Les Javert du jaja vert


J'ai commencé par la lecture des propos de Nicolas Joly repris par la RVF avant de donner mon sentiment à ce sujet (dans mon précédent billet). Puis j'ai fait l'acquisition du dernier numéro hors-série de la dite revue.
Toute primo-vaccination nécessite une piqûre de rappel.




Sa couverture annonce fièrement "quand la vigne se met au vert" avec, en sous-titre, "Nature et Biodynamie".
Exactement le genre de chose que mon vieux fond masochiste me pousse à acheter.


Je n'ai pas été déçu.


D'entrée l'édito pose un certain nombre d'éléments sur lesquels le plus grand nombre sera globalement d'accord. On sent toutefois un évident parti pris lorsque la biodynamie pointe le bout de son nez :
"Mais il ne faut pas être dupe. Comme il ne faut pas s'imaginer que l'ensemble de la viticulture passera demain en biodynamie".
Au nom de quoi faudrait il le souhaiter ou même seulement l'imaginer ?






Puis vient une sélection de lectures édifiantes.
Je n'en retiendrai qu'un bouquin que j'ai largement commenté ici même :
"Le goût des pesticides" de J Douzelet et GE Séralini.
Sans rire, la RVF nous dit que ce livre est "Sérieux et ludique, savant et facile d'accès".
Ben voyons donc !

Si ce bouquin est sérieux et savant, moi je suis le fils secret de Tarzan et de la Reine d'Angleterre !




Je n'entre pas dans le commentaire de chaque page de chaque papier qui figure dans cet opus de la RVF, ce serait tellement fastidieux ! Disons seulement qu'il s'agit d'un long dithyrambe dans lequel on cherchera en vain un avis contraire ou, au moins, nuancé dès lors qu'il s'agit de la biodynamie. Ou, plus clairement encore, que la plupart de ce qui est dit sur le sujet m'est à peu près insupportable.
Je ne retiens donc que quelques passages qui me semblent emblématiques (lire "les plus problématiques").


Page 24, sous l'onglet "labels et bio" commence un papier titré :
"Comment s'y retrouver dans la jungle des logos éthiques et environnementaux ?"
Pages 26-27 nous avons 6 colonnes permettant une comparaison rapide des ces labels. L'idée est sympathique ... et le serait bien plus si les bons mots étaient utilisés pour désigner les bonnes choses !
Ainsi, pour le label "AB / EUROFEUILLES" on nous dit :
"Présence de produits d'origine animale : oui".
Alors qu'en fait ce serait plutôt "non".
En effet, s'ils sont compatibles avec le cahier des charges bio, certains produits de collage d'origine animale peuvent être autorisés. Je dis bien : "peuvent être autorisés" et non pas "sont systématiquement utilisés".
En outre, lorsque l'on utilise de l'albumine d'
œuf (collage traditionnel des grands rouges, à Bordeaux) ou de la caseine de lait : on a l'obligation d'indiquer la présence des composés sur l'étiquette, sauf à avoir fait un test ELISA attestant qu'il n'y a pas de résidus. Oui : s'il y a des résidus (ou si on refuse de faire l'analyse) il est obligatoire d'indiquer la présence de lait ou d'œuf et si rien n'est marqué, c'est qu'il n'y en a jamais eu, ou qu'ils ont été soutirés efficacement.
Bref :

"Présence de produits d'origine animale : non, sauf si indication contraire".


Je zappe la partie "D'où vient la biodynamie ?", en particulier parce que la plupart des choses qui y sont dites ont déjà été abordées sur ce blog, et file directement au morceau de choix.
"Comprendre".


Un chapeau "Comprendre" c'est rassurant.

Que ce "Comprendre" fasse référence aux "principes de la dynamisation" présage d'éléments objectifs, explicatifs, rationnels. Ce que, d'ordinaire, on aborde lorsqu'il s'agit de faire comprendre.
Le moins que je puisse dire est que c'est raté car que nous dit-on à propos de ce qui est présenté comme "l'un des fondements de la biodynamie" ?




- "le principe est similaire à l'homéopathie"

Ben non. Ou alors vraiment de très très loin !
Au delà des réserves que l'on peut avoir sur l'homéopathie on devrait au moins être d'accord sur son principe, qui est le suivant : "
Similia similibus curentur". Rien à voir avec la biodynamie ou la dynamisation.
Le mode de préparation n'a, non plus, pas grand chose à voir avec la dynamisation des biodynamistes puisque les préparations homéopathiques sont issues de dilutions infinitésimales qui, entre chaque étape de dilution, sont énergiquement secouées.
En homéopathie, pas question de vortex et autre revendication de ce genre : il s'agirait uniquement de reproduire une observation de Hahnemann qui se déplaçait à cheval et aurait ainsi constaté que les secousses subies par ses préparations les rendaient plus efficaces.


