A votre santé !



« A ta santé », « A votre santé » expression consacrée qui accompagne nos apéritifs, du moins tant que l’ANPAA ne fera pas supprimer cette pratique intolérable car attentatoire tant à la santé publique qu’à l’édification des masses.

On trouve diverses tentatives d’explication sur le net.
L’une d’entre elles voudrait que l’habitude remonte au Moyen-Age, âge farouche (comme le disait mon vieux pote Rahan) au cours duquel on aurait eu l’empoisonnement facile. Dès lors,
par l’effet du choc trinquer aurait permis de mélanger le contenu des verres et, donc, de prouver que l’on n’avait rien ajouté de toxique à l’un d’entre eux.
Ce ne me semble pas totalement convaincant, ne serait-ce que parce qu'il faudrait tout de même taper comme un sourd pour espérer mélanger ainsi les boissons … et de surcroît avoir un entraînement de niveau olympique pour y arriver sans envoyer directement la majorité du breuvage au sol !

Je préfère pour ma part la version antique, celle qui fait référence aux libations faites en l’honneur des Dieux et des morts, du vin offert à ceux dont on espère que suite à cette offrande ils protégeront les vivants. Leur assurant santé et longue vie.


Mais ce qui m’intéresse ici n’est pas de remonter à l’origine de ce souhait, il s'agit plutôt de revenir vers le passé pour y trouver les témoignages de ce qui fondait ce souhait. Autrement dit : qu’en était-il du vin médicament ? 

Ceci en évitant de sur interpréter les propos si souvent déformés de ce cher vieux Pasteur (Ici dans l'édition originale de son "Études sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent, procédés nouveaux pour le conserver et pour le vieillir").

Depuis quelques jours, coronavirus aidant, nous sommes tous (sensés être) en confinement. C’est l’occasion de revisiter nos bibliothèques et fouiller nos caves. Et de nous inquiéter de notre santé et celle de nos proches.
L’idée de ce billet et de fouiller ma bibliothèque et d’y traquer les références au vin et à ses actions contre la fièvre.
Sait-on jamais …


Pour le moyen-âge on pourra aller chercher du côté d’Arnaud de Villeneuve. Je l’ai déjà évoqué dans un précédent billet, auquel je vous renvoie.
Donc Arnaud de Villeneuve avec, ici, la recette 32 de son « De liber vinis » :

« Le vin contre la fièvre.
Le vin contre la fièvre, tierce, quarte ou quotidienne, est digestif et laxatif. Ce qu’on digère aisément peut être bien évacué.
Prenez une livre d’ésule, six drachmes de cuscute du thym, quatre drachmes de polypode, cinnamone et raisins secs, une once de gingembre, mastic, zédoaire et clou de girofle. Sucrez suivant le besoin. »



Pour savoir ce que sont les fièvres tierces ou quartes on peut se référer au Tome I de « L’Agronome. Dictionnaire portatif du cultivateur, contenant toutes les connaissances nécessaires pour gouverner les biens de campagne, et les faire valoir utilement ; pour soutenir ses droits, conserver sa santé, et rendre gracieuse la vie champêtre. » de Pons Augustin Alletz, ici dans l’édition originale (1760).


Encore un mot de de Villeneuve et de ses préconisations contre la fièvre, avec la recette 33 :

« Le vin trempé
Le vin trempé est bon pour la fièvre. Il est sans contre-indications.
Il se fait avec trois ou quatre doses d’eau bouillie mise en bouteille sur une dose de vin. Mettez la bouteille dans un récipient rempli d’eau froide.
Ce vin ouvre les opilations, évacue la matière maligne par l’urine et fortifie. On peut aussi mettre du pain à fermenter dans le vin, sans eau. Ce vin ouvre l’appétit. »


De Villeneuve
fait référence à Gallien, et à l'école de Salerne. On retrouve les mêmes principes dans « L’art de conserver sa santé, composé par l’école de Salerne ». Antoine Augustin Bruzen de la Martinière y fait état de nombreuses recettes basées sur le vin.
J’aime tout particulièrement celle qui conseille de boire une bouteille de vin le matin, au lever, si l’on souffre d’une gueule de bois.



 

BLM annonce une nouvelle traduction, en vers. Au vu du texte latin et de sa « traduction » on comprend bien qu’il a travaillé de façon extrêmement libre. 


Il n’en reste pas moins qu’il propose des moyens de prévenir la fièvre ou bien de lutter contre elle.
Par exemple avec « du canard » puis, plus loin, « de la sauge ».

« Un canard de rivière avec soin apprêté,
Flatte un goût délicat : j’ai fait l’expérience
Des maux qu’en le mangeant cause l’intempérance.
il faut de la sobriété :
Je sais que quand on s’en écarte,
Les horreurs de la fièvre quarte
Sont les tristes effets de cette volupté. »



Et, pour le remède :

« Pour conforter les nerfs, la Sauge est excellente ;
et d’une fièvre aiguë elle arrête l’accès. »



 


Retour en 1760, avec PA Alletz chez qui l'on trouve de nombreux remèdes destinés à l’une ou l’autre catégorie de fièvre.
Certains d’entre eux font appel au vin.
J’ajoute qu’aucun d’eux ne me semble totalement rassurant …





Sensiblement à la même époque, Liger aborde une foultitude de sujets dans "La nouvelle maison rustique, ou économie générale de tous les biens de campagne", un ouvrage considérable qui sera sans cesse réédité depuis 1700 jusqu'en 1804.
Le vin, la fièvre ainsi que les rapports entre vin et fièvre se trouvent dans le Tome II.







 


Le très moderne Dr Maury n’est pas plus rassurant que ses prédecesseurs, en tous cas pas à la lecture de son « soignez-vous par le vin » paru … en 1974 et dans lequel il préconise un traitement radical contre la fièvre. 


Une bouteille de Champagne brut par jour, pour bénéficier des effets du sulfate de potassium qu’il contient ? Il suffisait d’y penser … (et d’oser le préconiser).

 





Il a également laissé une trace sur le net.
C’est réjouissant : 



A votre santé (mais n'abusez pas des prescriptions du bon Docteur).


PS en forme de message personnel :
toi qui me lis parfois et que je ne cite pas car tu te reconnaîtras à ce qui suit, je sais bien (car tu me l'as déjà dit) que le Dr Maury était le médecin traitant de Benoît.
Tu as même ajouté que c'était un excellent médecin de famille.
Je te fais confiance et n'en doute pas. Ne serait-ce que parce que, il n'y a pas de hasard, Benoît est devenu œnologue ...
(quand il a de la fièvre, comment se soigne-t'il ?)


PPS : 
Ce billet est illustré de photos de divers ouvrages. Cliquer sur les photos permettra de lire les textes dans un format plus confortable.
En outre : ces livres faisant partie de ma collection personnelle je peux, sur simple demande, envoyer des copies de tel ou tel extrait à qui le souhaiterait.
Pour autant les photos m'appartiennent et ne sont donc pas libres de droits. Alors on est gentil et on évite de se servir.


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