A propos de vin nature, de curiosité et de reportage télévisé (épisode 3652).

 

J’ai reçu un message contenant un lien vers un récent« documentaire » du service public (France 2) dans la série« Tout compte fais ».

On y parle fromages et vins et çà s’intitule : « alimentation : comment retrouver le goût authentique du terroir ».
Ça vous a un joli petit côté Colette plutôt séduisant :
« La vigne et le vin sont de grands mystères. Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu'est la véritable saveur de la terre. Quelle fidélité dans la traduction ! Elle ressent, exprime par la grappe les secrets du sol. Le silex, par elle, nous fait connaître qu'il est vivant, fusible, nourricier. La craie ingrate pleure, en vin, des larmes d'or. »

En fait le docu en question, ce n’est pas Colette mais plutôt Martine découvre l’œnologie.
Encore qu’il commence par de vraies bonnes questions, quand bien même le postulat de départ n’est pas exempt de reproches :
"produire un vin qui exprime sans filtre le terroir c'est le défi d'une nouvelle vague de viticulteurs qui ont jeté aux orties pesticides mais aussi produits chimiques au moment de la vinification".
Car, après tout, on peut très légitimement postuler que l’arrêt de tel ou tel produit - chimique ou pas - permettra une meilleure expression du terroir.
Quoique l’on entende par "meilleure expression du terroir".
Oui : c’est une hypothèse qui en vaut bien d’autres, qui en outre est assez mainstream et nous sonne donc bien aux oreilles.
Mais pour autant, ce postulat n’en demande pas moins à être confirmé !

On commence avec Véronique Richez-Lerouge :
"l’appellation d'origine c'est là pour protéger un savoir-faire, des usages ancestraux constants et loyaux".
De prime abord on ne peut qu’être d’accord avec cette description.
Je crois pourtant qu’elle est insuffisante, pour ne pas dire castratrice.
Protéger un savoir-faire et des usages loyaux et constants n’est-ce pas muséifier ? n’est-ce pas nier la possibilité à l’homme de faire mieux en évoluant sans pour autant occulter son histoire, son passé, et le chemin parcouru ?
Demander et obtenir une Appellation d’Origine ce serait donc se condamner ipso facto à ne plus évoluer dans ses usages ? à ne pas acquérir de nouveaux savoirs, savoirs faire, savoir faire faire ?
L’appellation d’origine est-elle une armure qui protège, ou bien un carcan qui contraint ?
Peut-être un peu des deux.
Alors sans doute cette question mérite-t ’elle d’être posée et étudiée. C'est pourquoi j'y reviendrai, ici ou ailleurs.

La Directrice de l’INAO répond, à propos de fromage, en contestant que la typicité soit réduite : « au lait cru, et basta ».
Elle indique que dans ce cas-là : la typicité est aussi liée aux races laitières, à leur mode d’alimentation et au mode de fabrication du fromage.
Je crois qu’elle a raison.
Qu’elle a bien sûr raison.
Et qu’elle a tort.

Oui : la typicité ce n’est pas que le lait cru. Mais le lait cru contribue de façon essentielle à cette fichue typicité !
Je crois que, comme toujours, il y a un juste milieu à trouver. Que, comme souvent, on peut (on doit !) faire évoluer certains usages de façon à préserver l’essentiel.

A propos du lait cru : quel est le sujet ?
La flore microbienne !
Cette flore détermine la qualité du lait, donc celle du fromage qui en résultera.
Mais, dans le même temps, une partie de cette flore microbienne peut-être pathogène.
Sur ce sujet, voir la déclaration de Marie-Christine Montel (unité de recherche de l’Inra d’Aurillac) lors de la restitution de FlorAcQ, en 2014 :
"Garantir la qualité sanitaire des fromages au lait cru et préserver leur renommée passe par le respect de la biodiversité des flores microbiennes garant de la richesse sensorielle et de l’intensité   du   goût   des fromages sachant  que  nous  continuons bien évidemment d’éliminer les pathogènes. Nous n’avons d’ailleurs pas constaté de dégradation de la qualité du lait ».
Je suis pour ma part convaincu que cette approche est fondamentale, essentielle, et que d’elle doivent découler des pratiques différentes, visant à préserver – voire favoriser – ce qui doit l’être tout en empêchant de nuire ce qui est indésirable.
Être fidèle à l’esprit de l’Appellation d’Origine sans coller à la lettre d’un texte juridique. Tout en étant technique. Avec un vrai résultat sensoriel.

