Dans le dernier numéro de la Revue des Œnologues (n°303, Janvier 2021) on trouvera de nombreux articles d'intérêt.
Le premier d'entre eux est écrit par Hervé Alexandre (Institut Universitaire de la Vigne et du Vin, à Dijon).
Le même Hervé Alexandre que celui qui a signé, avec Jordi Ballester, le réjouissant : "Petit traité de mythologie œnologique" dont il faudra bien qu'un jour je parle sur ce blog.
Cet article ("Levure de terroir : le serpent de mer œnologique") répond de façon argumentée à l'une des figures imposées par divers commentateurs, sur laquelle je suis maintes fois revenu ici : le postulat qui voudrait que les levures présentes en une vigne donnée à un moment donné soient, de par le fait de cette présence, caractéristiques du terroir qui les abrite et, partant, du vin qui sera élaboré ... dès lors que l'on n'aura pas recours aux levures sélectionnées.
Sans trop spoiler que nous dit Hervé dans ce joli papier à l'abondante bibliographie ?
En résumé :
- que l'on peut en effet considérer que telle ou telle population de levures est, à un moment donné, caractéristique du terroir qui l'abrite,
- mais que la diversité microbienne du moût n'est pas représentative de celle des baies (en particulier quand on descend au niveau qui importe vraiment : celui de la souche et non pas du genre),
- qu'en outre il y a une forte variabilité intra-parcellaire ... mais aussi au cours du temps (= rien n'indique que le terroir microbien ait une quelconque stabilité dans le temps),
- et que, surtout, nous ne disposons d'aucun élément attestant que ces diversités de consortiums microbiens sont de quelque façon que ce soit reliées à l'expression des "vins de terroir".
Autrement dit, ainsi que je m'échine à le répéter depuis belle lurette : le fait qu'une levure soit à un moment donné en un lieu donné n'en fait pas de facto le micro organisme le mieux adapté à révéler ce que nous définissons, culturellement, comme l'expression du terroir concerné.
Je ne suis pas naïf et je sais bien que ce papier, aussi intéressant et étayé soit-il, ne changera pas la donne.
Ma récente intervention auprès des étudiants en première année de Diplôme National d’Œnologue (à Toulouse) en attesterait, s'il en était besoin.
Les charges (de préférence foireuses) contre les levures sélectionnées dites Levures Sèches Actives (dès 2003 je proposais, en vain, de plutôt les qualifier de Levures Naturelles Sélectionnées (André Fuster, "Une histoire des levures œnologiques", 2003,
Revue Française d'Œnologie, n°201, pp. 22-23)) vont donc se poursuivre et, de ce fait, me permettre de produire tel ou tel billet sur ce blog.
C'est assez amusant cette fixette sur les levures sélectionnées.
Dans le même temps il se passe des choses qui me semblent bien plus à même de provoquer des questionnements et pourtant personne en les évoque.
Oui, oui, même en ce qui concerne les levures.
J'en viens donc aux Frankenmyces évoquées dans le titre de ce billet.
Au delà des levures œnologiques génétiquement modifiées que j'évoquais ici il y a bien longtemps, d'autres projets sont en effet dans les tiroirs.
Proches du "Frankenstein ou le Prométhée moderne" de Mary Shelley elles ouvrent les mêmes perspectives et posent les mêmes questions : l'essence de la vie, la création, la transgression et les savoirs interdits.
Ou, pour le dire autrement : les intentions les plus louables menant aux projets les plus nobles sont-elles une garantie suffisante lorsqu'on en vient aux résultats et à leurs conséquences ?
Je fais ici référence à divers travaux relativement récents qui sont associés à Sakkie Pretorius (il y a fort longtemps, dans une autre vie, je l'avais rencontré alors qu'il officiait encore à Stellenbosch - très jolie petite ville - et ce fut passionnant).
Sakkie Pretorius est entre autre chose l'auteur d'intéressants papiers se penchant sur les OGM en œnologie.
Il est aussi (surtout ?) le promoteur d'une levure œnologique construite sur mesure.
Oui : construite.
Car si Saccharomyces cerevisiae est normalement dotée de 16 chromosomes, la sienne en a 17 !
Ça change quoi ?
Ça change que ce 17ème chromosome lui a été ajouté.
Et que ce chromosome supplémentaire est un chromosome de synthèse sur lequel se trouvent des gènes eux aussi synthétiques. Des gènes qui permettent à la levure de cracher du 4- (4hydroxyphenyl) butane-2-one à partir de phénylalanine, un acide aminé naturellement présent dans le moût et le vin.
Nota : le 4- (4hydroxyphenyl) butane-2-one est une molécule qui type pour la framboise.
Ceci n'est qu'une première étape.
Le but final est la Frankenmyces : l'élaboration "from the scratch", de levures œnologiques totalement synthétiques.
Ce projet, Sakkie Pretorius l'a présenté à de multiples reprises. Par exemple au cours de la conférence - bien sur passionnante - à laquelle j'ai assisté lors de MicroWine (Bordeaux, Juin 2018).
On en apprendra plus en suivant ce lien.
Extrait :
"Designing and building the world’s first synthetic yeast genome is set to deliver a significant “step change” in “synthetic genomics” as a sub-field of Synthetic Biology. A consortium of a dozen laboratories from five countries – the USA, UK, Australia, China, and Singapore – has embarked on a collaborative project aimed at the synthesis of the entire genome of a haploid laboratory strain (S288c) of S. cerevisiae by 2018 (Figure 12). The goals of the Sc2.0 project include answering a broad spectrum of “profound questions about fundamental properties of chromosomes, genome organization, gene content, function of RNA splicing, the extent to which small RNAs play a role in yeast biology, the distinction between prokaryotes and eukaryotes, and questions relating to genome structure and evolution” while recognizing that “the eventual ‘synthetic yeast’ being designed and refined could ultimately play an important practical role”"
www.syntheticyeast.org
Ce projet est, d'un point de vue scientifique, impressionnant autant que passionnant.
De mon point de vue il pose aussi, surtout, quelques questions éthiques qui ne sont pas marginales (doux euphémisme).
Pendant ce temps, les petits Mickeys des réseaux sociaux continuent à nous bassiner avec les Levures Naturelles Sélectionnées qui, selon eux, masquent - voire tuent - le terroir et dont il serait vital de mentionner l'utilisation sur les étiquettes de vin.
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