Sommeliers, concours des savoirs inutiles


 














 

 

Si j'en crois mon Lexis (édition de 1992) "sommelier" dérive de "saumalier" qui désignait la charge d'une bête de somme, et date des environs de 1250.
Puis vient "sommelier" qui, toujours selon le Lexis : "Au Moyen-Age, désignait l'officier affecté au transport, sur des sommiers, des objets qui suivaient le seigneur dans ses déplacements."
.

Dans cette même édition du Lexis, on trouve :
"Sommelier
1. (1316) Sous l'Ancien Régime, officier de bouche chargé de mettre le couvert et de préparer les vins.
2. (1812) Personne chargée du service des vins et des liqueurs dans un restaurant.
"

Le sommelier, au sens où nous le désignons aujourd'hui, daterait donc de 1812.

Sans compter les sommeliers du Lexis, sur mes étagères il y a quelques fameux sommeliers, ou du moins leurs livres.

Je pense en particulier à Nicolas Bidet dont je possède la très belle seconde édition (1752) du "Traité sur la nature et sur la culture de la vigne : sur le vin, la façon de le faire et la manière de bien gouverner. A l'usage des différents vignobles du Royaume de France".


Il fut le sommelier de la Reine Marie-Antoinette.
Bidet est contemporain de l'un de mes auteurs préférés : Maupin qui, lui, fut valet de chambre de la Reine Marie Leczinska et, surtout, un auteur prolifique mais qui penchait plus du côté de l'agronomie et l’œnologie que de la sommellerie.
J'en reparlerai bientôt, à propos de précision : le thème de la prochaine matinée (qui dure une journée entière) des œnologues de Bordeaux.




Mais aussi et surtout André Jullien, auteur de deux fameux ouvrages !

Tout d'abord :

- "Topographie de tous les vignobles connus, contenant : leur position géographique, l'indication du genre et de la qualité des produits de chaque cru, les lieux où se font les chargements et le principal commerce de vin, le nom et la capacité des tonneaux et des mesures en usage, les moyens de transport ordinairement employés, suivie d'une classification générale de vins".

Ce livre est une somme pour qui s'intéresse tant à l'état de la viticulture mondiale à l'époque pré phylloxérique qu'au classement des vins en général et à ceux de Bordeaux en particulier ... ou bien à toutes sortes de statistiques qui témoignent d'un travail colossal et d'une remarquable connaissance du monde viti vinicole d'alors.

 




L'autre ouvrage est celui qui m'intéresse plus particulièrement ici :

- "
Manuel du sommelier, ou instruction pratique sur la manière de soigner les vins"

L'auteur l'annonce :

''Témoin des pertes que le consommateur éprouve par la négligence qu'on apporte dans la direction de sa cave, j'ai pensé qu'il était utile de l'éclairer et de lui donner des moyens et des règles sûrs pour la conservation de ses vins, en lui indiquant en même temps les causes qui contribuent à les altérer. Tel est le but de cet ouvrage qu'on peut considérer comme un traité pratique''


Et pratique, il l'est !
Tant par ses planches que par ses écrits !



Car dans ce livre, Jullien aborde de façon précise et exhaustive les questions annoncées en sous-titre : "Instruction pratique sur la manière de soigner les vins contenant la Théorie de la Dégustation, de la Clarification, du Collage et de la Fermentation secondaire des vins, les moyens de prévenir leur altération et de les rétablir lorsqu'ils sont dégénérés ou naturellement défectueux, de distinguer les vins purs des vins mélangés, frelatés ou artificiels, etc."
C'est un vrai - et peut-être bien le premier - manuel de sommelier : concret, pratique, argumenté et (pour l'époque) exhaustif quand on en vient au vin et à ce qu'il est, a été ou peut devenir. Sans oublier d'aborder les défauts du vin (dont le fameux "goût de terroir", et comment s'en prémunir ou, à défaut, corriger ce qui doit l'être. Il s'agit aussi de définir ce qu'est la dégustation et comment on  doit l'aborder et la pratiquer.

Pour être complet, je dois ajouter que l'on retrouve André Jullien dans l'édition de 1808 de la "Bibliothèque physico-économique instructive et amusante à l'usage des villes et des campagnes".

 

C'est en effet dans cet ouvrage réjouissant (en ce qu'il fait le point sur des pans tant essentiels que très anecdotiques des avancées réelles ou supposées des sciences et techniques de l'époque). que Jullien présente puis, au fil de ses contributions, améliore son système permettant de transvaser le vin depuis une barrique afin de le mettre en bouteille sans perte qualitative.
Jullien associe donc savoir encyclopédique sur les terroirs de son époque et les vins qui en proviennent mais aussi sur la qualité des vins et sa protection.
Il aborde aussi, bien sur, la question des fraudes et falsifications.
En revanche on cherchera en vain ce qui a trait aux accords mets et vins, l'un des piliers de la sommellerie moderne.


On l'aura compris avec ce billet et bien d'autres qui sont sur ce blog : je m'intéresse beaucoup, et depuis longtemps, à l'Histoire de la vigne, du vin et de la vinification au travers des livres que j'arrive à acquérir, ici ou là, depuis plus de 20 ans.
Le sujet me passionne, même si je sais bien qu'il s'agit là d'accumuler des savoirs peut-être inutiles et qui me donnent une proximité fâcheuse avec ce cher François Pignon ?

