Nature et (viti)culture




Un récent article de Vitisphère annonce l'adoption d'une charte des "vins méthode nature".

Petit rappel préalable : la chose est dans les tuyaux depuis un moment mais a connu un nouvel essor dès juillet 2019 après un fâcheux épisode que je commentais ici et . Là aussi.


Grande nouvelle.
Car de mon point de vue : encadrer la Nature au nom de son respect est un authentique plaisir d'esthète. Quant à moi, je reste à cette phrase de Cheng Hao déjà citée dans un précédent billet :

"Si quelque chose est dit sur la nature, alors ce n'est déjà plus la nature"

 Mais soit : formalisons, encadrons, créons donc une charte !

Je passe rapidement sur la déclaration de Jacques Carroget (président du "syndicat de défense des vins Nature") :  
« La volonté qui nous motive, c’est que quand le consommateur débouche un flacon de vin nature, il y trouve effectivement un vin nature »

 Simplement dire que si en débouchant le-dit flacon on pouvait, pour commencer, avoir du vin : ce serait déjà une bonne chose.
Voire un progrès.
(sur ce point précis / voir les épisodes précédents, cités juste au-dessus).

Quoiqu'il en soit, il semblerait donc que le nom générique doive être : « vin méthode nature » et qu'il soit décliné en « sans sulfites ajoutés » et en « inférieur à 30 mg/l de sulfites ajoutés ».
"Méthode nature", faut avouer qu'il y a concept ! On laisse faire la nature, mais c'est méthodique.
Joie des oxymorons.
Je reviendrai plus tard sur le soufre, encore qu’il soit déjà évoqué par ailleurs sur ce blog.

Quoiqu'il en soit il y a donc une charte, alors cette charte : que dit-elle ?


1. 100 % des raisins (de toutes origines : AOP, Vin de France, etc.) destinés à un vin qui se revendique « vin méthode nature » se doivent d’être issus d’une agriculture biologique engagée et certifiée (Nature et Progrès, AB, ou deuxième année conversion AB a minima).

 

"Récolte des raisins au Portugal"."Les grandes cultures du monde - La Vigne".
Pierre Nicolas (Flammarion).



Vendanger des raisins présuppose que l'on a choisi la variété fruitière et, le plus souvent, son porte-greffe en fonction du sol et du climat locaux. Qu’ensuite on a planté en monoculture, avec une densité de plantation prédéfinie, avant de choisir les façons culturales et toutes sortes d'intervention éminemment humaines et donc absolument pas naturelles.



Ou bien revenons à la méthode naturelle qui figure sur la photo ci-dessus !
Ça va être facile.




2. Les vendanges sont manuelles.
 
Comme le dit Vitisphère, c'est : "pour impliquer la main de l’homme".
Impliquer la main de l'Homme ? Sinon quoi ? l'Homme serait (trop) absent ?  Faudrait savoir …
D’autant qu’il faut se rappeler que depuis la plantation de la vigne jusqu'à la mise en bouteille (et même au-delà avec les discours, les dégustations … et les chartes) le vin n'est qu'une suite de choix et d'interventions relevant exclusivement de l’activité et la pensée humaines.
Bref les vendanges sont manuelles et çà implique la main de l’homme. Trop cool. (mais on doit pouvoir utiliser un sécateur, cet avatar témoin d'une modernité délétère).
A propos de vendange : la date de vendange - et, donc, le choix de maturité et de composition des raisins dont on fera du vin - se fait selon les choix propres à chaque vigneron.
Encore une fois un choix humain et non pas naturel.




