Au milieu des mines de cuivre.

 
Depuis que j'ai un abonnement Cafeyn et y teste quelques mots clef, je suis envahi de publications ayant de près ou de loin trait au vin, à l'oenologie et autres sujets voisins.
Certaines me font tomber de ma chaise.
Le dernier numéro de la revue "Tanin" ne fait pas exception.

Par exemple, avec un article intitulé : "BIO, le grand malentendu".



Un malentendu ?
Quel malentendu ?
Oui : "Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.".

En effet :
"Le bio bordelais existe donc bel et bien, et ce depuis plusieurs générations. Et si des vins peuvent permettre à cette région de relever la tête hors de l'eau, ce sont les bios. N'en déplaise aux détracteurs de cette certification qui ne savent plus quoi inventer pour discriminer les vignerons certifiés AB avec, par exemple, la remise en cause de leur utilisation du cuivre qui "polluerait" les terres."
Notons ce magnifique choix d'éléments de langage qui visent d'abord à poser un incontestable statut de sauveurs au bénéfice exclusif des vignerons bio (le salut ne peut venir que d'eux), avant d'en faire les victimes expiatoires du camp du mal : les détracteurs "qui ne savent plus quoi inventer" et selon lesquels : "leur utilisation du cuivre qui "polluerait" les terres.".
Tout ceci est inepte.

D'abord parce que bio ou pas : la situation du vignoble bordelais est désolante.
Déprimante
, ainsi que je l'écris par ailleurs.


Ensuite parce que je ne crois pas qu'ici l'adhésion à un label, quel qu'il soit, puisse être d'une quelconque aide : tous les vignerons sont malheureusement impactés, qu'ils soient cetitfiés bio ou pas.
Enfin, et pour ce qui m'occupe principalement sur ce blog, car cette histoire du cuivre est présentée n'importe comment.

Allez : on parle du Cuivre à la vigne ?
(si vous vous intéressez au Cuivre en vinification allez donc lire ce billet de 2017 et, surtout, écouter la vidéo qui y est intégrée).

Après plus d'un siècle d'utilisation régulière et parfois intensive, les sols agricoles en général et viticoles en particulier ont été notablement enrichis en cuivre.
En effet, le cuivre est un métal lourd qui n'est pas biodégradable et qui s'accumule donc dans les parties superficielles du sol après avoir été lessivé par les pluies (c'est ce lessivage par les pluies qui poussera les agriculteurs à multiplier les traitements).
C'est dans le sol qu'il posera problème du fait de sa toxicité racinaire.
Oui, le cuivre "pollue" les terres, quoique la journaliste puisse tenter de faire croire avec son utilisation de guillemets. Au passage : notons que de ce point de vue la teneur en cuivre dans le sol n'est pas le seul paramètre à prendre en compte : on devrait aussi s'intéresser tant à la nature du sol (en particulier son acidité et son taux de matière organique) qu'à l'espèce qui y est cultivée.
Il n'empêche que le cuivre est un toxique pour les racines, mais aussi pour les feuilles (c'est ce qui explique les points noirs que l'on voit parfois y apparaitre, après une pulvérisation foliaire de cuivre), ainsi que pour les microorganismes du sol (il peut également entraîner une perte aromatique en s'attaquant aux thiols variétaux).

Alors pourquoi une telle utilisation du cuivre à la vigne ?
Parce que le cuivre est un fongicide qui a deux énormes qualités : son spectre d'action est très large (il tape sur toutes sortes de champignons), et ses modes d'action sont variés (le risque d'apparition de résistances est donc extrêmement faible).
Le cuivre est utilisé de longue date contre le mildiou, mais il agit aussi, directement ou indirectement, contre d'autres plaies du vigneron (
Oïdium , Botrytis cinerea, Black-rot, diverses bactéries ...).
En viticulture bio il y a très peu de moyens de lutte, qu'elle soit préventive ou  curative ... d'où l'importance du cuivre !
Mais le cuivre n'est pas réservé aux seuls bio, loin de là : il est en effet très largement utilisé en viticulture, quel que soit le label dont elle se revendique.
Dès lors, reprocher aux vignerons bio d'utiliser du cuivre alors que l'on est vigneron "conventionnel" serait un non sens absolu. Quoique puisse en dire l'article que je commente ici.

Notons enfin que le cuivre est un produit phytosanitaire et qu'à ce titre son utilisation est contrôlée et règlementée (pas plus de 28 kg/ha, sur une période de 7 années consécutives). Là aussi cette limite s'applique à tous les vignerons, indépendemment de leur certification ou leur absence de certification.
Il est donc inepte d'essayer de les opposer les uns aux autres pour une thématique qui, au contraire, les réunit puisqu'ils y sont tous confrontés !

