Le carbamate d'éthyle et le vin : revue de littérature.

Ce billet s'inscrit dans la lignée de ceux que j'annonçais dans : "les roquets aboient et la Master Class passe". Il fait donc suite à : "Les amines biogènes et le vin : revue de littérature".

 



Le CIRC a classé le Carbamate d'éthyle parmi les cancérigènes du groupe 2A (= probablement cancérogènes pour l'Homme). Il y voisine avec des composés autrement plus connus, je pense par exemple au Glyphosate, aux Stéroïdes anabolisants ou au DDT.

Est-ce à dire qu'il y a du carbamate d'éthyle dans le vin, donc un cancérigène, et que personne ne s'est jamais soucié de faire pisser quiconque pour le vérifier ?
Il semblerait que oui.
Il faut dire que le carbamate d'éthyle peut se former, tout à fait naturellement, lors de la fermentation des aliments et des boissons puis (surtout) au cours de leur élevage et leur conservation.
Attention : peut se former ne veut pas dire qu'il se forme systématiquement.
Il me semble donc intéressant de se pencher sur le sujet.


Le carbamate d'éthyle (aussi appelé uréthane) se trouve donc dans le vin, cependant sa présence est particulièrement importante dans les boissons alcoolisées à base de fruits à noyau.

Mais on en trouve également dans la bière, le whisky, la sauce soja et même dans le pain.
Autrement dit : c'est un constituant naturel de la plupart des boissons et aliments fermentés, et ce pour des teneurs de l'ordre du g/l ou g/kg. Ce n'est donc pas négligeable.
J'ajoute que c'est aussi un composant naturel des feuilles de tabac, et qu'on le retrouve donc dans la fumée des produits du tabac.


Dans le vin il apparaît pour l'essentiel lors de la conservation, et ce du fait de réactions entre l'éthanol du vin et certains des composés qui sont également présents.
L'urée et la citrulline (un acide aminé) ont été identifiées comme ses deux principaux précurseurs. Elles se forment à partir d'arginine (un autre acide aminé) sous l'action de levures et de bactéries.
L'action des levures est, de ce point de vue, fonction de la composition azotée du moût qu'elles fermentent (en particulier ses teneurs en azote ammoniacal et en arginine). Il y a donc un effet du cépage, du millésime, et des pratiques culturales.
Ainsi, la fertilisation azotée de la vigne pourrait tendre à enrichir le moût en arginine et, de ce fait, risquer d'augmenter la production d'urée.
Du côté des bactéries, il y a des variations importantes selon les bactéries concernées. Ceci dit : la Fermentation MaloLactique générant de la citrulline, cette étape pourrait également permettre une augmentation de la teneur du vin en urée. En particulier si, après Fermentation Alcoolique, il reste de l'arginine à disposition des bactéries.
Enfin : la température de conservation du vin influe sur la vitesse de formation de l'urée. De ce point de vue là aussi : il vaut mieux conserver son vin à basse température.

S'il n'y a pas, à ce jour, de contrainte réglementaire dans le vin, le Canada et les États-Unis ont défini des teneurs maximales respectives de 30 et 15 µg de carbamate d'éthyle/L.
En outre l'OIV « recommande aux Etats membres de […] suivre toutes les pratiques appropriées pour minimiser la formation du carbamate d'éthyle ».
Pour les eaux-de-vie, le Canada a fixé une limite maximale de 400 µg / l.
Enfin, certains acheteurs ont donc d'ores et déjà intégré une teneur maximale en carbamate d'éthyle à leurs cahiers des charges.

En France, que nous dit l'ANSES ?
Un document est disponible en ligne. On y apprend par exemple que

"l’EFSA en a conclu que le CE dans les boissons alcoolisées constituait une préoccupation sanitaire et a recommandé la mise en place de mesures pour limiter au maximum la teneur en CE dans les eaux-de-vie de fruits à noyaux, sans toutefois proposer de limite maximale réglementaire"

et que :

"En 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a révisé sa précédente évaluation (2B) datant de 1974 en 2A3. Compte tenu de l’attention portée au niveau international sur le CE et de l’évolution des connaissances à son sujet, il est suggéré de retenir ce danger jusqu’à ce que les moyens de maîtrise aient fait preuve de leur efficacité, notamment en ce qui concerne les eaux-de-vie."


