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Les poudres de perlimpinpin



Il arrive que tel ou tel de mes honorables correspondants me fasse suivre un article en mode : "as tu vu et lu ? qu'en penses tu ?"
La semaine est faste puisque j'en ai reçu deux.
L'un s'intéresse au "vin nature", l'autre aux levures.
Signé de ME Lacasse, c'est ce dernier qui m'occupera ici (je me pencherai ultérieurement sur les "vins nature").

La dernière fois qu'il m'a été donné de commenter un papier de ME Lacasse, il avait été publié par Le Figaro et (mal)traitait d'un sujet œnologique : le vin et ses défauts réels et supposés.
Cette fois ci c'est dans Libération.
On appréciera l'éclectisme des supports plus que la pertinence des affirmations.

L'article dont il s'agit est consultable en suivant ce lien.
Intitulé "Les "levures indigènes" décapées au désherbant" il semble s'inscrire dans une prometteuse série : "Chronique "Petit vocabulaire du vin"".

En soi, le titre est himalayesque.
Je ne vois en effet pas bien qui pourrait (ni pourquoi et comment) "décaper" des levures fermentaires au désherbant.
Mais n'anticipons pas.

Tout d'abord l'auteur (oui "auteur", pas "auteure". Sur ce point particulier : lire et relire Juliette Tournand) nous gratifie de désopilantes hypothèses historiques :

"Le vin a probablement été découvert de façon hasardeuse, quand une poignée de raisins abandonnée dans un coin chaud s’est transformée comme par magie en nectar magique."

Ben non.
Car je défie quiconque d'abandonner une poignée de raisins, même dans un coin chaud, et suite à cet abandon d'obtenir un nectar (magique ou pas).
 
"Car obtenir du vin de raisin (ou de rhubarbe, ou de poire, ou de n’importe quel aliment qui fermente) est relativement simple : en faisant macérer des raisins, les levures transforment le sucre contenu dans le jus en alcool et en gaz carbonique."
Ben non, le retour.
Car si la pensée magique est extrêmement confortable, malheureusement ce niveau de confort est inversement proportionnel à son efficacité réelle.
Il suffira à mes lecteurs de faire macérer des poires ou de la rhubarbe pour vérifier la véracité de ce qui précède. Pour ma part, je crains qu'ils n'obtiennent qu'un vieux truc moisi pouvant (très éventuellement) être vaguement alcoolisé (avec de la chance).

"Bon, en vrai, c’est un peu plus compliqué, long et tumultueux, d’où cette série «le petit vocabulaire» pour en éclairer les cryptes."
On appréciera à sa juste valeur ce salutaire, mais malheureusement fugace, retour à la raison en mode "c'est un peu plus compliqué".
Pourquoi passer tant de temps, de mots pour écrire ce dont on avoue immédiatement après qu'en fait c'est inexact.
Peut-être parce que ce faisant on imprime durablement une image qui, toute fausse qu'elle soit, renforce les idées préconçues ?
On pourra donc douter des lumières apportées par cet éclairage …
"Mais la plupart du temps, ces levures ont été décapées au désherbant ou à d’autres produits phytosanitaires dans les vignes, éliminant de fait et les maladies, et les bestioles, et les levures «indigènes»."
"La plupart du temps" ?
Sans déconner !? y a moyen de voir les études qui attestent de ce "la plupart du temps" !?
D'autant que j'ai du mal à concevoir qu'il puisse venir à l'idée du plus psychopathe des vignerons de pulvériser du désherbant sur ses baies de raisin qui, comme nous le dit ME Lacasse sont le support de prédilection des levures fermentaires.
Comme leur nom l'indique les désherbants sont utilisés sur les herbes, pour les éliminer. En aucun cas sur les raisins dans quelque but que ce soit, au risque d'y vitrifier les levures.
En revanche il est parfaitement exact qu'il y a pas mal d'années de cela, ceux qui se risquaient à faire un folpel tardif* pouvaient être confrontés à des départs en fermentation du genre hasardeux car le folpel est un fongicide et que, à ce titre, s'il est présent dans le mout il y éliminera les levures (aussi bien les gentilles levures indigènes que les méchantes levures sélectionnées car le folpel se moque éperdument de l’origine des champignons qu’il démonte).
Aujourd'hui des teneurs en cuivre (utilisé tant en bio qu'en conventionnel sous la forme "bouillie bordelaise") trop importantes peuvent considérablement gêner les bactéries permettant la fermentation malolactique, voire les levures fermentaires.

