Vin nature : le rire salutaire


Assez régulièrement on me fait parvenir tel ou tel article, accompagné d'un commentaire sur le mode :

"tu as vu ? tu as lu ? t'en penses quoi ?".
Parfois j'en profite pour en parler sur le blog.

Ce sera le cas pour les deux derniers qui s'intéressent à la question des "vins nature" et de leurs effets sur la santé, bien que sur des modalités assez différentes.
(Soyons honnête :
on ne peut pas totalement exclure que ce qui prête à rire soit bon pour le moral, donc pour la santé …).

Paru sur "Atlantico", le premier est titré :

"CONSOMMATION
Vin naturel : peut-il révolutionner et soutenir la filière viticole française à l’exportation ?
"
Son sous-titre est édifiant :
"Ce serait une ineptie de louper le coche des vins naturels ou sans intrants. Ces vins rencontrent un public soucieux d'avaler des produits de meilleure qualité."


Extraits, et commentaires de l'article signé de
Fabrizio Buccella (et dans lequel on cherchera en vain toute référence, même indirecte, au soutien de la filière viticole française à l'exportation") :

"Les consommateurs sont soucieux de retrouver une alimentation plus propre, des vins plus sains, moins "chargés" en intrants."

L'auteur semble poser comme acquis que les intrants oenologiques sont, par nature, nocifs autant que malsains.
Et comme trop souvent il omet de différencier additifs (qui sont restés dans le vin) et auxiliaires (qui n'y sont plus présents).
Bien sur il passe sous silence les intrants qui permettent de garantir la qualité sanitaire du vin. Voir par exempe l'uréase qui évite la formation de carbamate d'éthyle, ou bien les fibres végétales qui permettent de diminuer les contaminations en ochratoxine. Mais on pourrait aussi, entre autres sujets, se pencher sur le cas de l'éthanal et bien sur celui de l'éthanol ...
Autrement dit : l'utilisation d'intrants n'est pas nécessairement à l'origine de vins moins sains (quoique l'on puisse entendre par "sain" !), ou de vins "chargés". Pas plus que se passer de tout intrant oenologique ne saurait garantir une meilleure qualité sanitaire du vin.

"La fabrication d'un vin traditionnel permet l'ajout de dizaines de produits, souvent inconnus du grand public et qui ne sont pas mentionnés sur l'étiquette. Cette liste se réduit fortement lors du passage en agriculture biologique et ne contient plus que cinq produits pour les vins biodynamiques (hors préparations). Elle tombe virtuellement à zéro pour les vins naturels."

Il ne me semble pas utile de revenir à nouveau sur "l'ajout de dizaines de produits", car je l'ai fait il y a peu de temps.
Simplement dire que du fait de la nouvelle PAC et de ses conséquences, l'étiquettage des additifs
va radicalement changer à compter du 8 Décembre 2023.
Nous en reparlerons.

D'ici là disons simplement qu'au nom de l'information du consommateur et de la transparence, l'indication des additifs et l'ajout du nutriscore mènera, de mon point de vue, à des mentions surréalistes et n'ayant d'informatives que le nom.

"Le deuxième défaut est le développement de certains composés odorants et aromatiques qui peuvent être considérés comme des défauts (acide acétique et ethylphénols principalement). Là encore, il s'agit de norme (qu'est-ce qui est un défaut et qu'est-ce qui ne l'est pas)."


Sur ce blog je me suis déjà exprimé à propos de cette fâcheuse tendance qui voudrait que puisque les "vins nature" sont fréquemment touchés par tel ou tel défaut alors qu'ils sont sensés être l'avenir du vin, c'est que leurs défauts n'en sont pas.
Cette position est grotesque.
Quel qu'il soit, quel que soit le label auquel il se réfère : un vin qui sent l'écurie ou le vinaigre est un vin raté, flambé, irrémédiablement plombé.



