Les levures et les Diafoirus modernes


Dans un billet déjà ancien j’évoquais « l’affaire des pains à la Reine » et Guy Patin, le médecin qui inspira Molière pour son Diafoirus père. Pour qui s’intéresse à la médecine de l’époque il sera possible de lire  cet autre billet dans lequel je citais Philbert Guybert qui fut le porte flingue de Patin et dont je possède une édition XVIIème de « Toutes les œuvres charitables ».


Je ne reviens pas sur les détails de l’affaire des pains à la Reine : sur ce sujet on pourra lire mon billet déjà cité ou, mieux, l’ « Histoire des peurs alimentaires » de Madeleine Ferrières (chapitre 6 : « le pain en procès ».

Il me suffira de rappeler une phrase de Guy Patin : « la mort volait sur les ailes du pain mollet ». Autant dire « sur les ailes de la levure », puisque le point de départ de cette histoire était l’utilisation de levure de bière pour la fermentation des pains mollets blancs et très à la mode. Un process technologique que les boulangers de Gonesse ont très modérément apprécié, y voyant une concurrence contre laquelle ils ne pouvaient lutter, d’où le déclenchement d’une vive polémique et d’une tentative d’interdiction légale au nom de la protection du consommateur et de sa santé.
Déjà.

Car selon Guy Patin, Diafoirus, la levure était un enjeu de santé publique. Notons que Patin avait trouvé un contradicteur en la personne de Claude Perrault, lui même médecin en ce XVIIème siècle et frère de Charles, l’auteur des « Contes de ma mère l’oie ».
Nous sommes au XXIème siècle et Patin a un successeur en la personne du très actuel député Ramos.


En effet ce dernier, s’il n’est pas adepte de la saignée, semble en revanche tout aussi convaincu que la protection des consommateurs passe par la mise à l’index de la levure. C’est en tous cas le propos d'un projet de Loi qu’il a déposé au début de ce mois de Juillet. Mais d
ans son texte, que l’on pourra lire en suivant ce lien, que nous dit le député du Loiret ?

« Si de nombreux Français consomment quotidiennement du vin, la très grande majorité d’entre eux en ignorent la composition. En effet, quels sont les ingrédients qui composent cette boisson alcoolisée ? Très peu d’informations figurent sur l’étiquette. Nos concitoyens ignorent par ailleurs
que de nombreux viticulteurs ajoutent des levures exogènes à leur vin, durant le processus de production.
»

Force est de constater que, de façon générale, nous ignorons la composition de la quasi totalité de ce que nous consommons. Pour ne citer, à titre d’exemple, que quelques spécialités de la circonscription du député Ramos : qui parmi mes lecteurs serait capable de dire de quoi l’andouille de Jargeau, l’Arlicot ou le Jargeau se composent ?

Notons en outre que les levures ne sont pas constitutives du vin car si elles sont  indispensables à son élaboration (en transformant les sucres en alcool), se faisant elles créent des conditions qui les tuent. En suite de quoi elles sont éliminées du produit fini (à quelques exceptions près, telles que les vins dits de méthode traditionnelle, à Gaillac). 
D'ailleurs, le règlement européen concernant l’étiquetage des additifs le reconnaît explicitement.
Mais le député Ramos semble ignorer que les levures n’entrent pas dans la composition du vin. C'est regrettable car adopter son projet reviendrait à demander aux restaurateurs si leurs fours sont électriques ou au gaz : pas ce qu’il y a dans le plat, mais comment il a été élaboré. Car il ne s’agit pas de la composition du produit fini mais seulement de la façon dont il a été élaboré. Ce qui n’a rien à voir.

« Les levures exogènes, également connues sous le nom de levures commerciales, sont des souches de levure spécifiquement sélectionnées et utilisées dans le processus de fermentation du vin. Elles diffèrent des levures indigènes, qui sont présentes naturellement sur les raisins et dans l’environnement de la cave ».

C’est faux !
Si ces levures sont sélectionnées c’est que sélectionnées, elle le sont  dans la nature ou dans les cuves. Elles sont donc intrinsèquement  identiques aux levures indigènes : car c’est ce qu’elles étaient avant d’être sélectionnées
. D'ailleurs nul ne peut différencier les unes des autres. (Nota : il existe une levure OGM, mais elle n’est pas commercialisée en Europe). Les levures sélectionnées, disons «exogènes » pour faire plaisir au député, sont parfaitement naturelles. Elles ont seulement été sélectionnées, parmi leurs congénères, selon un cahier des charges prédéfini puis caractérisées aussi précisément que possible. Sur l’histoire des levures sélectionnée on lira cette vieille série de 4 billets qui prennent la poussière dans les tréfonds de ce blog.

