2021 ? c'est un millésime de vigneron



Un billet sur les primeurs 2021 à Bordeaux ?
J'arrive bien tard.
Bien tôt aussi, puisque les vins sont encore loin d'être livrables.

La "semaine des primeurs", j'y participe de moins en moins.
Il faut dire que je me sens de moins en moins concerné : en 2020 je faisais mes achats "en primeur" en me disant que ce serait la dernière fois.
2021 m'a vu tenir cette promesse.
C'est que j'aime beaucoup les rouges bordelais avec quelques années de bouteille.
Tiens : il y a un mois je buvais et faisais boire le 2012 du Clos Manou, en magnum. Et ce vin était remarquablement bon, encore que toujours d'une insigne jeunesse.
J'en ouvrirai à nouveau dans un an. Et, dans un an, me dirai à nouveau que malgré sa qualité du moment il pouvait bien attendre encore, et y aurait encore gagné.
Alors quoi ? un horizon de 15 ans sous verre ? Minimum ?
Ça semble raisonnable.
Or j'ai passé 60 ans. Quel sens y aurait-il donc à acheter des vins aujourd'hui pour les boire à 80 ans, à la paille avec une purée et un steack haché menu ?
Enthousiasmante perspective ...

Dès lors je vais plutôt boire (essayer de boire ...) ce qui vieillit tranquillement en cave. Et il y a de quoi faire. Quitte, le cas échéant, à acheter telle ou telle bouteille ouvrable et correspondant aux envies du moment que la cave ne saurait satisfaire.
Autrement dit : je manque de motivation pour écumer le vignoble afin de guider mes choix en primeurs pour un futur incertain.

Il n'empêche qu'en ce qui concerne 2021 j'ai un peu goûté et beaucoup lu. Et que ces deux activités ne sont pas toujours très raccord.

Bien sur nous avons eu droit à l’inénarrable :  "c'est un millésime de vigneron".
Comme à chaque fois où, à la vigne, çà a été une sorte de fête du string en mode course après le mildiou et telle ou telle autre vérole viticole.
On dit alors que : "c'est un millésime de vigneron".
Probablement au cas ou certains auraient pu croire que finalement c'était plutôt un millésime de physicien nucléaire, de plombier ou de petit rat de l'opéra (récemment on parle aussi de surmulot).
Bien sur aussi nous avons eu droit aux habituelles notes qui devraient désigner l'exception mais qui sont pourtant devenues la norme.
Car si au printemps 2022 on met allègrement des 95 et plus aux vins de 2021, il va falloir m'expliquer combien on doit mettre aux 2020 !?

Une note, c'est (ce devrait être) un chiffre froidement objectif qui sent bon le barème calibré aux petits oignons.
Une note c'est la mathématique traduisant fidèlement le ressenti des papilles.
Une note dit ce qui est et, ainsi, permet les classements et les comparaisons.

Quel que soit le millésime, une note identique indiquerait une qualité identique ? Au vu de l'actualité recente, on me permettra d'en douter.
Ou alors c'est que la
note est donnée avec cette approche désolante : "dans le contexte du millésime".
Car c'est un bon gros foutage de gueule ce : "dans le contexte du millésime", quand on l'associe à un chiffre qui donne une valeur précisément étalonnée sur 20 ou 100 ... mais selon un référentiel éminemment variable. Comment croire qu'un 95 de 2013 a la même valeur qu'une note identique en 2016 !?
(Pour ce qui me concerne j'ai contourné la difficulté en ne mettant pas de note ce qui m'est, il est vrai, facilité par le fait que tant mes notes que mes commentaires : tout le monde s'en contrefout).
Oui, je serais vraiment curieux de connaître les barêmes de certaines notes (sans vouloir en remettre une couche sur un récent débat qui piqua un peu).

Tiens, gagnez du temps et à propos de 2021 et de ses notes, allez donc lire ce billet de Nicolas de Rouyn : "Grosses notes et commentaires automatiques".
Puis poussez donc jusque chez Daniel Sériot, toujours très précis lorsqu'il s'intéresse à ce qui a fait un millésime (sa climatologie, y compris en 2021) puis aux conséquences que cela a sur les vins, leurs qualités ... et les notes qui en découlent (pas sur qu'il y ait des tas de 95, chez Daniel ...).

Pour ma part, ce que j'ai goûté était pour le moins très hétérogène, et ce quelle que soit la zone et la typologie des vins (et ce que je dis ici de la qualité des vins, est aussi valable pour leur quantité ...).

Vous l'aurez compris : goûter des vins en primeurs est un exercice de style en mode équilibriste les yeux bandés.
Et moi, c'est justement l'équilibre auquel je suis attentif. L'équilibre, l'harmonie, la qualité des tanins, la maturité et bien sur les éventuels défauts.
Les yeux bandés ?
Oui car comment savoir ce que l'on goûte, ce que sont les choix des producteurs ?
Cet assemblage "en primeur" sera-t'il le même que celui du livrable ? comment être sûr, en avril, de ce que seront les choix faits à l'issue du chemin !?
Car les enjeux sont énormes.
Alors les risques sont forts de goûter ce qui se goûte bien à ce moment là (ne serait ce que pour cause de malo tardive certaines cuves ne sont tout simplement pas prêtes !) et qui a éventuellement pû être arrangé (ah les joies du bicarbonate de potassium, de la gomme arabique et autres polysaccharides levuriens !) !
Voire même de goûter les parcelles récoltées et vinifiées pour faire un bel échantillon primeur "aux petits oignons".
Car il faut tout à la fois assurer l'expression du millésime - quoique cela puisse vouloir dire - mais aussi du terroir - même remarque - et du Domaine ... avec un vin qui se présente bien au moment de la semaine des primeurs - quelque soit le plaiais qui le goûte et les bouteilles qui voisinent - tout en présageant d'un futur glorieux.