Je résume : en viticulture, bio ou pas bio, on utilise du cuivre pour protéger les vignes des attaques fongiques.
Et l'utilisation de ce fongicide, homologué en bio, est soumise à limitation quantitative du fait des dangers qu'il représente.



C'est à ce stade que je retombe de ma chaise en lisant la retranscription d'une interview à propos de notre nouvel ami, le Cuivre.
Je cite :
"le cuivre est issu de la terre, nous rappelle Bertrand, or, rendre au sol ce qu'on lui a miné ne me semble pas choquant."
Soyons sérieux deux minutes : 
- on utilise le cuivre sous sa forme "bouillie bordelaise".
Et à ma connaissance il n'y pas de mine de bouillie bordelaise, celle ci étant obtenue par attaque de l'acide sulfurique sur du cuivre, avant neutralisation à la chaux éteinte.
- je ne crois pas que les mines de cuivre à ciel ouvert soient parmi les terroirs viticoles connus et reconnus.
- si rendre au sol (viticole) ce qu'on a miné ailleurs n'est pas choquant, je pense que nous venons de trouver une solution au stockage de l'uranium, de l'arsenic et autres produits ou sous produits miniers : il n'y a qu'à balancer tout çà dans les vignes !
Puisqu'on vous dit que ce n'est pas choquant ...

OK : je dois être en état de forte faiblesse psychologique, car je trouve le truc choquant.




Tout comme la citation suivante, je dois bien l'avouer :
"Rappelons qu'il faut attendre entre 7 et 8 ans pour obtenir le même rendement d'une vigne convertie en AB qu'en conventionnel. C'est le temps moyen pour que la vigne fabrique elle-même ses anticorps."
Pardon ?
Au bout de 7 ou 8 ans en bio la vigne se met à fabriquer des anticorps qui lui permettent de résister aux maladies et de revenir au taquet, côté rendements ?
Sans déconner ...
C'est à se demander pourquoi on se fait chier à épandre des produits phyto qui coutent un bras et prennent du temps, alors qu'il suffit d'attendre tranquillement que la vigne gère çà à sa façon !?
Et je ne parle même pas de ceux qui cherchent des moyens de protéger, prévenir les maladies ou stimuler les défenses naturelles des plantes.
Que des inutiles.
Voilà : si les rendements baissent en bio, c'est juste cette histoire de cuivre et d'anticorps. Le travail du sol, l'enherbement, les apports d'engrais et autres sujets agronomiques n'ont absolument aucune influence.

Pourtant, en 2016, le SVBNA a publié son :
"Etude des rendements en viticulture Biologique Région Aquitaine".
On y trouve en particulier cette phrase :
"De multiples facteurs expliquent sans doute ces faibles rendements, la gestion de la fertilisation et de l‘herbe sous le rang sont plus difficiles en bio".
Ce qui n'est pas sans m'étonner puisque l'article de "Tanin" met les extraits ci-dessus (le retour à la terre du cuivre miné, et l'effet des anticorps au bout de 7 ou 8 ans) dans la bouche du responsable de la communication de ce même SVBNA.

Comprenne qui peut.



(mon titre est inspiré de"L'écume des jours", de Boris Vian, où l'on lit : "Brusquement, la roue tourna de nouveau et ils se trouvèrent au milieu des mines de cuivre".)
 
 
 
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Ajout du 02/04/20236

Je reproduis ici, avec son accord, un commentaire que m'a fait Alain Deloire (Professeur à l'Institut Agro de Montpellier).
Il y reprend mon propos ainsi que des aspects de l'article que je n'ai pas évoqués ... et joint un lien tout à fait pertinent (ainsi que toutes les publications régulièrements faites par Alain sur Linkedin et dont je ne saurais trop conseiller la lecurure à qui s'intéresse à la viticulture !) et que je joins aussi. Bien sur.
Donc :
 
"1) le bio ne permet pas de faire des vins plus fruités, c’est une question de cépage x climat x date de vendange x œnologie.
2) rendre au sol le cuivre miné ailleurs est bien sûr un argument absurde puisque le cuivre s’accumule dans le sol là où on le met.
3) le pompon est la fabrication d’anticorps par la vigne! De la science fiction qui contribue à décrédibiliser le discours bio.
4) rendement: bio ou pas les composantes du rendement se mettent en place dès la première année de plantation, et l’augmentation progressive des rendements est due à l’installation de la vigne en cordon par exemple et à l’augmentation du nombre de bourgeons par m² pour atteindre une vitesse de croisière en 3 à 5 ans, bio ou pas.
5) la connaissance des fondamentaux de la viticulture est nécessaire pour ne pas raconter des conneries.
6) la vigne est certainement la plante qui entend le plus de bêtises au cours de sa vie de plante."

Et le lien (qui me permet de saluer à nouveau tant Alain Deloire que Guillaume Antalick !)


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