Par ailleurs une étude relativement récente ("Etude du carbamate d'éthyle dans les vins", Thèse de Marie-Claire Ingargiola, soutenue à Bordeaux en 1992) nous apprend que :

"Dans l'ensemble des 1 800 vins analysés, représentatifs de la production française, il apparaît que seuls les vins septentrionaux peuvent contenir des doses de carbamate d'éthyle non négligeables. Parmi les vins commerciaux, seulement 1% des vins blancs et 3% des vins rouges dépassent le seuil limite de 30µg/l pour l'exportation au Canada. "


En outre nous apprenons que, en ce qui concerne les vins : "l'urée est responsable de la formation des 2/3 du carbamate d'éthyle".

Or, ici aussi, le meilleur moyen d'éviter d'avoir un produit indésirable dans le vin, en l'occurrence du carbamate d'éthyle, est de s'assurer qu'il ne s'en forme pas.
C'est la raison pour laquelle l'utilisation d'uréase (une enzyme produite grâce à l'action de Lactobacillus fermentum) a récemment été autorisée.
Sur ce sujet voir la fiche "Uréase" du Code international des pratiques œnologiques.
L'application au vin étant clairement définie par le Codex œnologique international :


"L’uréase doit être incorporée et mélangée soigneusement dans les vins destinés à un vieillissement supérieur à 1 an s’ils contiennent plus de 3 mg/l d’urée. Les doses d’utilisation seront de 25 mg/l à 75 mg/l, en fonction des tests réalisés au préalable.


L’action s’effectue en moins de 4 semaines à température supérieure à 15 °C et lorsque les ions fluorures sont en quantité inférieure à 1 mg/l.


Après diminution notable de l’urée, par exemple à moins de 1 mg/l, toute activité enzymatique est éliminée par filtration du vin (diamètre des pores inférieur à 1 μm)"

Autrement dit, si - et seulement si - le taux d'urée dans le vin fait craindre qu'au cours temps il puisse se former une quantité problématique de carbamate d'éthyle, alors il est possible d'utiliser de l'uréase.
L'utilisation de cette enzyme ayant pour objet de diminuer le taux d'urée dans le vin et ce jusqu'à une valeur acceptable, donc de limiter (voire empêcher) la formation ultérieure de carbamate d'éthyle.


Petites remarques aux habituels pénibles qui me cherchent assez régulièrement des poux sur la tête quand j'en viens aux biotechnologies et, plus généralement, aux produits œnologiques :
- je n'ai à ce jour pas vendu le moindre gramme d'uréase, et ne vois pas de raison pour laquelle cela changerait. En outre, la situation serait-elle différente que cela ne pourrait rien modifier de ce qui précède. On est donc instamment (et je le crains inutilement) prié d'éviter de me faire l'habituel procès sur le thème : "Fuster fait rien qu'à préserver son chiffre d'affaire, d'ailleurs y a que çà qui l'intéresse".
- l'uréase n'est pas un additif puisqu'il est prévu qu'elle soit éliminée du vin. C'est donc un auxiliaire. Et ce n'est pas la même chose. Mais l'uréase est un intrant oenologique.
- c’est un intrant, un truc exogène en -ase (ce qui fait super peur) ... qui a pour effet d'éliminer un composé parfaitement naturel et parfaitement toxique. Autant que le glyphosate, c'est dire !
Je sais : tout ceci est extrêmement contrariant puisque ça oblige à se poser des questions sur la Nature qui est forcément bonne, comme chacun sait.

 
 
Pour aller plus loin on peut par exemple s'intéresser à :
- ce document de la commission du Codex alimentarius (FAO / OMS) qui se penche sur le carbamate d'éthyle,
- ce poster présentant les conséquences de certaines contaminations bactériennes sur les risques d'augmentation de la teneur en carbamate d'éthyle,
- la thèse de Julia Capitanio : "Compréhension des mécanismes de formation du carbamate d'éthyle dans les vins de champagne : Cépage, fermentations, vieillissement", soutenue en 2007.

Les anglophones peuvent aussi consulter :
- Ethyl Carbamate in Fermented Beverages : Presence, Analytical Chemistry, FormationMechanism, and Mitigation Proposal


A suivre ...

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