"Il faut donc en ajouter, sous forme de poudre magique, afin que la fermentation se fasse. Et le marché des levures industrielles, méconnu, est littéralement fascinant."
Ben non.
A nouveau.
Car comme je l'indique plus haut : s'il y a un fongicide qui élimine les levures indigènes, il fera subir le même sort aux levures sélectionnées qui ne sont pas une "poudre magique" mais des levures naturelles sélectionnées ici ou là, selon un cahier des charges prédéfini.
Donc intrinsèquement identiques aux levures indigènes.
Des lors si un fongicide est là, ajouter des levures serait fait en pure perte.
Ceci dit le marché des levures industrielles est en effet littéralement fascinant : c'est pourquoi j'y consacre ma vie (professionnelle) depuis plus de 20 ans.
Bien sur je regrette que ce mot : "industrielles" soit négativement connoté et vous ait un petit air de chimie lourde et pernicieuse ... qui brosse le tableau de fond de cet article.
Et permet donc l'arrivée du tant attendu : "
Poudre de perlimpinpin".

Rappelons que les levures œnologiques, levures naturelles sélectionnées, sont en effet présentées sous forme de poudre ... mais que cette "poudre" est constituée de levures lyophilisées.
Ce n'est donc pas une "poudre de perlimpinpin" mais plusieurs milliards d'êtres vivants, sous une forme d'attente, qui reprendront vie et activité après avoir été réhydratés.

"On trouve des levures spécifiques «vin rouge» ou «vin blanc» et même «grands crus» (!) qui «exaltent les caractères variétaux du cépage» (sic), comme si le travail du vigneron consistait à ajouter une petite poudre de perlimpinpin à son mélange…"
Je ne sais pas d'où vient la citation "
exaltent les caractères variétaux du cépage" mais force m'est de constater que ce peut être parfaitement exact et vérifiable.
Parfois.
Pour certains couples de cépages et de levures.
Et selon les choix techniques (tant à la vigne qu'au chai) du vigneron.
Donc s'il est évident pour tout le monde (ou devrait l'être) que le travail du vigneron ne consiste pas à "ajouter une poudre de perlimpinipin à son mélange", il n'en reste pas moins vrai que lorsque l'on en vient à telle ou telle caractéristique de tel ou tel cépage toutes les levures - indigènes comme sélectionnées - ne se valent pas.

Prenons l'exemple classique des arômes du Sauvignon blanc (tout particulièrement ses thiols variétaux) : sur des bases génétiques identiques le Sauvignon blanc s'exprimera différemment selon le terroir, le climat, les façons culturales, la date de récolte, le mode d'extraction des jus, l'élevage du vin ... mais aussi la conduite de la fermentation alcoolique avec, en premier lieu, les capacités de la levure fermentaire modulées par la façon dont cette dernière est nourrie.
 
 


"Certaines possèdent même un «facteur killer» (sic), c’est-à-dire qu’elles arrivent à s’implanter quelle que soit la population indigène présente, sans s’autodétruire mutuellement."
C'est parfaitement idiot car totalement inexact.
Le facteur killer est un fantasme, doublé d'un épouvantail.
Mes lecteurs qui souhaiteraient s’en convaincre peuvent aller lire un déjà vieux billet de ce blog.
 

"On soupire, et on se tourne plutôt vers les vignerons respectueux de leur terroir de leurs cépages et qui arrivent à produire des merveilles sans l’once d’un intrant ni levures achetées en commerce."
Au delà du fait que personne - et surtout pas moi - n'a jamais prétendu que les levures sélectionnées sont indispensables à l'obtention d'une merveille de vin respectant le terroir et le cépage (et que, dans le même temps, leur utilisation  n'entraîne pas irrémédiablement la négation du terroir et du cépage) ... on comprend enfin que ce long pensum n'était en fait qu'un publi rédactionnel en faveur du vin qui suit et coche les cases qui vont bien à ME Lacasse. Ce vin, ne l'ayant jamais goûté : je n'en parlerai pas. Et ce d’autant plus facilement que ce n’est pas le sujet. En effet il m’intéresse assez médiocrement, puisque je préfère m’en pencher sur le discours épouvantail qui accompagne sa promotion.
Car dans le papier que je commente, pourquoi ne pas juste dire que le vin est top, sans se sentir obligée de taper sur ce qui est différent ?
Quelle perte de temps. Quelle pauvreté argumentative. 


"La semaine prochaine : les cépages PIWI et le Brut Sans Nom d’Aurèle Morf" ?
 
J'ai hâte ...



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*Ajout du 30/09
Ainsi que Pasacal Chatonnet me le fait remarquer sur Linkedin :
"le folpel s'hydrolyse  en 24-48h au plus, donc à moins d'inoculer avant ce temps pas d'incidence. Et en outre pas d'intérêt d'appliquer tardivement sur vigne.
Par contre le captane est rémanent et stable dans le moût et pourrait être employé tardivement en cas d'oidium virulent ...
"

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