3. Les vins sont vinifiés uniquement avec des levures indigènes.


Figure imposée, les levures indigènes.
J'ai abondamment traité de ce sujet, ici ou sur ce blog, je n'ajoute donc rien de plus qu'un simple rappel : la (quasi) totalité des levures œnologiques actuellement commercialisées sont parfaitement naturelles et rien ne les distingue des levures indigènes ... c'est la moindre des choses : elles sont elles mêmes des levures indigènes qui ont été sélectionnées puis reproduites à l'identique !
D'ailleurs Gilles Azzoni (secrétaire-adjoint du syndicat Nature’l) reconnaît implicitement que levures sélectionnées et levures indigènes sont intrinsèquement identiques, puisque rien ne permet de les différencier :

« en pratique, il nous sera impossible de contrôler qu’il n’y a pas eu ajout de sulfites à l’encuvage ou qu’il n’y a pas eu de levurage. Mais l’engagement sur l’honneur est une immense responsabilité, qui a du sens. A chacun sa conscience »

Levurer ou pas devient un problème de conscience.
Je rêve.



4. Aucun intrant n’est ajouté.

Pourquoi pas. Ce peut être un exercice de style.
Un peu comme Boris Desbourdes (Domaine de la Marinière, à Chinon) quand il décide de sortir une cuvée sans électricité.
Chacun se met les défis qu’il veut ou peut.
Dès lors qu’ensuite sort un joli vin … (et jolis, les vins de Boris le sont).
Simplement c’est peut-être un peu crétin, ou casse gueule, ou les deux de s’interdire d’ajouter quoi que ce soit, à part du raisin. Et il ne s'agit pas ici d'un plaidoyer en faveur de Big Pharma.
Je reviens, par exemple, sur les levures, un sujet qui m’intéresse depuis de longues années.
Les levures sont des êtres vivants qui se développent dans le moût et le transforment en vin, ce qui les tue.

« Kilgore Trout avait un jour écrit une nouvelle sous la forme d’un dialogue entre deux morceaux de levure. Ils discutaient des buts éventuels de l’existence tout en absorbant du sucre et en s’étouffant dans leurs excréments. En raison de leur intelligence limitée, ils n’en venaient jamais à se douter qu’ils étaient en train de fabriquer du Champagne. »

« Le petit déjeuner des champions ». Kurt Vonnegut.

Pour mener leur vie de levures, et transformer le jus de raisin en vin, les levures ont besoin de se nourrir.
On sait aujourd’hui évaluer précisément la quantité de nourriture dont une levure a besoin pour mener ce travail à son terme (cette publication (parmi de nombreuses autres) permettra de s’en assurer, et de vérifier que je ne fais pas qu’écrire sur ce blog).
Donc sous prétexte que l’on fait un vin méthode nature on va s’interdire de nourrir les levures et courir droit à l’arrêt de fermentation, alors que l’analyse du moût permet de savoir qu’il y a risque de famine ?
Bon, ceci dit, vu qu’on s’interdit quelque intervention que ce soit, pourquoi faire une analyse ? on verra bien …



5. Aucune action de modification volontaire de la constitution du raisin n’est autorisée.

Euh ... sérieux ? Alors vendez du jus de raisin les mecs !
Car autant que je sache : qu'est ce que vinifier sinon enchaîner telle ou telle "action de modification volontaire de la constitution du raisin" !?

Oui : vinifier c'est, de toute évidence, modifier volontairement la constitution du raisin !
c'est, entre autres modifications, transformer les sucres en alcool, extraire le jus de la pulpe et y transférer le contenu de la pellicule, révéler les arômes, etc ...
Excusez du peu !

Prétendre que vinifier c'est ne rien changer, prétendre vinifier sans "action de modification volontaire de la constitution du raisin" témoigne d'une méconnaissance profonde de ce que sont la viticulture et la vinification et revient, en outre, à s’asseoir tranquillement sur des siècles (pour ne pas dire des millénaires), de travaux et de publications visant à mieux comprendre les phénomènes qui sont en jeu et les mécanismes qui les gouvernent.


6. Aucun recours aux techniques physiques brutales et traumatisantes (osmose inverse, filtrations, filtration tangentielle, flash pasteurisation, thermovinification…) n’est permis.

