologique et œnologique.
Je ne crois pas à la levure de terroir, mais on peut en discuter.








Que préconisez-vous pour mieux protéger le consommateur ?
A.I.A. : D'abord, une remise à plat des AOC, avec des cahiers des charges plus stricts, bien plus limitants sur les additifs, et qui prennent aussi en compte la viticulture : par exemple, les vins issus d'AOC prestigieuses devraient a minima être bio. Ce n'est pas moi qui le dis, d'ailleurs, mais Aubert de Villaine, le cogérant de la Romanée-Conti… Je suis aussi favorable à une reconnaissance officielle du vin naturel ; ces vins faits avec du raisin (bio) et rien d'autre ou presque. Ce qui aurait pour conséquence immédiate une plus grande transparence sur les additifs employés dans le vin en général ; aujourd'hui, ces additifs – il y en a plus de 50 à la disposition des petits chimistes du vin –  n'ont, pour l'essentiel, pas à figurer sur l'étiquette. C'est une exception alimentaire troublante, que vraiment rien ne justifie.
C'est quoi une AOC prestigieuse ?
Pourquoi devrait elle forcément être en bio ?
Serait ce que le bio est plus qualitatif et exprime mieux le terroir, qu'il donne forcément des vins de meilleure qualité ?
Parce que sinon je comprends plus : c'est pas le même qui au début affirmait sans rire que "Pour la qualité du produit, l'AOC ne garantit rien du tout." et "Le cahier des charges des AOC n'a jamais vraiment protégé la qualité".
A intégrer le bio dans la définition de l'AOC c'est donc qu'il fait donc forcément de meilleurs vins ? des vins de meilleure qualité (Voire plus typiques ?!).
Y a quoi comme données objectives là dessus ?
Parce que sinon on va ajouter une couche obligataire de plus, un nouveau cahier des charges, et encore aggraver la situation décrite par notre autre duettiste :
"Tout est normé, standardisé, il n’y a plus de place pour la création et l’originalité,".

(nota :
on sera tous d'accord sur la nécessité de réduire les intrants, d'en utiliser s'il le faut et seulement s'il le faut, de le faire à la dose voulue et en s'assurant que leur impact environnemental est aussi faible que possible et, idéalement, nul.
Pour autant : je ne crois pas qu'on y arrivera en racontant autant de conneries en si peu de temps).


Bon, après, comme d'hab : ma conviction est simplement que le vin naturel n'existe pas.
Depuis la plantation de la vigne (c'est super naturel de planter 5 à 10 000 pieds / ha d'un même cultivar, avec un seul et même mode de culture) jusqu'à la mise en bouteille (que l'on observe chaque jour dans la Nature), toutes les opérations - quel que soit leur degré d'interventionnisme - sont sous le contrôle humain.
On peut, bien sur, juger que certaines d'entre elles sont supra cool de naturalité, alors que d'autres sont d'une insupportable modernité ... mais le positionnement de ce curseur est une histoire personnelle avec ce que cela sous entend d'idées préconçues et de jugements à l'emporte pièce.


Une dernière pour la route ?
aujourd'hui, ces additifs – il y en a plus de 50 à la disposition des petits chimistes du vin –  n'ont, pour l'essentiel, pas à figurer sur l'étiquette. C'est une exception alimentaire troublante, que vraiment rien ne justifie.
Là, il confond allégrement (et avec peut-être un rien de mauvaise foi) les additifs et les auxiliaires mais, même avec cette "confusion", je ne connais pas un vin avec 50 trucs chimiques ajoutés à un moment ou un autre (en outre c'est assez puant de mépris et de condescendance, ce "petits chimistes du vin").


Pour autant qu'ils se rassurent : l'assimilation du vin aux produits alimentaires, et les contraintes administratives qui vont s'ensuivre - pour tous les vins et vignerons - est en marche.
Et je ne suis pas sur que ce soit une bonne nouvelle pour la filière.
Vin chimique ou pas.

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