- "créant ainsi un vortex"
Ouais, stu veux.
Mettons que cela crée un vortex. Pourquoi pas ?
And so what ?
Note à benêts : à ce compte là chaque fois que je tire la chasse je crée un vortex. Que faut-il en conclure ?
- "Ainsi mélangée l'eau va emmagasiner les informations contenues dans les plantes et les minéraux dilués."
Y a du boulot ...
Si l'on s'intéresse à l'une des préparations phare de la biodynamie, la P501 ou "silice de corne" ("qui
permet une meilleure relation avec la périphérie cosmique, avec le cosmos tout entier".) on se rend compte (par exemple chez Demeter) qu'il s'agit de quartz pulvérisé mis dans de l'eau. Pas de bol : dans ces conditions le quartz est insoluble. Puisque ce n'est pas une solution, pas question de dilution.
En outre, sérieusement ? "l'eau va emmagasiner les informations" ? La RVF nous sert cette vieille histoire de la mémoire de l'eau ? C'est une blague ? Ils ont dû boire, et pas que de l'eau!

Tiens j'ai pondu un billet sur le sujet il y a un bail. Il est juste là.
- "La dynamisation va en concentrer les effets". 
J'évoquais tout à l'heure le vortex que je fais régulièrement en tirant la chasse. Ca fout salement la trouille. Heureusement : l'eau semble avoir une mémoire très sélective. 

Je saute le chapeau "Eclairage" qui chapeaute "Le vin nature en dix questions" pour n'en retenir que la fin très éclairante : les vins nature peuvent présenter certains défauts mais il ne faut pas en avoir peur.

"certains ne sont que passagers."
.../...

"Enfin, il faut nuancer ici la signification du mot "défaut" à l'aune de l'équilibre général du vin et de la sensibilité de chacun : une oxydation raisonnable peut par exemple être appréciée par nombre de dégustateurs."


En résumé : les défauts ce n'est pas grave puisque certains ne les sentent pas et que d'autres aiment çà.

Et c'est la Revue du Vin de France qui écrit çà ?
Super les mecs ...


Alors v
oilà :

"il faut surtout considérer le vin dans son ensemble".
De toute évidence il faut avant tout considérer sa chapelle d'origine !
Autrement dit : un vin
complètement tordu (aka "riche d'aspérités") se revendiquant de la Nature ou la Biodynamie (idéalement les deux simultanément) mènera inévitablement à un gros panard de la mort qui tue, alors qu'un vin parfait ne pouvant présenter aucun de ces saufs conduits sera rejeté par la patrouille car forcément chiant comme la pluie un soir d'automne.

De qui se moque-t'on ?
Un vin chargé en volatile, en Brettanomyces, en goût de souris, en éthanal, oxydé (liste non exaustive) raconte en effet beaucoup de choses.
Il raconte que ce vin ("nature" ou pas) est parti en vrille, cela raconte également les longues œillères idéologiques de critiques et journalistes censés informer et guider le consommateur et qui pourtant disent "ce n'est pas grave, car ce vin est riche d'aspérités". Oui : ceux là même qui nous annoncent ici, sans broncher, que leur Revue est passée de la défense et la promotion des Vins de France à celle des Vins Foireux.

Ce Hors-Série c'est un peu "les Misérables" transcrit dans le monde du vin, avec la RVF dans le rôle de Javert. Si ce n'est que lorsque Javert pense aux criminels, la RVF évoque les vins qui ne sont ni biod ni nature :

"Ceux-ci sont irrémédiablement perdus. Rien de bon ne peut en sortir"

Tiens ... puisque je fais des transpositions depuis le 19ème siècle jusqu'à l'époque actuelle je vais aller me relire le papier de Michel Bettane (édito d'En Magnum 15) qui, avec un parallèle musical, évoque les déviances de certains vins et ce qu'il est, parfois, de bon ton d'en penser.
C'est vachement bien ce qu'il écrit, Michel Bettane.
Enfin, vachement bien si on fait abstraction de Berlioz. Putain Berlioz ...

Mais il est vrai que, sur ce coup là, les troyens ont pris un tir ...





Non, si j'ai un conseil à donner à Michel BETTANE : c'est de ne rien changer côté vins mais de laisser tomber Berlioz pour aller faire un tour au festival de Sylvanès.
Cette année j'y assistais au concert de Canticum Nocum (Emmanuel Bardon) : c'était superbe (et il n'y avait pas de milicien).






 

Quels que soient les vins et les musiques qui nous font vibrer : gardons les yeux et les oreilles ouverts, le palais attentif et surtout gardons nous de ces aveuglements sélectifs. 
Quant aux cantiques entonnés par la RVF : j'attendrai que la mode change pour les écouter à nouveau.
Peut-être.





Commentaires

  1. Rigolo. Et tellement vrai. J'ai arrêté d'acheter la rvf depuis 5/6 ans apres 30 ans de lecture assidue.

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    1. Tout le monde ne partage pas votre point de vue, cher inconnu. Mais nous sommes au moins deux à rire de mes facéties. Merci !

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