Le vin rosé : quelques siècles en terrasse


Selon le Chevalier de Plaigne qui cite Théopompe de Chios (l'auteur des Helléniques et des Philippiques) :
"Théopompe assure que ce fut Oenoppion, fils de Bacchus, qui apprit aux habitant de Chios à cultiver la vigne ; que ce fut dans cette île que se but le premier vin rosé, et que ses habitants montrèrent à leurs voisins la manière de faire le bon vin.".

S'ensuit la description du procédé de vinification contemporain de de Plaigne qui précise que :
"la manière avec laquelle les Sciotes modernes font le vin qu'ils cultivent sur leurs coteaux peut servir à montrer quels furent les procédés qu'employaient leurs ancêtres sur le même sujet."
Cet extrait de son "L'art de faire, d'améliorer et de conserver les vins ou le parfait vigneron" (il s'agit de la seconde édition, parue en 1782) est la première mention technique concernant le vin rosé que j'ai trouvée dans les ouvrages actuellement en ma possession.
Si l'un de mes lecteurs en connaît d'autres, antérieures, je suis preneur. Car en l'état actuel de mes connaissances, il semble que ces références existent : le premier vin rosé - et non pas clairet - français aurait été vinifié et nommé comme tel en 1682 (soit un siècle avant la publication du livre de de Plaigne), à Argenteuil.
Mais sans doute est-ce encore antérieur puisque Richelet parle déjà de vin rosé dans son "Dictionnaire François, contenant les mots et les choses, ..." paru en 1680.

"VIN
Liqueur qui sort des raisins. [Vin clairet, paillet, rouge, rosé, blanc, couvert, délicieux, bon vin, méchant vin. Vin vert. Vin dur. Vin français. Vin étranger. Vin de deux feuilles, vin de trois feuilles, vin de quatre feuilles. C'est à dire vin de 2 ans, vin de 3 ans & de 4 ans. .../... Vin de mère goute.]"

Quoiqu'il en soit de la primeur française, dès l'Antiquité les premiers vins "rouges" semblent avoir été vinifiés en phase liquide après foulage de la vendange. Sans macération des parties solides, ou dans des proportions marginales, on comprend aisément qu'il en résultait le vinum clarum décrit par les romains.
Vinum clarum qui est donc l'ancêtre des clarets largement produits et consommés avant que Bordeaux, sous l'influence anglaise, ne passe au rouge.

Mais je reviens au rosé sensu stricto.

Dans le process décrit par de Plaigne on a d'abord un pressurage direct à la vigne, dans une cuve ciment proportionnée à la surface cultivée, puis un transfert du moût jusqu'à des jarres de terre cuite enterrées jusqu'au goulot.
La fermentation se fera là, sous un bouchon de plâtre.
Ensuite viennent diverses interventions ... dont une dilution du moût.
En outre, certains mêlent une partie de raisins blancs aux noirs afin d'améliorer la qualité finale du vin.

Sans doute y a-t'il là des éléments du bon vieux temps dont il conviendrait de s'inspirer.
Les jarres, c'est fait.
Alors après le crâne de chaton mignon cher aux biodynamistes (P505), je fonde pour ma part de grands espoirs sur le transport du mout en outres, probablement faites de peau de chèvre (ou de bouc, peut-être ?).
Le potentiel est énorme, tant dans la presse spécialisée que grand public, sans oublier certains blogs (de toute évidence à commencer par le mien) et salons :
"c'est incroyable d'enfin revenir à ce que faisaient nos ancêtres avant toute cette modernité délétère".
Attention toutefois, car si l'idée est brillante : malheureusement pour le label vegan ça risque être tendu.