« Les levures exogènes sont souvent utilisées pour plusieurs raisons dans la production de vin. Ainsi, elles permettent de mieux contrôler le processus de fermentation, réduire les risques de contamination bactérienne et surtout jouer sur l’arôme des vins, leur goût, leurs profils aromatiques. »

Là dessus, pas grand chose à dire ni redire : en deux phrases c’est un résumé plutôt efficace. A part le « surtout » qui me semble très largement abusif.

« Nos concitoyens ont le droit de savoir que certains producteurs ajoutent ces levures achetées en laboratoire à leur production, afin d’en modifier le goût.
Aussi, cette proposition de loi entend faire toute la lumière sur ce procédé. »

Bon, pour "faire toute la lumière sur le procédé" : la meilleure solution n’est pas de voter une Loi, mais de se taper un bac +3 avant d’y ajouter les deux années nécessaires à l’obtention du Diplôme National d’œnologue.
Je vais donc essayer de la faire simple et courte : toutes les levures sont à même de révéler certains arômes et d’en produire d’autres (ce sont deux choses bien différentes que l'on pourra essayer d'appréhender au travers de mon papier "Le commissaire dans la truffière" paru dans En Magnum #20 (septembre 2020)). Et ce  dans des proportions différentes et variables, selon les conditions du milieu.
Il faut oublier l’idée simpliste qui voudrait qu’ajouter telle levure dans un mout donnera obligatoirement un profil aromatique identifié, prévisible et indéfiniment répétable à l’identique. Car les levures sont des êtres vivants, et leur métabolisme - en particulier aromatique - dépend de multiples facteurs dont leur nutrition, tant du point de vue qualitatif que quantitatif. En outre divers travaux montrent que, toutes choses égales par ailleurs, le profil aromatique du vin dépend, par exemple, de la température de fermentation.

Aussi, s’il est parfaitement vrai que toutes les levures fermentaires n’ont pas les mêmes aptitudes, par exemple du point de vue de leur métabolisme aromatique, mettre une levure dans un moût ne garantit pas l’obtention d’un profil aromatique spécifique. En outre les levures peuvent être achetées en divers lieux qui ne sont pas des laboratoires, mais c’est un détail. 

« L’article unique vise donc à mentionner en évidence sur l’étiquette d’une bouteille de vin l’ajout de levures exogènes, afin que le consommateur ait connaissance des produits composant la boisson alcoolisée qu’il choisit. Rendre lisible la composition des produits alimentaires, et en l’occurrence du vin, tel est l’objet de cette proposition de loi. »

S’il s’agit de rendre lisible la composition du vin, alors il ne faut pas indiquer les levures : elles n’entrent pas dans la composition du vin ! Par contre il va falloir agrandir les étiquettes : la composition chimique du vin est une discipline à part entière, et bien qu’œnologue depuis 25 ans je dois avouer être incapable de vous lister la totalité des innombrables composants du vin. 

Le préambule en étant douteux, que dit l’article unique de la
proposition de Loi du député Ramos ?

« La section 2 du chapitre II du titre Ier du livre IV du code de la
consommation est complétée par un article L. 412-12-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-12-1. – La mention de l’incorporation de levures
aromatiques dans le vin est indiquée en évidence sur l’étiquetage de manière à ne pas induire en erreur le consommateur sur la nature du produit fini. »
»

Les mots ont un sens.
En vertu de quoi « levure aromatique » est inepte.
Est aromatique ce qui confère un arôme, et ce n’est pas le cas de Saccharomyces cerevisiae. Ceci dit au delà du fait que les levures ne sont pas « incorporées au vin » pour l'aromatiser, puisqu’elles sont ajoutées au moût qu'elles transforment en vin avant que le vin ne les tue.

Entendons nous bien : le député Ramos, tout comme chacun de ses compagnons de banc, à bien le droit de s’indigner de ce qu’il trouve indigne et de légiférer lorsque cela lui semble utile. Après tout, c’est pour cela qu’il a été élu. Mais il me semble qu’il gagnerait en crédibilité d’une part en ne prêtant pas l’oreille qu’à un seul lobby et, d’autre part, en veillant à ce que les arguments scientifiques et techniques qu’il utilise ne soient pas que de la fumisterie.
Fut-elle mise au service d’une soit disant information et protection du consommateur.


Sur ce même sujet on pourra (devra !) aussi lire l'article d'Amélie Bimont pour Vitisphere. Ne serait-ce que parce qu'on y trouvera divers témoignages, réunis sous un titre autrement plus consensuel que le mien.




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