"Brutales et traumatisantes" ? rien de moins ?
On a de toute évidence parfaitement le droit de refuser, par principe, telle ou telle méthode. Et ce qu'elle soit physique, chimique, microbiologique ou même ésotérique (moi ce serait plutôt l'ésotérisme que je refuse). Pour autant faut-il s'en justifier en la parant de tous les défauts possibles et imaginables ?
Qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage.
Ma conviction est qu'une méthode, quelle qu'elle soit (donc y compris une "méthode nature") vaut par la situation dans laquelle on se trouve et par le résultat que l'on obtient grâce à elle.
Si une filtration traumatise mon vin c'est que mon vin n'y est pas prêt ou qu'elle ne lui est pas adaptée. Je vais donc chercher une autre solution, plus en rapport avec ce vin et mes objectifs de qualité.
Ce qui veut dire que, en ce qui me concerne, dans le cas d'une vinification en flore indigène et sans intrant (voir plus haut) si je me retrouve avec un vin blindé en Brettanomyces je vais opter sans aucun état d'âme pour une filtration tangentielle.
Alors que, à en croire cette charte, il faudrait laisser son vin pourrir sur place - et prendre ses clients pour des jambons - sous prétexte que l'on a décidé que les méthodes préventives (ou curatives) sont ... comment disent-ils déjà ? ah oui : "Brutales et traumatisantes" !?
Et un vin daubé parce que l’on a refusé d’intervenir c’est quoi pour le consommateur ? (à part "brutal" et "traumatisant", bien sûr).



7. Aucun sulfite n’est ajouté avant et lors des fermentations. Possibilité d’ajustement, de l’ordre de - SO2 < 30 mg/l H2SO4 total, quels que soient le type et la couleur du vin - avant la mise ; obligation d’information d’adjonction de sulfites mentionnée sur l’étiquette via un logo dédié.

Quels que soient le vin et la problématique la dose de soufre est ainsi fixée une fois pour toute. Peu importe si les travaux faits sur le sujet précisent clairement quelles sont les doses de SO2 utiles ou totalement inutiles.
Faut-il préciser que 25 à 30 mg/l H2SO4 de soufre total c’est bien trop souvent absurde car tellement faible ? en particulier sur des vins rouges de pH un peu élevé.
Autant ne rien mettre.
En revanche on peut très bien, et sans problème majeur, se passer de soufre avant fermentation (en revanche je suis perplexe : qui ajouterait du soufre – un antiseptique – alors que des micro-organismes sont au travail et que l’on souhaite que ce travail se finisse !?!). La méthode est assez récente et s’appelle « bioprotection » … mais passe par la substitution du soufre par des microorganismes d’intérêt œnologique.
 

8. Lors d’un « salon des vins méthode nature », les vignerons comme les organisateurs s’engagent à présenter la charte à côté des bouteilles ; les cavistes indépendants sont encouragés à faire de même, dans la mesure du possible, au sein de leur établissement.

On vend du concept ?
Soit.




9. Utilisation d’un logo d’identification.


Re soit.



10. L’engagement se fera lors de la mise « commercialisation » (obligation de résultat) par une « déclaration sur l’honneur », faisant suite à l’avis du bureau de l’association ; il sera demandé chaque année pour chaque cuvée (lot clairement identifié).

Un engagement sur l’honneur ? c’est sympathique comme tout.
Je crains que, malheureusement, ce ne soit un rien insuffisant.



11. Les cuvées non « vins méthode vin nature » doivent être clairement identifiables (étiquetage différencié) chez les signataires.

En plus du logo et de la charte qui doit accompagner les bouteilles ?
C’est ceinture et bretelles sur leggings !
Il est vrai que le temps libéré en n’intervenant pas sur les cuves en fermentation permet de s’occuper de cette abondante communication.
Question de priorités ...



12. Les signataires s’engageront en leur nom propre et toutes les informations demandées seront mises en ligne.

Et, donc … ?
J’imagine que c’est censé être rassurant ?

 

 

Riff Reb's
"qui craint d'boire un grand méchant coup ?"


 
 
 
Comme souvent :
- ce billet est illustré à partir de ma collection personnelle
- je copierai avec plaisir telle ou telle partie du livre pour qui en ferait la demande,

- pour autant les photos de ce billet m'appartiennent et ne sont pas libre de droits.


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