Divers auteurs postérieurs, et sans doute moins inspirants, se sont également penchés sur la question :

- Dans son "Manuel du vigneron", dont je possède la seconde édition (1847) le Comte Odart se penche sur le cas des vins paillets ou clairets :


A propos de modernité délétère, il faut noter qu'il ne semble pas particulièrement enthousiasmé par l'évolution des techniques de vinification en rosé :
"Quoique j'aie lu avec beaucoup d'attention le travail le plus nouveau qui ait été fait sur les vins de Champagne, au nombre desquels l'auteur de ce travail, M. Pérard, n'a point oublié de comprendre les vins rosés, je ne me suis pas aperçu que la fabrication de cette dernière sorte de vin eût fait le moindre progrès depuis l'époque où écrivait l'auteur champenois que j'ai cité. Je serais même porté à croire qu'on a suivi une marche inverse, à moins toutefois qu'on ne considère comme un progrès le moyen de leur donner une teinte rose plus prononcée et plus tenace, par l'addition d'un petite partie de vin de Fismes : c'est une liqueur tirée des baies de sureau, qu'on fait bouillir avec de la crème de tartre, et qu'on passe au filtre. On en met environ deux litres par pièce de 220 bouteilles. La couleur en devient plus vive et plus agréable à l’œil, elle se soutient plus longtemps, et l'emploi de cette liqueur, qui n'altère en rien le goût du vin, produit encore ce bon effet, dit M Julien, de l'empêcher de tourner à la graisse.".
 
- en 1801, dans l'édition originale de son : "L'Art de faire, gouverner et perfectionner les vins" Chaptal (qui ne s'est pas intéressé au seul sucre de betterave !) dit ce qu'il en est de la couleur du vin :




- Dans « Culture de la vigne et vinification » (édition originale en 1860. Mais je cite et reproduis ici la seconde, qui date de 1861) Jules Guyot fait le ménage dans la terminologie et pose certaines bases techniques :
".../...mais le moment est venu de dire qu'avant de produire des vins rouges, la cuvaison donne naissance à des vins qui n'ont plus le caractère stimulant et diffusible des vins blancs, et qui n'ont pas encore la dureté et l'austérité des vins rouges. Ces vins sont à la fois agréables et salutaires ; je les désignerai sous le nom de vins rosés, comprenant désormais sous cette seule dénomination, qui les représente mieux, tous les vins baptisés des noms bizarres de vin gris, oeil-de-perdrix, pelure d'oignon, paillets, etc .
Qu'est-ce que les vins rosés ? Les vins rosés sont les vins tirés de la cuve après vingt-quatre ou quarante huit heures de cuvaison, selon que la fermentation est plus ou moins active, par suite d'une maturité plus ou moins grande des raisins et une température atmosphérique plus ou moins élevée
".
S'ensuit le topo technique que voici :



Mais qu'en est-il de nos terroirs à rosé ?
Selon le "Topographie de tous les vignobles connus" (A. Jullien) dont je possède la 4ème édition (1848) : Tavel ne propose que des vins rouges (la mention, évoquée plus haut, qu'il fait du vin rosé se trouve dans son : "Manuel du sommelier, ou instruction pratique sur la manière de soigner les vins" (1822, pour la 3ème édition).
Tout au plus trouve-t'on trace (pas très flatteuse) d'un "Vin gris. Vin façon Tavel" chez Pasteur, dans son : "Études sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent, procédés nouveaux pour le conserver et pour le vieillir" (1866 pour l'édition originale) :





Et sinon, on boit quoi en terrasse ?





Depuis quelques années, mon rosé de l'été est Bordelais.
Il vient du Château La Capelle, à Arveyres, chez Olivier Feyzeau.
A 5.25 € la bouteille, c'est totalement indolore ! surtout pour un joli vin rose clair qui type petits fruits rouges (en particulier groseille) et se boit frais sur une vivacité de bon aloi, calmée par un agréable volume en bouche.

Cette année la première bouteille a été vidée sur la terrasse utilement végétalisée de Leslie et Sylvain, avec le toujours très réussi saumon gravadlax de Sylvain.
Et c'était bien.



Comme toujours :
- les livres photographiés font partie de ma collection personnelle, j'en copierai telle ou telle partie pour qui en ferait la demande,
- livres et photos m'appartiennent. Les photos sont pourries, mais elles ne sont pas libre de droits.



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