Bien entendu ces réflexions ne font pas partie de celles qui génèrent du clic, du buzz et de l’audience.
Le « documentaire » passe donc directement à Messieurs Cros et Bovet.
Ce dernier annonce d’emblée qu’il est là pour :
"soutenir ces éleveurs très remontés contre un produit qui vient les concurrencer".
En outre :
"l'objectif principal par rapport au bleu c'est qu'il soit retiré du marché et qu'il n'existe pas".
Oui, il s’agit de la récente histoire d’un bleu de brebis conçu et commercialisé par « Société »
On en trouve trace en particulier sur le site de « Que Choisir » dans « 
Bleu de brebis de Lactalis. Un ersatz de roquefort qui passe mal », un article en date du 16/04/2019.



Au vu de l'illustration reproduite ci dessus et tirée de l'article en question, j’avoue avoir un peu de mal à imaginer que les deux packagings soient en mesure de créer quelque confusion que ce soit.
Il y a le logo "Société" ?
Encore heureux : ce sont eux qui l’élaborent !
Pour le reste, pour arriver à confondre les deux produits il faut vraiment y mettre beaucoup de bonne volonté !

De même, j’avoue avoir beaucoup de mal à accepter la fouille en règle du magasin et de ses réserves diffusée par le « documentaire ».
Les commentaires sont à l’unisson :
"déjà le magasin est déparasité",
un "lait qui peut être de très mauvaise qualité",
"le Roquefort c'est le Roquefort, c'est pas çà".

Or personne ne dit que le Bleu de Brebis est du Roquefort !
Que je sache ce B-L-E-U est élaboré avec du lait de Brebis produit localement. Et si ce lait est de très mauvaise qualité, de mon point de vue deux questions se posent :
- qui l’a produit, sinon un éleveur local. Alors qu’en fait on puisqu’il est exclu d’en faire du Roquefort ? on plante l’éleveur avec son lait et on laisse l’un moisir et l’autre crever ?
- au nom de quoi pourrait-on interdire à un transformateur, quel qu’il soit, de se diversifier ? en particulier lorsqu’il est confronté à une mutation du marché et des attentes des consommateurs, donc à une baisse des ventes qui va nécessairement toucher les producteurs ? Faut-il également muséifier les modes de commercialisation quoqi'il puisse en résulter ?

Puis vient – enfin - la partie consacrée à la vigne et aux vins.
Ça attaque fort avec « la musique dans les vignes ».
Les protéodies.
« Un nouveau remède, une science des années 70 » nous dit la très sérieuse voix off.
J’ai déjà évoqué cette chose là sur ce blog, je n’y reviens pas.
Simplement indiquer que prendre un peu de recul voire, idéalement, un avis contraire (ou au moins nuancé) aurait été bienvenu !

Après ces mises en bouche, arrivent les vins nature.
"ils sont reconnaissables à leurs étiquettes très marketées et souvent humoristiques"
En effet.
Gros potentiel de déconne.
D’ailleurs j’en parlais dans mon précédent billet.
Rire et bonne humeur garantis.
"ces vins sont élaborés sans aucun produit chimique, ni dans les vignes ni dans les cuves".
Ah, les produits chimiques !
Surtout dans les vins ...
Ça part bien.

A propos des vins "nature" :
"en France leur consommation explose : +20% par an"
Comme mon maître à penser en la matière (Aaron Levenstein) l’a dit :
« les statistiques c’est comme le bikini : ce qu’elles dévoilent est suggestif, ce qu’elles dissimulent est essentiel ».
+20% c’est cool.
Mais +20% de 1 ça fait 1.2 (on gagne donc 0.2), alors que +20% de 100 000 font  gagner 20 000.
Donc +20% c’est beau, mais concrètement çà veut dire quoi ?
On part d’où pour arriver où ?
Ah ben on n’en sait rien.
Pour une émission qui fait le compte c’est ballot.


On commence par un vigneron du beaujolais.
Encore un qui est venu là sans demander le scénario et donc sans savoir ce que l’on avait besoin de lui faire dire.
C’est le repoussoir, alors on va le faire repousser.
Je passe sur le glyphosate, c’est une figure imposée.

"Débute la phase de vinification. Et là encore la chimie est omniprésente : plus d'une 50aine de produits et additifs différents sont autorisés. Ils ont des noms imprononçables, certains servent même à modifier la couleur ou les arômes du vin. La loi n'oblige pas les producteurs à indiquer ces ingrédients sur l'étiquette."
Le tout avec un bandeau de produits aux noms soigneusement choisis tel le ferrocyanure de potassium.
Bon le ferro, en 22 ans d’œnologue on ne m’a demandé qu’une fois d’en utiliser (ce truc est obligatoirement utilisé sous le contrôle d’un œnologue) et vu que j’en avais pas envie on a fait sans.
Autant dire que c’est autorisé mais que je serais curieux de savoir combien en est utilisé chaque année. Pas lourd, je le crains.
Mais il y a « cyanure » dedans, donc ce serait con de rater cette occasion d’être anxiogène.