Cette année j'ai un peu goûté.
A droite et à gauche. Je parle des rives bordelaises.
Au centre aussi.

De cet échantillon très aléatoire et pas du tout exhaustif je retiens quelques bouteilles sympathiques, voire bien plus que sympathiques.

Le château de l'Hospital, un vin de Graves.
Rond, fruité, charmeur, de bel équilibre. Une très jolie bouteille de fruit et de plaisir sur laquelle on n'a visiblement pas essayé de faire trop mais de faire juste. Et on y est parfaitement bien arrivé.
Belle bouteille.
En blanc sec comme liquoreux j'ai eu du mal. Beaucoup.
Mais avec de belles réussites, parfois.
C'est le cas avec ce très joli "Clos Floridène" (et pourtant mes relations avec D Dubourdieu étaient loin d'être cordiales).
Un très beau Grand Vin de Reignac (le Blanc de Reignac est toujours aussi bon. Récemment apprécié un tout à fait remarquable "Blanc de Reignac" 2015 !).
L'aromatique est plaisante, complexe, précise. Jolie matière, aux tanins de qualité et, là aussi, à l'aromatique avenante. Finale un rien sérieuse, mais sans dureté.

A côté un voisin de compétition : Bon Pasteur ! Que dire sinon que c'est superbe et qu'avec le temps ce vin le deviendra encore plus. Très belle bouche, remarquable longueur, tout en harmonie. Très belle bouteille.
Si je ne me retenais pas je mettrais bien 95/100.


Quelques Fronsac, avec un joli Dalem et un très beau Fontenil.
Pour ce dernier : toujours ce nez d'une rare élégance avec ses notes florales et fruitées. Bouche harmonieuse, équilibrée, élégante et longue.
Belle réussite !






A Sauternes, 2021 ce n'est pas la fête.
J'ai pourtant goûté un joli Clos Haut-Peyraguey.




Clos Haut-Peyraguey
Aromatique exemplaire, belle bouche par son équilibre et son aromatique. Bel équilibre en bouche, agréable amplitude mais qui ne conviendra sans doute pas aux amateurs d'extrêmes. Vin long et très plaisant. J'avoue que j'aime bien ce genre d'équilibre et d'expression. Y compris "dans le contexte du millésime" ...






Après la semaine des primeurs, j'ai goûté les 2021 de Françoise et Stéphane Dief.
Le jour où ils rateront un vin, c'est que le Médoc aura vraiment souffert.
Clos Manou 2021 (grosse majorité de Cabernet sauvignon, cette année), est un très beau vin ... marqué par le Cabernet sauvignon ... mûr. Bien construit et bien élevé (
au Clos Manou
l'élevage continue à évoluer et s'affiner, et les résultats sont enthousiasmants). Equilibre irréprochable. Belle finale.



De l'autre côté de la rivière, on pourra (on devra) aller du côté de ce si beau Lynsolence !
2021 est mûr, plein, dense et bien balancé. Aromatique et construction irréprochables. Elevage au cordeau.
Top !

Allez, ne perdons pas de temps avec les quelques autres bouteilles qui, pourtant, auraient mérité d'être au moins mentionnées : je le disais dès l'entame, j'aime les vins accomplis, assagis et complexifiés par le temps.
Ces vins qui me font oublier les promesses des perdreaux de l'année, lors de la semaine des primeurs il y en eut !
C'étaient des "Vins de France".




Le Blanc de Fontenil (2020)
(et ses 12% de Chardonnay)

Il se trouve que j'en ai (un peu) en cave, mais pas ce millésime. En outre je ne refuse pas d'en boire ailleurs qu'à la maison.
Il faut dire que ce vin (de France) se présente bien tant à l'oeil qu'au nez : folle complexité ! On passerait bien la moitié du repas à traquer ces arômes multiples et stimulants !
La bouche est merveilleuse. Incroyable élégance, amplitude, volume et tension et bien sur là aussi ce foisonnement floral, fruité, épicé, ...
Forcément d'une longueur extrême.
Ce vin est magnifique.


 

Le Défi de Fontenil (2005)
Mais non c'est pas un 2005, c'est bien trop jeune.
Ben si, c'est un 2005.
Et un très réussi.
Toujours jeune, donc. Et ce tant au nez qu'en bouche !
Il y a juste que l'élevage s'est fondu, amenant un surcroit de complexité et d'harmonie.
Finale de compétition.
Grande bouteille et grand moment !
(pour la note on fait comment ? parce que là, y a du vin, quand même ... alors les 95 et plus de 2021, il va falloir sérieusement les calibrer !).

 
 

C'est un Vin de Table
Car c'est un Pomerol Hermitagé, ou un Hermitage Pomerolé ... va savoir ?

Ce qui est sur c'est qu'on est en 2005 avec une moitié de Merlot (Le Bon Pasteur) et l'autre moitié de Syrah (l'Ermite).
 

Le genre de vin que je n'avais jamais goûté et ne goûterai jamais plus.
Ce côté expérience unique mis à part, reste que le registre olfactif amène ailleurs, on ne sait pas trop où ... sauf que c'est beau.
Bouche ample, solide, dense mais qui fait dans la dentelle. Beau fruit d'une étonnante jeunesse, longue finale aromatique portée et tenue par une fraîcheur bienvenue.
Ce vin, comme le précédent a un remarquable potentiel de vieillissement.


On se retrouve en 2022 ?
J'espère un millésime de marin au long cours.





Commentaires

  1. Comme nous avons eu la chance de goûter ensemble quelques vins en primeurs, je partage ton analyse, et chez moi les 95 sont la borne haute de l'intervalle pour peu de vins qui seront revus en bouteille. DS

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