Alors, bien sur : si on modifie les critères de qualité pour en faire des notions tout aussi variables que souples sur les pattes arrières on peut justifier à peu près n'importe quoi.
Mais de là à oser prétendre qu'un vin qui pue le poulailler sera meilleur pour la santé au prétexte qu'il est dit "nature" ... D'ailleurs de quelle qualité et de quels marqueurs de qualité nous parle-t'on ?
Quant à la santé : pourquoi ne pas se pencher sur l'éthanol et les autres composés évoqués au début de ce billet, sujets que, très régulièrement, moi aussi j'explique à mes étudiants.
Car dites moi que je rêve :
"J'explique à mes étudiants qu'avec un vigneron naturel honnête, ils boiront peut-être du mauvais jus, mais il sera moins mauvais pour leur santé" ?!
Cette phrase est profondément désolante.
Désolante tant par son recours à l'argument d'autorité ("j'explique à mes étudiants") que par ce que cet "argument" est supposé démontrer sans contestation possible : la valeur sanitaire des "vins nature".


Mais puisqu'il s'agit de santé, on pourrait aller voir du côté de ceux qui en font leur fonds de commerce.
Par exemple "Santé+".
D'autant que ce site nous gratifie, sous la plume de Rose Sanchez, d'une réjouissante ineptie qui est le deuxième article qui m'occupera, aujourd'hui.
Il s'intitule :
"Pourquoi ajouter du bicarbonate de soude au vin ? Une astuce peu connue mais très utile"
Au risque de tuer tout suspens je me dois d'affirmer d'emblée que ce qui est annoncé comme "une astuce peu connue mais très utile" est, avant tout, une monumentale connerie qu'on évitera à tout prix de reproduire.
 
"Une occasion spéciale mérite d’être célébrée avec un vin spécial. Seulement, ce n’est pas parce qu’une bouteille de vin est chère qu’elle est de bonne qualité. C’est pourquoi vous devriez ajouter du bicarbonate de soude à celle-ci pour tester sa qualité."

Voilà, ami lecteur : si ta quille t'a coûté un bras, mets y illico du bicarbonate de soude pour vérifier que tu ne t'es pas fait enfler.

"Pour vérifier si le vin que vous achetez est naturel ou non, il suffit d’ajouter un peu de bicarbonate de soude."

Grandiose.
Si, si. Vraiment.
Rappelons tout de même que le bicarbonate de soude est utilisé pour faire lever les patisseries, puisqu'en milieu acide il dégage du gaz carbonique (le vin étant un milieu acide on ne peut pas exclure une certaine effervescence si vous vous risquez à suivre les conseils éclairés de Santé+).
Sinon, entre autres utilisations liées à tel ou tel produit ménager, ma grand mère l'utilisait aussi pour tremper les haricots avant d'en faire un cassoulet.
Mais suggérer de l'utiliser comme détecteur de naturalité d'un vin, j'avoue que c'est magique.

Ainsi nous apprenons que :


Plus con tu meurs (probabement dans d'atroces souffrances).
Car ce qui précède est absurde et ne repose sur rien.
R-I-E-N, N-A-D-A, Q-U-E-D-A-L-L-E !
(à part, bien sur, une profonde méconnaissance et une totale incompréhension du sujet (mal)traité).

La journaliste, à l'issue d'une enquête que j'ai du mal à imaginer, nous informe que :
"le bicarbonate de soude est le secret des producteurs lorsqu'ils veulent corriger l'acidité du vin".
Or en aucun cas le bicarbonate de soude ne permet de réguler l'acidité d'un vin : çà c'est l'effet du bicarbonate de potasssium.
Et, du point de vue oenologique, ces deux produits n'ont absolument rien à voir l'un avec l'autre.
En outre ajouter du bicarbonate de potassium dans un vin en bouteille - et ce quel que soit son label et son mode d'élaboration - entraînera de facto la désacidification du dit vin (et, si le vin est rouge, la production d'une grosse effervescence tout à fait à même de pourrir la nappe de mamie).

Classiquement on estime que 0.5 g/l de Bicarbonate de Potassium baissent l'acidité totale du vin d'environ 0.3 g/litre en équivalent acide sulfurique.
Autant dire de suite qu'ajouter une cuillère à café de bicarbonate de potassium dans un vere, ou même une bouteille de vin, ça va bien vous le pourrir le jaja !
Et ce qu'il se revendique ou pas du label "nature" car le bicarbonate de potassium et son effet désacifiant se moquent des labels.
Bien entendu, ajouter du bicarbonate de sodium serait inepte, sauf à vouloir faire un gâteau au vin rouge. Auquel cas on n'oubliera ni la farine ni les épices.