Et après paf, le truc qui tue.
N’oublions pas que nous sommes dans « tout compte fait », série documentaire diffusée sur le service public. Gage de qualité, le service public de l'audiovisuel.

"David lui assure n'utiliser que le minimum : des levures chimiques au moment de la fermentation pour stabiliser le vin et l'empêcher de tourner au vinaigre. Un produit qui selon lui ne présente aucun danger"
Comment dire …

Voilà :
L-E-S    
L-E-V-U-R-E-S   
Œ-N-O-L-O-G-I-Q-U-E-S    
N-E    
S-O-N-T   
P-A-S    
C-H-I-M-I-Q-U-E-S !
(bordel !)

On le sait depuis Pasteur.
Vers 1860, donc au moment du tournage ils ne pouvaient pas le savoir.
Ou alors c’est des grosses truffes.

Sinon un détail : les levures ne stabilisent pas le vin et ne l’empêchent pas de tourner au vinaigre.
On retiendra donc plutôt l’hypothèse grosses truffes.

En outre les levures ne présentent en effet aucun danger.
Cette phrase pleine de sous-entendus car comportant le merveilleux « selon lui » est juste scandaleuse.

Mais il fallait bien çà pour basculer sereinement dans le monde du bien.

Tout d’abord avec Pierre Overnoy, personnage au demeurant fort sympathique tant par ce qu’il est que par ce qu’il a fait ou par son approche du vin et de la vinification.
Pour autant je ne partage pas forcément tout de son discours :
"le vin nature c'est un mot nouveau, parce qu'autrefois tout était nature. Mes parents, c'était nature. Oui, bien sûr".
D’une part le « vin nature » n’est pas du tout un mot nouveau : j’en ai trouvé trace chez Antoine de Saporta … sans exclure qu’il puisse y avoir des mentions antérieures.

A de Saporta.
"La Chimie des vins : les vins naturels, les vins manipulés et falsifiés"
(1889)


D’autre part, autrefois tout n’était pas "nature".
Quelle que soit la date à laquelle on fixera cet « autrefois ». L’histoire du vin est une succession d’interventions humaines, certaines – même à la plus haute antiquité – étant tout sauf naturelles.
Mais le roussseauisme béat a de beaux jours devant lui …

Cependant P. Overnoy précise que :

"le vin nature c'est pas les petits oiseaux qui chantent et puis on part en vacances"
Certes ! et sans doute est-ce là l’essentiel.
En tous cas j’en suis convaincu.
Je crois en effet que l’on peut d’autant mieux limiter les interventions – dont les intrants – que l’on a le bagage technique (tant viticole qu’œnologique) qui permettra de savoir précisément d’où l’on part, où l’on veut aller … et donc de choisir le bon itinéraire. 
Le terroir qui va bien, aussi.


Mais peut-être l’une des clefs (tant technique que … marketing) est-elle dans ce que la voix off nous apprend : 3600 bouteilles à l'hectare (soit 27 hl/ha) qui sont vendues entre 22 et 120 € la bouteille.
Joli revenu à l’hectare.
Surtout si l’on compare à notre repoussoir du début : le vigneron du Beaujolais qui, s’il produit environ 2 fois plus de bouteilles les vend 3 à 15 fois moins cher.
A la fin des fins çà ne fait pas le même chiffre, en bas à droite du bilan !


Mais il est temps de passer à la preuve absolue, le juge de paix : la dégustation !
Elle est organisée et commentée par un juge expert impartial : il est vendeur de vins nature et déguste étiquette découverte. Gage de sérieux …

Dans l'assistance les commentaires fusent et, de mon point de vue, sont édifiants :
"on sent le terroir, hein là ? le cul de la vache est pas loin, là." Puis :
« le goût est assez fort quand même. l'odeur est un peu étonnante »
et enfin le fabuleux :
« on sent une authenticité avec des goûts ... ».

Il est certain qu’en matière de vin, l’odeur de cul de vache est un gage d’authenticité ...
Quel était le point de départ ? ah oui :
« alimentation : comment retrouver le goût authentique du terroir ».
Le cul de la vache ...
C’est quoi déjà le cépage pour l'odeur de cul de vache ?

La voix off enfonce le clou :
"ils font l'apprentissage de saveurs dans lesquelles la chimie n'a plus aucune place"
et le vendeur de vins nature et expert désigné d’ajouter :
"leur organisme va s'habituer".
Voilà : çà sent la merde mais on va vous apprendre que c’est bon, que c’est le vrai goût du raisin, et vous allez vous y faire.
Suit l'habituel globiboulga sur le soufre et le mal de tronche. C’est absurde.