Mais en matière de savoirs inutiles, il semble que je ne sois pas le seul à les accumuler voire à en faire l'apologie !
Je pense, on s'en sera douté, au récent concours du meilleur sommelier du monde qui s'est récemment tenu à Paris et à l'issue duquel la candidate française à calé au pied du podium.

Gilles Durand-Daguin ayant osé, dans "En Magnum" une revue qui m'est chère (merci encore, Nicolas de Rouyn !), le coup du letton en béton, il me prive d'un titre potentiel.
Il ne me reste donc qu'à préciser à mes lecteurs ignorant où se trouve la Lettonie que la lecture de Pietr-le-letton (paru en 1931, il s'agit du premier roman de Georges Simenon dans lequel on voit le Commissaire Maigret mener l'enquête) ne leur en donnera qu'une idée très approximative et que, en outre, on n'y boit que très peu de vin.
Au risque de spoiler le roman je précise que Pietr n'y finit pas "à l'américaine" (au fond de la mer, les pieds dans un bloc de béton) mais, plus prosaïquement, poignardé dans les toilettes d'un train. Le poignard n'était pas en laiton.


Trêve de digressions !
Je me suis procuré les questions posées aux quart de finalistes du dit concours.
Grand moment de solitude en forme de florilège :


Q5
Quels sont les croisements d'où sont issus des cépages aussi essentiels que le Diolinoir (cépage suisse qu'on m'accordera qu'il est plutôt anecdotique) ou l'Arnsburger (cépage allemand dont je ne suis pas totalement persuadé qu'il gagne beaucoup à être connu) ?


Q9
Quelle est la différence entre "l'effet Crabtree" et l'effet Pasteur" en production de vin ?



Cette question, Pierre Strehaiano - qui fut mon prof de microbiologie en première année de DNO - aurait légitimement pu nous la poser en fin de première année.
Mais il préféra une approche plus large et probablement plus utile afin de vérifier les aptitudes des embryons d’œnologues que nous étions alors (quelque chose comme "quels sont les moyens à disposition de l’œnologue pour s'assurer du bon déroulement des fermentations  ?").
Qu'il en soit remercié.
Pour ceux que çà intéresse (probablement bien peu de ceux qui me lisent et encore moins de ceux qui ne me lisent pas) disons juste et pour faire simple qu'il s'agit de deux facettes du métabolisme levurien : avec peu de sucres et en présence d'oxygène la levure produit de la biomasse (= elle se multiplie) - et c'est l'effet Pasteur, qui est recherché par les levuriers - alors qu'avec des quantités supérieures de sucres elle produit de l'alcool - c'est l'effet Crabtree -.


J'ai, comme il se doit, gardé le meilleur pour la fin :
Q2
L'infusion biodynamique 507 est basée sur ?



Le choix est judicieux, car la P507 est probablement la moins gore des préparations biodynamiques : on échappe en effet au mésentère de vache (P506), à la vessie de cerf (P502) et surtout - c'est évidemment ma préférée - au crâne de chaton mignon (P505).
Non, dans la P507 il y a juste du jus de valériane qu'on laisse quelque temps au soleil. Car, ainsi que le dit Steiner, la valériane est liée à Saturne, c'est pourquoi elle est dispensatrice de chaleur.


Bon, soyons clairs : j'entends et comprends parfaitement bien qu'il s'agit d'un concours, et qu'un concours se doit de proposer des épreuves discriminantes.
Pour autant, et à titre très personnel, j'avoue qu'il ne m'est jamais arrivé de questionner les sommeliers auxquels j'ai eu affaire à propos de l'hérédité du Canada Muscat, de l'effet Crabtree ou de la lutte contre le gel à l'aide quelques gouttes de jus de Valériane. Entre autres joyeusetés.

Ne nous y trompons pas et ne me faisons pas dire ce que je ne dis pas, ni même ne pense.
La connaissance des vignobles, associée à la connaissance et la reconnaissance des vins qui en sont issus joints à la capacité à proposer des accords mets et vins tant étonnants que détonnants me laissent réellement pantois.
La capacité à gérer tant efficacement qu'élégamment le service des vins est un vrai savoir faire et un réel plaisir lorsqu'on y assiste.
Tous les savoirs et savoirs faire des sommeliers de haut vol, avec la transmission qui les fonde, sont réellement épatants.

Alors quel besoin y a-t'il donc de demander aux meilleurs d'entre eux de faire la preuve d'un saupoudrage scientifique ou, pire, pseudo scientifique, hétéroclite qu'ils doivent pouvoir restituer afin d'être le meilleur des meilleurs ?
On me pardonnera peut-être de trouver çà totalement délirant. Voire grotesque.
 


"Bonjour Monsieur, avec mon poisson j'aimerais bien que vous me proposiez un vin blanc sec plutot frais mais avec du gras, qui vienne d'un vignoble de l'hémisphère sud.
Sans vouloir abuser de votre gentillesse : pourriez-vous me le servir avec quelques explications sur les implications pratiques de l'effet Pasteur dans la production industrielle des levures sélectionnées ?"









(comme toujours, je précise que l'ensemble des livres cités font partie de ma collection personnelle et qu'il suffit de m'en faire la demande pour recevoir tel ou tel extrait des dits ouvrages)

Commentaires

  1. De vrais IA... Merci chatGPT pour répondre à ces questions ....

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