"
Mélangez bien, puis laissez la poudre se dissoudre et agir. Elle neutralisera l’acidité et ajoutera au vin un meilleur goût."

A ce stade là, la poudre autant directement la sniffer ...

Commentaires

  1. C’est vrai que voilà deux monuments qui méritent de devenir historiques
    Merci de rétablir les vérités indispensables

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    1. Avec plaisir :-)
      Avec plaisir et sans illusion sur la portée de ce billet (et des autres) qui ne changera rien à cette triste histoire. A part, peut-être, en faire rire. Au moins un peu ...

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  2. Merci André pour la mise au point. A la fin ca devient fatiguant de lire toutes ces bêtises...

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    1. Clair que le bruit de fond (qui le touche, le fond) est un rien pénible !

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  3. Merci pour ce moment de détente ! Je suis toujours fasciné par l'inventivité des adeptes de la pensée magique quant à leurs produits fétiches (bicarbonate de sodium et vinaigre). Qui sait, ces esthètes de l'humour vont peut être nous sortir un article pour réacidifier un vin avec du vinaigre blanc suite à un excès de bicarbonate...

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  4. Oui mais quand même, un vin naturel est il forcement bretté et riche en éthanal ?
    C'est ce que votre post laisse entendre.
    Ce serait dommage de remplacer des amalgames par d'autres.

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    1. Attention : dans ce billet mon propos est de commenter deux articles traitant des vins et des vins nature.
      Dans celui de F Bucella on trouve quelques passages qui me posent problème.
      Dont :
      "Le deuxième défaut est le développement de certains composés odorants et aromatiques qui peuvent être considérés comme des défauts (acide acétique et ethylphénols principalement). Là encore, il s'agit de norme (qu'est-ce qui est un défaut et qu'est-ce qui ne l'est pas)."
      ou bien encore :
      "J'explique à mes étudiants qu'avec un vigneron naturel honnête, ils boiront peut-être du mauvais jus, mais il sera moins mauvais pour leur santé".
      Ils participent de cette vague relativiste qui prétend que les défauts n'en sont pas forcément, au moins pas pour ces vins là et que, en outre, même s'il y a défaut çà reste meilleur pour la santé.
      Ce que je veux dire ici c'est que c'est n'importe quoi. Et que quelque soit le label du vin, s'il est plombé il est plombé.
      Ce qui me semble clairement dit dans cette phrase :
      "Quel qu'il soit, quel que soit le label auquel il se réfère : un vin qui sent l'écurie ou le vinaigre est un vin raté, flambé, irrémédiablement plombé.".
      Brett n'est pas l'apanage des "vins nature".

      Ceci étant précisé, je ne crois pas qu'un "vin naturel" soit forcément bretté, tapé par l'éthanal ou l'acidité volatile, voire le goût de souris.
      Je crois, en revanche, que sauf à avoir un bon niveau de maîtrise et de technicité - depuis la vigne jusqu'à la bouteille - il est extrêmement compliqué d'échapper à tel ou tel de ces problèmes si l'on revendique le "nature" (en particulier sur des millésimes chauds - donc peu acides -, dans le sud et en climat océanique).

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  5. C'est consternant, merci André de réagir à ces articles fumeux. ça pourrait être drôle si ce n'était pas aussi pathétique. Je suppose que c'est efficace pour la promotion des vins naturellement beurk.

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    1. Je ne sais pas si c'est efficace. Je le suppose. Je le crains.

      Ceci dit il me semble que les oenologues peuvent (doivent ?) s'intéresser à la vinification (dite) nature. Car c'est un exercice de style qui peut être intéressant et, comme je le dis dans une réponse précédente, nécessite de mobiliser des savoirs et savoirs faire multiples pour espérer atteindre un résultat au moins décent.
      Faire du vin nature en mode laisser faire me semble un pari pour le moins hasardeux. Je crains que ce pari ne soit majoritaire. Et que ce genre d'articles ne fasse que tenter de justifier l'injustifiable.

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