On aborde fugitivement la question du prix déjà évoquée avec P. Overnoy. Et c’est juste magique, puisque le vendeur dégustateur expert en vins nature assène :
"c'est pas grave si c'est trop cher : y en a qui en veulent"

Pour bien faire comprendre où est l’authenticité, suit une dégustation. Bien sûr pas à l'aveugle, car on n’est jamais trop prudent.
Belle idée puisque :
"il n'y a peut-être pas de soufre, mais selon Thomas il y aurait peut-être d'autres produits chimiques".
Il est super fort Thomas.
Moi qui ne suis qu’œnologue et qui bosse dans la levure œnologique depuis seulement 1997 .... et bien je dois avouer être toujours incapable de reconnaître la présence d’une LSA par simple dégustation.
Thomas, lui, est arrivé à un niveau de conscience autrement supérieur au mien.
Ou alors il a coincé le bouton branlette ?
Car selon lui :
"les arômes sont pas naturels : c'est arômes artificiels, c'est écœurant. On est sur des arômes de petits fruits rouges, frais mais un peu banane tagada. Voilà, ce sont des levures, je vois pas autrement."
Voilà : désormais la banane est un petit fruit rouge.
Sinon si y a pas de levures y a pas de vin, hein ?
Donc y a toujours des levures.
Et leur production de composés aromatiques dépend de la composition du moût et des conditions de fermentations.
Mais çà tant Thomas que les documentaristes s’en battent les couettes : trop compliqué, pas assez vendeur.
Lisez plutôt mon article sur le sujet. Dedans il y a des vraies références de vrais spécialistes de la question du vin et de ses arômes.

Suit S David et la destruction (d'une partie) de son stock. On reste dans le camp du bien mais en version victime d’un système répressif.

Nota :
le docu a commencé à Roquefort avec un INAO et une DIRECCTE pas assez stricts.
Mais il semble qu’en fait là ils le soient trop, stricts.
C’est compliqué.


L'acidité volatile, je m’en suis déjà expliqué, je n’y reviens pas.

Ces bouteilles sont détruites car leur acidité volatile était à 21.8. Ça aussi je m’en suis déjà expliqué, ainsi que des explications de S David et son avocat.


(c) France 2 / Tout compte fait.
(lire le texte me semble une bonne idée)


Nous apprenons qu'il perd "2000 bouteilles qu'il aurait dû vendre 25€ chacune". Comme les autres, ce point précis doit pouvoir être nuancé (sans pour autant nier les difficultés économiques qui en découlent).

Je précise simplement que le :

"en n'ajoutant aucun des produits qui permettent de réduire l'acidité Sébastien est sorti des clous"
est stupide.

Car d’une part il est rigoureusement interdit de réduire l’AV d’un vin (au delà du fait que je ne connais aucun produit permettant de réduire l'acidité volatile d'un vin plombé !). D’où la destruction de cette cuvée.
D’autre part il n’y a pas à utiliser ces mystérieux produits « qui permettent de réduire l'acidité [volatile] » pour être dans les clous : j’en veux pour preuve évidente les nombreux vins (dits) nature qui sont dans les clous de ce point de vue.

Le journaliste fait remarquer que les participants sont :
"tous révoltés que pour les vins nature la loi ne soit pas plus tolérante".
Ben ouais : faut être beaucoup plus stricts avec les méchants (= les autres).
Mais nous comme on est dans le camp du bien, il faut que les règlements soient beaucoup plus souples sur les pattes arrières.
C’est pourtant simple.
Simpliste, peut-être ?

Mais c’est fini.
Déjà. Enfin ?

"voilà pour ces belles rencontres avec ces nouveaux viticulteurs qui inventent de nouvelles manières façons de produire .../... à très vite sur France 2 et d'ici là restez curieux"

Au-delà du fait que la nouvelle façon de produire ne soit qu’un abandon de tout ce que l’œnologie nous appris depuis une éternité, on pourra regretter le manque de curiosité de ceux qui prétendent nourrir la notre, de curiosité ...

 

Commentaires

  1. Intéressant André - je rigole un peu mais suis découragée- ‘ les levures chimiques ‘ - on a beau expliquer 1000 fois et à chaque fois, on lit les mêmes choses....

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    1. Oui, c'est fatigant. Bien sûr on peut tout à fait refuser, par principe, l'utilisation des LSA. Mais autant le faire pour de bonnes raisons, pas en sortant systématiquement les levures chimiques et l'acétate d'isoamyle ! (tout particulièrement en France, dans un "documentaire" diffusé sur une chaîne de service public !)

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